Les syndicats et l’action politique

2024/11/06 | Par Sylvain Martin

L’auteur est syndicaliste
 

Depuis que le NPD a déchiré l’entente qui le liait au Parti libéral de Justin Trudeau, le suspense sur une éventuelle élection fédérale précipitée n’en finit plus. Suspense, il faut le dire, alimenté par les médias à grands coups d’analyses et de scénarios probables sur la chute du gouvernement libéral.

De grandes centrales syndicales et des syndicats locaux s’activent, avec raison, en vue d’une éventuelle élection fédérale. En mai dernier, lors de son Conseil général, qui s’est tenu à Matane, la FTQ a adopté une stratégie qui vise à empêcher l’élection d’un gouvernement Poilièvre à Ottawa.

Le plan prévoit que la FTQ et ses affiliés se mobilisent afin de limiter les suffrages accordés au Parti conservateur du Canada et de diminuer le nombre de sièges détenus par le PCC au Québec.

En septembre dernier, j’ai assisté au Conseil canadien d’Unifor, qui s’est tenu à Montréal. Parmi les nombreuses questions discutées, il y a eu la prochaine élection fédérale. Lana Payne, la présidente nationale d’Unifor, l’a abordée de façon éloquente durant son discours. Une des recommandations adoptées par les personnes déléguées stipule « que le syndicat doit également préparer une stratégie nationale pour s’engager directement et sérieusement dans la prochaine élection fédérale ».

Magalie Picard, la présidente de la FTQ, était du nombre des invités à cette rencontre. Elle n’a pas manqué, elle aussi, d’inviter de façon tout aussi éloquente son auditoire à se mobiliser pour faire barrage à l’élection d’un gouvernement conservateur de droite dirigé par Pierre Poilièvre.
 

Le précédent Harper

Ces deux grandes organisations syndicales ont raison de lever un drapeau rouge devant l’éventualité plus que probable de l’élection d’un Pierre Poilièvre comme premier ministre du Canada. Un gouvernement Poilièvre sera sûrement un gouvernement antitravailleurs et surtout antisyndicats.

On n’a qu’à se souvenir de deux lois appuyées par Poilièvre et adoptées à la fin du règne des conservateurs de Stephen Harper. Le projet de loi C-377 obligeait les syndicats à rendre publiques des informations détaillées sur leurs états financiers.

Le projet de loi C-575 rendait obligatoire la tenue d’un vote sur la volonté d’un groupe de travailleurs et de travailleuses de se syndiquer, et ce, même si, au préalable, ils avaient de façon majoritaire signé une carte d’adhésion au syndicat de leur choix. Heureusement, ces lois antisyndicales ont été abrogées par le gouvernement Trudeau.
 

Un défi pour le mouvement syndical

Ayant moi-même fait partie pendant plusieurs années de directions syndicales et ayant également été conseiller politique auprès de la FTQ, je peux vous affirmer que de prendre position et mener une campagne, que ce soit pour ou contre un parti politique, n’est pas une mince affaire pour les directions syndicales. C’est même tout un défi.

Il faut se souvenir que les membres des syndicats et de centrales syndicales sont un reflet de notre société. Ce qui veut dire que nous avons des membres plus à gauche, des membres plus à droite, des membres qui, sur certains enjeux, sont tantôt à droite tantôt à gauche, et des membres qui font peu de cas de la politique électorale par manque d’intérêt ou parce qu’ils sont embourbés dans leurs défis quotidiens.

Nous avons également nos « bons » amis de la droite qui ne ratent pas une occasion de crier haut et fort que l’argent des membres ne doit pas servir à faire de la politique, que le rôle des syndicats doit se limiter uniquement à la représentation des membres dans les milieux de travail.

Ces « bons » commentateurs sont pourtant muets devant toutes les interventions politiques des associations patronales, qui sont pourtant des syndicats de patrons, qui font de la représentation politique au nom de leurs membres. Un bel exemple de deux poids deux mesure. Il ne faudrait surtout pas, selon eux, que les travailleurs et les travailleuses puissent s’organiser et faire valoir leurs intérêts auprès des gouvernements.

