34 000 enfants en attente d’une place en CPE

2024/11/01 | Par Orian Dorais

Hiver 2024. Les 420 000 membres du Front commun de la fonction publique ratifient une entente de principe décente, arrachée au gouvernement Legault suite aux mobilisations historiques de l’année précédente.

Été 2024. C’est au tour de la FAE de s’entendre avec le gouvernement du Québec. Nous sommes maintenant à l’automne 2024 et, après plusieurs mois d’une lutte honorable, les infirmières de la FIQ viennent d’entériner un nouveau contrat de travail, à la suite des recommandations d’un conciliateur.

Est-ce à dire que tous les travailleurs essentiels et toutes les travailleuses essentielles ont maintenant des conventions collectives? Ce serait sous-estimer le mépris dont fait preuve la CAQ envers les employés de première ligne que de le croire.

J’en veux pour preuve le fait que les négociations dans le milieu de la petite enfance – un secteur névralgique s’il en est un – progressent à pas de tortue, tant et si bien que des milliers de membres Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ) sont sans convention depuis le 31 mars 2023! Je m’entretiens sur cette situation inique avec Anne-Marie Bellerose, présidente de la FIPEQ-CSQ.

Orian Dorais : Pouvez-vous me résumer les évènements marquants depuis vos dernières négos, qui ont pris place en 2020-2021?

Anne-Marie Bellerose : Il faut préciser que la FIPEQ comprend deux secteurs : les intervenantes en CPE et les responsables en services éducatifs en milieu familial (RSE). La dernière convention des RSE – signée en décembre 2020, je précise – couvrait la période de 2019 à 2023, tandis que la dernière convention en CPE – signée en décembre 2021 – couvrait de 2020 à 2023.

Ces ententes étaient relativement satisfaisantes; on avait obtenu un certain rattrapage salarial pour les éducatrices qualifiées, même si on déplorait des hausses monétaires moins avantageuses pour les autres employées de CPE. Je pense ici aux responsables de l’alimentation, aux réceptionnistes, aux agentes en conformité et ainsi de suite.

Donc, les conventions négociées pendant la pandémie n’étaient pas à la hauteur des défis qui touchent le monde de la petite enfance, mais elles représentaient un pas dans la bonne direction. Mais la crise inflationniste de 2022 a annulé la plupart des gains.

Prenez les RSE qui paient pour la nourriture des enfants, pour le matériel pédagogique, pour l’entretien des lieux de garde… elles sont frappées de plein fouet par l’inflation. Juste faire l’épicerie est un défi, imaginez nourrir un groupe de 6 ou 9 enfants avec le coût actuel du panier d’alimentation.

Plusieurs ressources opèrent donc à perte, certaines ferment après quelques années ou quelques mois, faute de subventions décentes. Pour ne rien arranger, nos membres sont toutes sans convention depuis un an et demi, parce que l’entente en RSE et l’entente en CPE arrivaient toutes deux à échéance le 31 mars 2023. Je tiens à mentionner que nous avons déposé un avis de négociation en janvier 2023, donc bien avant l’échéance.

O.D. : En 2023, avez-vous été tentées de vous joindre au Front commun?

A.M.B. : Nous ne faisons pas partie de la fonction publique, donc ça n’a pas été possible, mais nous avons tenté de nous arrimer le plus possible aux négos du Front commun. Ç’a été difficile, parce que nos membres travaillent dans des OSBL financées par le gouvernement, l’encadrement est donc différent.

Avant d’entreprendre les négociations, il faut convenir avec le gouvernement d’un protocole de négociation. Autrement dit, il faut négocier pour pouvoir négocier (rires). Les procédures se sont étirées pendant des mois et des mois, jusqu’à dépasser la période la plus active du Front commun.

Il a fallu attendre le printemps 2024 pour que le gouvernement, après des actions de visibilité de notre part, daigne faire une offre salariale à nos membres. On leur a offert le même montant qui avait été présenté au Front commun à un moment donné, soit 12,7% sur cinq ans. C’est absolument insuffisant! Et, depuis le printemps, nous n’avons même pas eu l’occasion d’entamer les discussions sur le financier, nous n’avons même pas pu essayer de convaincre le gouvernement de revoir ses chiffres à la hausse.

