Enseignement tronqué de la laïcité

2024/11/01 | Par Marie-Claude Girard

Nous avons été nombreux à nous réjouir d’apprendre, à la publication des directives du programme Culture et citoyenneté québécoise, que la « promotion de l’État de droit laïque » en ferait partie.

Malheureusement, l’étude des manuels approuvés à ce jour est fort décevante : l’enseignement de la laïcité comporte de sérieuses lacunes. En voici quelques exemples.

Manuel de l’élève Reflets, 1er secondaire  

Ce manuel explique la laïcité en trois points, à savoir : (1) un État qui n’est pas contrôlé par des religieux; (2) l’égalité des religions; et (3) la liberté de choisir sa religion et de la pratiquer dans les limites de la loi.

Or, aucun de ces points ne fait partie des principes de la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) qui se réfère plutôt à (1) la séparation de l’État et des religions (et non pas de « contrôle » des religieux); (2) la neutralité religieuse de l’État (et non pas « d’égalité » des religions) et à (3) la liberté de conscience et la liberté de religion.

Ainsi, la liberté de croire ou de ne pas croire (soit la liberté de conscience) ne fait pas partie de la description offerte aux élèves. De plus, le manuel fait référence à une liberté de religion « dans les limites de la loi ». Cependant, la Loi 21 ne limite pas la liberté de religion des citoyens et citoyennes. Elle impose des restrictions aux REPRÉSENTANTS de l’État dans le cadre de leurs fonctions.

La Loi 21 comporte aussi un quatrième principe, à savoir l’égalité de tous les citoyens et citoyennes, lequel est complètement ignoré dans ce manuel.

Manuel de l’élève Reflets, 2e secondaire (p.130, 148)

Dans ce manuel, on indique que la laïcité de l’État repose sur les principes suivants : (1) l’autonomie de l’État par rapport aux religions (plutôt que séparation de l’État et des religions); (2) la coexistence harmonieuse des diverses croyances religieuses (un principe qui ne fait pas partie de la Loi 21); (3) la liberté de conscience et de religion; et (4) la neutralité de l’État en matière religieuse.

Encore une fois, l’égalité de tous les citoyens et citoyennes, qui constitue le 3e principe de la Loi 21 n’est pas mentionné.

Manuel de l’élève Réalités culturelles, 1er secondaire

Ce manuel présente la laïcité exclusivement sous l’angle de la « séparation des affaires publiques et religieuses », prenant la peine de souligner que « tous ne s’entendent pas sur les limites à établir quant à la religion dans la société ».

Manuel de l’élève Réalités culturelles, 2e secondaire

Trois des quatre principes de la Loi 21 y sont présentés sauf pour ce qui est de l’égalité de tous les citoyens et citoyennes, qui est décrit comme un justificatif de la neutralité religieuse, et non comme un principe autonome.

Pourtant, ce principe a sa raison d’être. Il est vraisemblablement motivé par un des considérants de la loi à savoir « l’importance que la nation québécoise accorde à l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Plus loin, alors que la neutralité religieuse de l’État fait partie des principes sur lesquels repose la Loi 21, ce manuel laisse supposer que la laïcité est différente de la neutralité religieuse en offrant des définitions distinctes.  

Plus troublant encore, alors que le programme vise la poursuite du bien commun, ce qui comprend « la promotion de l’État de droit laïque », on insiste pour dire que la Loi 21 ne fait pas l’ « unanimité » et qu’elle soulève une question éthique. On invite alors les élèves à réfléchir à la question « [de] quelles façons et dans quelles circonstances les gens devraient-ils pouvoir afficher leur appartenance religieuse au Québec ? ».

La laïcité est également présentée comme étant un « intérêt » collectif qui crée des tensions avec les droits de la personne. Jamais on ne mentionne que la Loi 21 vise à assurer « un équilibre entre les droits collectifs de la nation québécoise et les droits et libertés de la personne », tel que stipulé dans les considérants de la loi, que le droit à des services laïques fait partie de la Charte des droits et libertés de la personne ou encore que la Cour suprême a décrété, en 2015, l’obligation de neutralité religieuse, de fait et d’apparence, pour les représentants de l’État.

Enfin, plutôt que d’expliquer et de promouvoir les fondements de la laïcité, ce manuel rappelle qu’ « [à] ce jour, deux tribunaux du Québec ont déjà confirmé la validité de la Loi, mais la Cour suprême du Canada pourrait éventuellement renverser ces jugements ».

Questionnement

Comment se fait-il que ces manuels aient choisi de tronquer les principes de la Loi 21 ?

Comment se fait-il que ces manuels ne se soient pas appuyés sur les considérants de la loi, qui expliquent ses motifs, pour présenter et promouvoir la laïcité au Québec ?

Comment se fait-il que ces manuels aient été approuvés par le ministère de l’Éducation ?

L’autrice vient de publier « Menaces contemporaines à l'égalité des sexes au Québec ». Pour se procurer le livre, cliquez ici.