La loi 101 révisée veut que l’Office québécois de la langue française (OQLF) fasse rapport sur la situation linguistique au moins aux cinq ans. Le rapport doit comprendre notamment un suivi de l’assimilation et de l’usage du français et de l’anglais au Québec. Sur ces points essentiels, le nouveau Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec (OQLF, mai 2024) laisse encore grandement à désirer.
Un rapport incohérent
Le rapport annonce qu’il emploiera les données de recensement sur la langue parlée le plus souvent à la maison, ou langue d’usage, « pour subdiviser la population en trois groupes, les francophones, les anglophones et les allophones ». L’OQLF renoue-t-il enfin avec la pratique standard de suivre l’évolution des trois grands groupes français, anglais et autres langues ? Après avoir simplifié les déclarations de langues multiples en les répartissant également entre les langues déclarées ?
Mais non. Le rapport emploie cette méthode de simplification dans son suivi – incomplet – de l’assimilation (voir « Comment saboter le suivi de l’assimilation », L’aut’journal, septembre 2024). Mais l’OQLF se contredit dans son suivi des groupes linguistiques. Pour la langue maternelle comme pour la langue d’usage, il subdivise la population non pas en trois, mais en quatre groupes, soit français, anglais, autre ainsi que français-et-anglais-à-égalité. En répartissant les déclarations de langues multiples de façon inégale, à la Jean-Pierre Corbeil (ibid.).
C’est d’autant plus incohérent que l’effet global de l’assimilation sur une langue donnée égale forcément la différence entre ses effectifs selon la langue maternelle et selon la langue d’usage principale. Il convient par conséquent d’utiliser la même méthode de simplification pour apprécier l’assimilation que pour apprécier les groupes linguistiques.
Entre science et idéologie
La répartition égale des déclarations de langues principales multiples est foncièrement rationnelle. Elle respecte intégralement le degré d’usage de chaque langue tel que déclaré. Pas étonnant que Statistique Canada emploie cette méthode de simplification pour le suivi des groupes linguistiques.
La méthode Corbeil procède, au contraire, d’une idéologie. Elle se veut « inclusive ». Ainsi, aux déclarations du français, langue d’usage unique, elle ajoute toutes les déclarations doubles d’une tierce langue parlée le plus souvent à la maison à égalité avec le français. De même, elle compte comme de langue anglaise l’ensemble des déclarations d’une tierce langue parlée à égalité avec l’anglais. Drôle d’inclusivité, qui annule l’usage égal d’une langue tierce – arabe, italien, mandarin, etc.
Pour son suivi des groupes linguistiques, le rapport ne justifie nulle part son recours à la méthode Corbeil de simplification. Quant à son emploi de la méthode standard pour le suivi de l’assimilation, il renvoie à une douteuse note méthodologique de Michel Paillé, publiée par l’Office en 2008. Le sous-titre de cette note, Analyse critique de la « répartition égale » des réponses multiples, laisse pourtant bien deviner qu’au contraire, Paillé s’y braque contre cette manière de suivre l’assimilation.
Quel fouillis. Il est proprement scandaleux que l’OQLF tarde encore à mettre de l’ordre dans sa boîte à outils.
Une comparabilité compromise
Un suivi rigoureux commande de veiller aussi à la comparabilité des données. Ni Corbeil et compagnie dans leur ouvrage collectif Le français en déclin ? (Del Busso, 2023), ni l’Office dans son rapport ne s’interrogent sur l’invraisemblable boom démographique de leur quatrième groupe français-et-anglais-à-égalité depuis 2016.
Cette étrange « population », qui parle également souvent le français et l’anglais à la maison – faut le faire ! –, est fabriquée à partir des déclarations de langue d’usage doubles français-anglais-à-égalité et, à un degré moindre, des réponses triples français-anglais-tierce langue. La hausse suspecte provient des réponses doubles. Elles sont passées de 86 715 en 2016 à 137 120 en 2021. Un bond de 50 000 en cinq ans.
En toute probabilité, cela découle de la priorité nouvelle accordée en 2021 à la question sur la ou les langue(s) parlée(s) « de façon régulière » à la maison, chère à Corbeil, sur celle visant la langue d’usage principale, chère à la commission Laurendeau-Dunton. Cette modification discutable du questionnaire a provoqué des ruptures de comparabilité dans plein d’autres combinaisons de réponses sur la langue.
Décidément, le suivi des groupes linguistiques tant par Corbeil et compagnie que par l’Office ne fait pas sérieux.
Des projections éborgnées
Le rapport termine son entrée en matière démographique en rappelant la conclusion d’une étude de Corbeil et René Houle, Scénarios de projection de certaines caractéristiques linguistiques de la population du Québec 2011-2036 (OQLF, 2021). Selon le rapport, même les scénarios « les plus favorables possible [au français] ne permettraient pas d’accroître le poids de la population de langue française au Québec ».
Le problème n’est cependant pas là. Le problème, c’est que depuis vingt ans le poids de l’anglais s’accroît pendant que celui du français décroît. L’important, c’est donc de déterminer dans quelles conditions cette tendance néfaste au caractère français du Québec se poursuivra. Et dans quelles circonstances le poids de l’anglais pourrait venir à reculer, lui aussi.
Or, Corbeil et Houle nous laissent dans le noir absolu quant à l’évolution, en fonction de leurs projections, du poids de l’anglais. Parfait exemple d’aveuglement volontaire. L’affaiblissement du rapport de force démographique du français à l’anglais carbure d’ailleurs au pouvoir d’assimilation démesuré de ce dernier. Néanmoins, aucun de leurs scénarios n’envisage une réduction directe du pouvoir d’assimilation de l’anglais.
Bref, en raison de son auto-éborgnement, cette étude semble avoir pour but de faire passer comme inévitable autant le recul du français que l’effacement du caractère français du Québec. Autrement dit, d’éviter de reconnaître la nécessité de mesures « extrémistes » pour réduire le pouvoir d’assimilation de l’anglais, tant sur les francophones que sur les allophones.
Et en public ?
D’après l’Office, le français se maintient toutefois comme langue d’usage public. Son rapport souligne que selon des enquêtes effectuées en 2007, 2016 et 2022, la proportion de personnes utilisant le plus souvent le français en public est restée stable, passant d’abord de 79,1 % à 78,4 %, puis à 78,7 %.
Corbeil n’a pas manqué de pousser des cocoricos lorsque le chiffre pour 2022 a d’abord paru dans l’étude Langue de l’espace public au Québec en 2022 (OQLF, avril 2024). Cela conforte en effet son baratin voulant que ce n’est pas grave si le français décline comme langue principale en privé, puisqu’il maintient son importance en public.
Cependant, certains observateurs ont aussitôt exprimé des réserves quant à la validité de ce suivi, notamment en raison du taux de réponse famélique à la dernière enquête. Informations prises, l’Office a égaré le taux de réponse à l’enquête de 2007. En 2016, il n’était que de 46 %. En 2022, de seulement 23 %. Effectivement, avec de tels taux, parler de marge d’erreur ou de signification statistique n’a plus aucun sens.
L’étude d’avril dernier ne nous dit pas le taux de réponse, ni pour 2022 ni pour 2016. Il s’agit pourtant d’une information fondamentale. Malgré les passes d’armes qui ont suivi, le nouveau rapport quinquennal tait aussi ces taux. L’OQLF ne paraît pas comprendre qu’en ces matières, la transparence a meilleur goût.
Rêvons un peu. Ottawa ajoute au recensement une question sur la langue d’usage public. Et Québec enquête enfin sur l’état du français, langue commune.
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