Je crois qu’il n’est pas exagéré de dire que la plupart des Québécois ont une image positive du Zoo de Granby. Bien des gens – moi y compris – associent cette destination à des souvenirs d’enfance heureux. Le parc animalier profite aussi de son statut d’OSBL, largement mis de l’avant sur son site web et dans ses communications. Mais cette bonne réputation cache une réalité bien plus sombre, comme peut en témoigner le personnel syndiqué du Zoo, représenté par la CSN, qui lutte depuis plusieurs mois pour une convention collective juste.
Les pratiques de la direction sont troublantes : lock-out, judiciarisation excessive des activités syndicales et pénalités sous la forme de coupes dans les assurances collectives. Il s’agit là des pires méthodes du secteur privé, qui cadrent assez mal avec le côté « familial accueillant » du Zoo et avec son titre d’OSBL.
Le parc animalier prétend être un organisme sans but lucratif, surtout quand vient le temps d’engager des bénévoles ou de recevoir des millions en subventions gouvernementales. Cependant, les gens à l’interne décrivent une gestion entrepreneuriale qui vise à maximiser les profits – 5,4 millions $ de surplus de janvier 2021 à janvier 2024 – et à écraser tout effort de redistribution entamé par le syndicat.
Le Zoo de Granby a les revenus et le fonctionnement d’une entreprise, mais continue d’offrir des conditions typiques du communautaire. C’est contre cette situation que se lève Camille Derome, horticultrice et responsable de la mobilisation syndicale au Zoo, avec qui je m’entretiens.
Orian Dorais : Comment s’est déroulée la négociation ?
Camille Derome : Moi et mes 130 collègues syndiqués sommes sans contrat de travail depuis le 1er janvier 2024. Il faut savoir que, jusque-là, la convention favorisait beaucoup l’interprétation des statuts par la direction. Avec l’aide des conseillers de la CSN, la convention a été réécrite pour éliminer les zones grises. En février 2024, nous avons donc déposé à l’employeur cette nouvelle entente, plébiscitée par les membres.
Dès le départ, on a vu que la partie patronale était très fermée aux changements. Après deux mois d’analyse, les négos ont commencé en avril 2024, à un rythme insatisfaisant. Au courant du printemps 2024, nous avons commencé des actions de visibilité à l’intérieur du zoo. Nos moyens de pression étaient assez classiques : port d’écussons à l’effigie du syndicat, pose de collants avec nos slogans sur les murs et distributions de dépliants aux touristes.
Notre syndicat n'a presque jamais mené de mobilisations agressives, sauf lors d’un lock-out de deux mois en 1991. Donc, la direction était pas mal sur la défensive face à nos actions. Nos cadres veulent tellement présenter le zoo comme une entreprise familiale unie… nous ne pensions pas qu’ils laisseraient la situation dégénérer jusqu’à la grève.
O.D. : C’est pourtant ce qui est arrivé…
C.D. : Oui ! La négociation était tellement lente que nous avons voté à 86% en faveur de 10 jours de grève, qui se sont déroulés en partie durant les vacances de la construction. Rien n’a bougé du côté patronal. Nous avons ensuite voté à 91% sur la possibilité d’une grève générale illimitée. Je précise que nous avons ouvert la porte à la grève générale illimitée, mais nous n’avons rien enclenché.
Le vote a eu lieu un vendredi soir, le lundi matin nous étions en lock-out. J’étais une des premières à rentrer ce lundi-là, il n’y a eu aucune annonce officielle. Les cadres nous dévisageaient avec un air narquois et nous ont laissé poireauter avant de finalement daigner nous informer qu’ils avaient décrété un lock-out. Dans les jours suivants, ils ont annoncé qu’ils nous coupaient les assurances collectives pour la durée du conflit.
Nous avons donc formé des lignes de piquetage et nous les tenons depuis quatre mois. Ç’a été difficile, nous avons piqueté pendant les journées les plus achalandées de l’année, chaque jour des milliers de gens brisaient nos lignes sans hésiter.
La direction s’est dépêchée de remettre des cartes-cadeaux aux touristes pour s’excuser du « dérangement » à l’entrée. Elle aussi versé de généreux bonus aux cadres qui sont plusieurs dizaines au Zoo et qui, pour certains, ont pris une partie de nos responsabilités. La direction a engagé des spécialistes pour gérer ses communications autour du lock-out, des avocats pour nous mettre des injonctions, etc.
C’est drôle, on nous avait dit qu’accéder à nos revendications coûterait trop cher, mais la direction semblait avoir beaucoup d’argent. À un moment, les avocats ont obtenu une injonction nous forçant à quitter le terrain du Zoo, donc il était interdit de piqueter là-bas ou même d’entrer dans le parc durant nos temps libres. Une de nos membres qui accompagnait sa fille au Zoo s’est fait retourner de bord devant tout le monde.
O.D. : Drôle de pratique de la part d’un OSBL...
C.D. : Si tu savais! Nous avons trouvé de nouveaux lieux où manifester, suite à l’injonction, qui a été partiellement levée depuis. Par exemple, nous avons fait un sit-in devant l’entreprise où le président du C.A. du Zoo travaille comme VP de département. Après plusieurs jours, il a accepté de rencontrer le président du syndicat. Peu après cette rencontre, le vice-DG du Zoo, qui est plus sensible à nos enjeux, a été invité à siéger sur le comité de négociation. Depuis les discussions vont à un meilleur rythme. Des fois, les interdictions n’ont pas toujours les effets qu’on croit (rires).
O.D. : Mais si l’on en revient aux essentiels, quelles sont vos revendications ?
C.D. : D’abord, on cherche à mieux encadrer le recours aux stagiaires et aux bénévoles, pour s’assurer qu’ils n’empiètent pas sur le travail des membres syndiqués. On veut se protéger contre toute forme de sous-traitance. Justement, la direction est présentement sous enquête pour possible utilisation de scabs dans les derniers mois.
On demande de simplifier les statuts d’emploi au Zoo et on veut que la période de probation de quinze mois soit réduite, que les tous les bénéfices de la convention s’appliquent plus tôt. Ces deux mesures devraient permettre à plus de collègues d’accéder à des emplois temps-plein.
On veut une meilleure conciliation travail-famille, par une répartition plus juste des quarts de nuit et la diminution de la semaine de travail à 37 heures maximum, si des membres en font la demande. Côté des assurances, on demande à avoir un droit de regard sur la sélection de l’assureur. On veut aussi être présent sur le comité santé-sécurité au travail, de façon paritaire.
Enfin, on demande des augmentations salariales conséquentes avec l’inflation des dernières années. Mes collègues et moi sommes des spécialistes du bien-être animal et notre contribution doit être reconnue par le Zoo, qui peut largement se permettre de nous offrir de meilleures conditions. On sent beaucoup de solidarité de la part de la CSN dans notre lutte et, même après des mois de lock-out, on lâche pas!
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