On ne veut pas que les membres atteignent deux ans sans convention, mais l’employeur ne semble amener que des problèmes et aucune solution. Et c’est évident que 12,7% n'est pas assez. Vous savez, j’entends des anecdotes terribles de la part de nos membres. Certaines sont mères monoparentales et, à cause de leurs salaires trop limités, elles n’arrivent pas à se trouver de logement familial. Elles et leurs enfants doivent vivre en colocation avec d’autres gens!

O.D. : Quels moyens de pression avez-vous mis en place pour faire bouger la partie patronale?

A.M.B. : Nous avons effectué quelques actions de visibilité de type « commando ». Par exemple, il y a quelques jours, avec des collègues de la CSQ, nous avons étendu une banderole titrant : « Intervenantes de CPE bientôt en grève ». Si rien ne bouge d’ici la semaine du 11 novembre, les moyens de pression vont aller en augmentant.

À partir de là, les RSE vont retarder leur ouverture de 30 minutes, puis d’une heure la semaine suivante, puis d’une heure et demie la troisième semaine, puis de deux heures à la quatrième. Pour les CPE, les moyens de pression vont avoir lieu les vendredis, à commencer le 15 novembre, avec une ouverture à 7h30. Le 22 novembre, l’ouverture va être à 8h30. Le 29, ça va être à 10h, puis le 6 décembre, pas d’ouverture avant midi.

O.D. : Et donc, quelles sont vos revendications pour cette négo?

A.M.B. : D’abord, une bonification salariale, ça va de soi, autant au niveau du salaire d’entrée, pour attirer les jeunes qui commencent, qu’au niveau des échelons plus élevés, pour faire en sorte que les éducatrices plus expérimentées restent. Le gouvernement doit aussi offrir plus de soutien pour les enfants à besoins particuliers.

On veut une diminution de la charge de travail, surtout de la charge administrative. Nos membres passent un temps fou à remplir de la paperasse inutile. Une autre demande est que l’employeur augmente sa contribution aux assurances collectives. Nous demandons aussi plus de congés, ainsi que deux journées pédagogiques durant lesquelles les CPE seraient fermés à des fins de formation. En ce moment, les intervenantes qui suivent des formations doivent le faire dans des heures anormales, les soirs et les fins de semaine, c’est absurde.

Il faut aussi établir une vraie retraite progressive. En ce moment, les travailleuses qui veulent prendre leur retraite progressivement doivent prendre un congé sans solde, puis demander à leur régime de retraite de leur verser une compensation, mais comme elles ne sont plus à temps plein, elles ne contribuent plus au régime de retraite, ce qui diminue leur rente à moyen terme. En CPE, l’âge de retraite sans pénalité est de 60 ans point barre, il n’y a aucune possibilité de retraite progressive. Il faut que ça change. Sinon, on fait face à une sérieuse pénurie de personnel dans les CPE.

O.D. : Il y a quelques années, je réalisais une entrevue avec votre prédécesseure, Valérie Grenon. À l’époque, elle me disait qu’il manquait 10 000 intervenantes en CPE pour éliminer la liste d’attente et diminuer la surcharge. À quoi ressemblent ces chiffres aujourd’hui?  

A.M.B. : De l’aveu même du gouvernement, il faut trouver 18 000 éducatrices d’ici 2026 pour combler la demande actuelle et commencer à ouvrir des nouvelles places. Les statistiques ne mentent pas, 34 057 enfants sont sur la liste d’attente. Le gouvernement aime bien se vanter de créer des centaines de places, mais il néglige de mentionner que plusieurs éducatrices quittent la profession et que plusieurs ressources ferment.

Par exemple, en juillet 2024, si on fait le bilan de toutes les places créées versus toutes les fermetures de CPE, de garderies en milieu familial et de garderies privées subventionnées, le gouvernement a réussi à créer… trois places supplémentaires. Trois places en un mois! On doit faire mieux, c’est aussi ça l’enjeu de nos négos. Nos membres ne sont pas heureuses d’aller en grève, elles le font pour le bien du réseau et des enfants.