Avec La nuit du caribou et Joséphine et les grandes personnes, la dramaturge Marie-Hélène Larose-Truchon nous offre deux pierres précieuses du théâtre jeunesse.
Dans la note qui précède le texte de La nuit du caribou (Leméac, 2024), l’autrice remercie « l’enfant d’être ici, de lire ou d’écouter cette histoire avec tes oreilles et ton cœur. (…). Enfant, je connais un peu ton cœur, car j’ai été une enfant moi aussi. »
Par sa plume poétique et parfois tranchante, Marie-Hélène Larose-Truchon insuffle ce désir revendicateur de la beauté du monde réclamée «comme un dû», comme le chante Sylvie Tremblay dans Les talons hauts.
La diplômée en écriture dramatique de l’École nationale de théâtre (ENT, 2012) remporte le concours « Le théâtre jeune public et la relève » pour Reviens!, qui a donné lieu à sa première collaboration avec Marie-Ève Huot, la metteure en scène de Joséphine. Elle reçoit deux mentions spéciales au prix Gratien-Gélinas pour Minuit, percutante partition destinée aux adultes (2013) et Un oiseau m’attend (2015), avant de remporter les honneurs avec Le Jardin d’Éden (2021).
La dramaturge a aussi rédigé pour le jeune public Crème-Glacée (2018) et Amande-Amandine, publiées à l’Arche et jouées en France.
Avant ses études à l’ENT, une professeure de son certificat en création littéraire à l’UQÀM, Geneviève Billette (autrice notamment d’une touchante création du théâtre jeunesse, Le Pays des genoux), remarque son talent et l’encourage dans cette voie.
Dans l’ouvrage collectif Femmes en scène (Pleine Lune, 2018), Marie-Hélène Larose-Truchon réitère l’importance au théâtre « du sacré, du rituel et de la spiritualité ».
Caribou
La nuit du caribou a été créée par le Théâtre de la Petite-Marée à Bonaventure (Gaspésie), en juillet 2022. La mise en scène de Francis Richard (qui a étudié en mise en scène à l’ENT en même temps que Larose-Truchon) intègre trois interprètes et des marionnettes (même si le texte n’a pas été conçu pour ce type de théâtre).
La pièce raconte l’histoire d’un petit garçon, nommé le Petit Moi-Moi. Celui-ci s’est éloigné de sa mère et part à la recherche d’un caribou, même s’il n’en a jamais vu un. Or, le gamin se perd dans la forêt. Il rencontre Caribou Vite-Vite, également égaré et en quête d’indépendance. Le tandem croise L’Ourse-Fille et la Fille-Ours, deux créatures qui se cherchent l’une et l’autre, sans oublier la Grand-Mère Asclépiade (« l’esprit de la forêt »), narratrice et mémoire ancestrale qui relie les différentes forces de la nature et guide les protagonistes avec bienveillance.
Dans le périple initiatique qui s’échelonne du matin à la nuit, pour Petit Moi-Moi, Caribou Vite-Vite, l’Ourse-Fille et la Fille-Ours, une scène demeure fort émouvante. Petit Moi-Moi et son nouvel ami caribou arrivent près d’une rivière, qui devient un personnage du récit. Le cours d’eau prend la parole et réclame de ne pas être brusqué. Cette préoccupation écologique imprègne l’œuvre de la dramaturge. « La nature est avenante si tu la respectes. Tous les éléments disparates de la forêt paraissent chaotiques à première vue, mais sont d’une telle organicité. »
Une autre partition écrite antérieurement à six mains, Histoire à plumes et à poils, avec David Paquet et Érika Tremblay-Roy, a initié indirectement La nuit. «Érika m’avait demandé ensuite d’écrire sur l’ours (autre mammifère qu’elle affectionne) pour un projet de bestiaire. Trop long, le texte ouvrait la porte à une pièce en soi.»