Les défis pour une centrale comme la FTQ sont à peu de choses près les mêmes que ceux de ses syndicats affiliés, je dirais même qu’il y a un petit défi de plus. Les syndicats affiliés à la centrale n’ont pas tous le même niveau d’intérêt à s’impliquer en politique, et ce, pour des raisons tout à fait légitimes.

Ce n’est là qu’un bref survol des défis auxquels font face les directions syndicales quand vient le temps de prendre position sur les enjeux politiques quotidiens ou électoraux. Malgré tout, je demeure convaincu que ça fait partie du rôle des directions syndicales d’organiser et de susciter des débats politiques avec leurs membres.

De prendre des positions claires concernant les engagements et les politiques mises de l’avant par les différents partis politiques et les gouvernements en place. Et surtout, lors d’élections et après analyse de la situation, de faire des recommandations à leurs membres à savoir lequel des partis politiques est le plus susceptible de répondre aux aspirations des travailleurs et des travailleuses.
 

De la nécessité de l’éducation politique

Cette action politique pourrait être une pratique quotidienne, sous plusieurs formes, à travers les communications aux membres afin de joindre un maximum d’entre eux.

Ainsi, la formation offerte aux membres est une excellente occasion de faire de l’action politique, ne serait-ce que pour établir le lien entre les apprentissages offerts et la politique. Dans les formations aux personnes déléguées, il est possible, comme plusieurs le font, de faire mention que le processus de syndicalisation, de grief et d’arbitrage est issu des codes du travail.

De même, dans les formations sur la négociation collective, le lien est facile à établir entre les codes du travail est le processus d’accréditation d’un syndicat, de négociation collective, de grève et de lockout et le droit d’association et la loi anti-briseurs de grève.

Lors de formations en santé-sécurité, on ne peut faire abstraction du rôle majeur joué par la CAQ dans la refonte des lois québécoise en santé-sécurité.

L’idée ici étant de faire un lien direct entre, d’une part, les lois qui nous protègent comme travailleurs et travailleuses et qui déterminent les règles du jeu dans les milieux de travail et, d’autre part, les partis politiques. Ces lois et ces règles n’ont pas toujours existé, un gouvernement peut les faire et les défaire. Il existe donc un lien direct entre la boite à lunch et la boite de scrutin.
 

Être présents dans les partis politiques

Je crois fermement que c’est par la formation et l’éducation politique de la classe ouvrière que nous pourrons créer une société plus juste et je crois, tout aussi fermement, que c’est dans l’action que tous ces apprentissages prennent leur sens et que les syndicalistes peuvent jouer pleinement leur rôle d’agents de changement dans la société.

J’irai encore plus loin. Je pense aussi que nos membres devraient être actifs à l’intérieur des partis politiques. Être présents où nous pouvons l’être dans les instances des partis politiques afin de porter notre message concernant les intérêts des travailleurs et des travailleuses et notre vision de la société à laquelle nous aspirons.

Vous me direz que ça n’a pas de sens que des syndicalistes deviennent membres de partis politiques campés plus à droite pour tenter de les influencer, que c’est contre nature de faire cela, que de toute façon ça ne changera rien.

Je serais tenté de vous répondre que, de ne pas y être, c’est de s’assurer que les Poilièvre de ce monde vont finir par former notre gouvernement, qu’avec le système parlementaire actuel, il n’y a pas grand chose pour stopper les politiques de droite d’un gouvernement Poilièvre majoritaire.

Est-ce que d’être présents peut faire en sorte que nous allons toujours avoir gain de cause? Certainement pas. Mais, à tout le moins, nous aurons une chance de le gagner et sûrement une chance d’influencer les prises de décisions. Faudrait peut-être commencer à y réfléchir.