L’auteur est porte-parole du Regroupement Vigilance Mines Abitibi-Témiscamingue (REVIMAT)
Je crois que la protection des écosystèmes québécois est étroitement liée à la lutte des communautés autochtones pour le respect de leurs droits sur les territoires non cédés du Québec.
Différentes luttes de la nation Mitchikanibikok Inik
La Première Nation Mitchikanibikok Inik (Algonquins du lac Barrière en Outaouais) lutte depuis plusieurs années afin de protéger son territoire de la coupe forestière intensive et de l’exploitation minière.
En juillet 2012, les membres de la communauté manifeste devant le siège social de la compagnie Produits forestiers Résolu. Ils dénoncent le gouvernement Charest de ne pas les avoir assez consultés avant d’autoriser l’exploitation de la forêt. Seul le conseil de bande (structure de gouvernance imposée par le gouvernement) l’aurait été alors que 90% de la population s’opposait majoritairement au projet sans avoir eu son mot à dire. On reconnaît là la façon de fonctionner du gouvernement québécois.
Copper One, une compagnie d’exploration minière, qui avait reçu l’autorisation de mener des opérations d’exploration en 2016, a aussi attiré la colère de la population du lac Barrière. Pourtant le gouvernement avait accepté en 2011 de suspendre les concessions que détenait la minière.
En janvier 2017, la communauté autochtone dénonce publiquement le fait de ne pas avoir été consultée sur ce changement de cap. Ce changement aurait été perçu comme une trahison puisque depuis 2015 la communauté négociait avec la province pour obtenir le pouvoir de cogérer les ressources sur son territoire. Les membres du Regroupement vigilance Mines de l’Abitibi et du Témiscamingue et ceux de Québec Meilleures Mines ont donné leur appui par leur présence sur les lignes de piquetage qui empêchaient la compagnie d’accéder aux sites des claims autorisés par le gouvernement.
Suite à la montée de la mobilisation des Autochtones du lac Barrière, le gouvernement fait volteface et rachète les titres miniers de Copper One dans la région du lac Barrière pour huit millions de dollars. Il allègue que ce rachat a pour but d’éviter la montée de la violence. La Société québécoise de l’exploration minière (SOQUEM) devient alors propriétaire des claims, tout en indiquant qu’il sera toujours possible de relancer le projet d’exploration.
Malgré le rachat des titres miniers par le gouvernement, celui-ci ne négocie pas davantage avec la communauté autochtone.
Désirant mettre fin à ce dialogue de sourds, la Première Nation Mitchikanibikok Inik dépose une poursuite contre le gouvernement du Québec le 16 janvier 2020. Elle tente de prouver que la Loi sur les mines est inconstitutionnelle et désuète. L’objectif de la poursuite est avant tout d’assurer la protection des écosystèmes et de la culture autochtone.
C’est le groupe Écojustice qui prend en charge la poursuite. Sa mission est de venir en aide aux gens en poursuivant les gouvernements en justice et en réclamant de meilleures lois pour protéger les personnes et les milieux. Il est appuyé par des avocats partenaires du Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE), dont Me Marc Bishai qui m’a défendu en appel lors du litige entre Glencore Canada et moi-même.
En vertu de la Loi constitutionnelle de 1982, le gouvernement a l'obligation de consulter et d'accommoder les peuples autochtones avant de prendre des décisions qui peuvent avoir des conséquences sur leur communauté. Les avocats vont donc tenter de faire reconnaître que la Loi sur les mines du Québec est inconstitutionnelle, car elle ne prévoit aucune consultation préalable lors d’enregistrement des claims.
Décision de la Cour supérieure
La décision de la poursuite est déposée le 18 octobre 2024 par la Cour supérieure du Québec. Elle donne raison au demandeur. Le gouvernement doit maintenant consulter les Autochtones quant aux claims miniers existants et tous ceux à venir. La Loi sur les mines est contraire aux obligations de consultation du gouvernement à l’égard des Autochtones. Cette obligation est consignée dans l’article 35 de la Constitution canadienne.
Me Marc Bishai souligne que c’est la fin du « click and claim » où n’importe qui pouvait réserver un claim minier pour moins de 100 $ en s’inscrivant sur le site du gouvernement. Ce jugement est conforme aux jugements rendus au Yukon et en Colombie-Britannique. « Avec cette décision, la Cour envoie un message clair : le libre accès aux ressources minières qui ne respecte pas l’obligation de consulter et d’accommoder est inconstitutionnel. Ce jugement est une grande étape de plus dans le long chemin vers la pleine reconnaissance des droits et de la souveraineté des peuples autochtones. »
Le gouvernement évalue la possibilité d’aller en appel ce qui enverrait un signal très négatif sur le respect des droits des Autochtones.
Quelle sera la suite?
Dans le cas d’une décision finale en faveur des demandeurs, il restera à voir à quelle hauteur le gouvernement consultera et quels seront les accommodements. Se limitera-t-il à consulter encore une fois juste le conseil de bande? Les consultations publiques respecteront-elles les habitudes de vie des Autochtones? Donnera-t-il une place prépondérante dans le savoir-faire autochtone concernant la protection de l’environnement? Y aura-t-il une collaboration entre les différents ministères concernés et les communautés?
Continuerons-nous à traiter nos territoires comme de l’agriculture intensive? Nos exploitants sont toujours spécialisés dans la mise en valeur d’une espèce faunique en particulier ou dans l’exploitation forestière d’une seule plante sans y voir la fragilisation de nos territoires. Accepteront-ils d’écouter le savoir autochtone et d’intégrer leur expertise? Vont-ils reconnaître que nos territoires sont composés de multiples écosystèmes où les cours d’eau, les dénivellations, les collines et les chaînes de montagnes sont interconnectés et que l’affaiblissement de l’un affectera l’autre?
Rappelons-nous que nos ressources naturelles ont été largement altérées par les effets des différentes législations visant le développement économique du Québec, particulièrement après la signature de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB) en 1867. Depuis nos territoires n’ont été que des ressources à exploiter. Nos forêts, nos sols ou encore le fruit de la chasse et de la pêche sont perçus comme de la marchandise et les effets sur les habitants n’ont jamais été pris en compte. Aujourd’hui, on constate les impacts sur les différents écosystèmes. Les incendies de forêt au Québec en 2023 démontrent comment nous avons fragilisé nos écosystèmes.
Un énorme changement devra s’opérer dans les formations techniques et universitaires. On devra mettre fin à la logique de maximiser l’exploitation d’une ressource au détriment d’un milieu de vie dont l’homme fait partie. Il faudra changer notre façon de gérer nos ressources.
La victoire de la communauté du lac Barrière est un gain pour les droits autochtones et pour les droits de tous les Québécois. Cependant, l’avenir de nos territoires reste encore très fragile.
Comme le dit si bien Raôul Duguay : Ce n’est pas la terre et toutes ses ressources qu’il faut conquérir, c’est l’humanité dans tous les humains, c’est nous-mêmes, chacune, chacun de nous, qu’on doit conquérir.