Par hasard, Marie-Hélène Larose-Truchon tombe un jour sur le livre Le Bestiaire innu, de Daniel Clément. Un monde « s’est ouvert à moi, qui se trouvais au bout de mon nez, mais […] qui m’était inconnu. »
Très tôt, l’autrice a été fascinée par le caribou des bois, espèce aujourd’hui considérée comme vulnérable, menacée de disparaître en raison de « la stupidité du gouvernement québécois. Cette espèce vit dans la forêt boréale. Elle est victime de l’exploitation forestière par les hommes et de prédateurs animaliers comme les loups. Il faut écouter les peuples autochtones qui en ont une connaissance intime et ancestrale ».
Par ailleurs, les relations intrinsèques entre le savoir, les légendes et la nature ont constitué un terreau fertile. « J’ai été émue par le caribou qui correspond au corps social pour les sociétés autochtones. L’ours, lui, représente le corps spirituel. »
Les jeunes spectatrices et spectateurs de la Gaspésie ont « vibré » en assistant à cet hymne environnemental, d’autant plus que le caribou habite sur le même territoire.
Osons Joséphine
Œuvre intergénérationnelle, Joséphine et les grandes personnes explore la rencontre de Joséphine, gamine lucide et espiègle avec une curieuse dame âgée (présentée dans le texte comme « la vieille »). En dix leçons thématiques, parodies des « conseils » des coachs de vie, la fillette nous apprend comment transiger avec l’univers parfois complexe (« océan mystérieux »), frustrant, et souvent rigolo (la fête, la danse, la musique) des adultes.
Coproduction du Théâtre du Carrousel, du Bic (Rimouski) et les Tréteaux de France, la pièce puise son inspiration, entre autres du confinement causé par le coronavirus. « Je pensais aux enfants privés d’école, de garderie, isolés, en l’absence de filet social.»
Marie-Ève Huot (directrice artistique du Carrousel) signe la mise en scène, Diane Labrosse la musique. Les comédiennes Émilie Dionne et Mireille Métellus incarnent respectivement Joséphine et l’aînée.
Une résidence au Théâtre du Bic a permis l’écriture de cette proposition scénique autour d’une enfant à la parole fort volubile. « Dès la première lecture publique, une forte émotion imprégnait le jeune public. Celui-ci nous manifestait l’importance que leurs parents écoutent véritablement leurs points de vue. »
Comme l’exprime la jeune héroïne, parfois, « les grandes personnes vous oublient ». La colère lui donne envie « que le monde explose », quand les enfants sont « méchants ».
Malgré les conflits, le respect de la nature et d’autrui s’imposent pour Marie-Hélène Larose-Truchon. Par leurs présences, les roches permettent des liens durables entre le duo et le monde extérieur. «Elles nous aident à se sentir moins seules. » Joséphine dit à sa nouvelle camarade que des cailloux « tu peux en trouver dans toutes les ruelles, les rues, les forêts, pis même entre tes deux orteils ».
Le texte Joséphine et les grandes personnes sera publié aux Éditions de l’Arche (France) accompagnée d’illustrations de l’autrice-dessinatrice Inbar Heller Algazi. Dans les remerciements, la dramaturge n’oublie pas les «roches qui se souviennent de ce qu’on oublie» et «les fleurs qui poussent au-delà des jardins».
Liberté radicale
Marie-Hélène Larose-Truchon revendique « la liberté artistique. Je songe à la poésie d’Arthur Rimbaud découverte à 12 ans, au solo théâtral Or, de Pol Pelletier durant mon adolescence, aux chansons Les Charognards, de Renaud et Nataq, de Richard Desjardins, au roman Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, de Rainer Maria Rilke. »
Cette éthique de liberté lui a été inculquée notamment à l’ENT par Louis-Dominique Lavigne, figure importante du théâtre jeunesse au Québec, et défenseur d’une « poésie radicale. Il m’a enseigné à écrire tout ce que je voulais, à condition de toujours garder une lueur espoir, et surtout pas un monde désorganisé».
À la Maison Théâtre (Montréal), nous pourrons voir Joséphine et les grandes personnes du 21 novembre au 1er décembre. La production partira ensuite en tournée en France. Pour plus d’infos : https://www.lecarrousel.net/calendrier/?season=saison-2024-2025&event_show=josephine-et-les-grandes-personnes&country=&city
Plus tôt cet automne, une tournée québécoise de La nuit du caribou a eu lieu dans différentes villes québécoises.
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