L’auteur est artiste pour la paix
Meryam Joobeur nous offre un long métrage de 118 minutes d’une très grande intensité dramatique dont on se remettra à grand peine, surtout dans cette ère trumpienne de génocide palestinien. Nos idéaux battus en brèche par le capitalisme décadent triomphant dans les laideurs télévisuelles de héros violeurs nous font revivre une chute abrupte d’idéaux tellement forte qu’elle me ramène à un monde théâtral auquel j’avais collaboré à Vienne, un mois avant mon année à Moscou en 1978 : je contribuai alors à la pièce Grandeur et décadence de Mahagonny de Kurt Weil et Bertold Brecht, qui préfigurait à sa première en 1930 l’arrivée obscène du nazisme.
Grâce à l’art exigeant et poétique de la fabuleuse réalisatrice tunisienne établie à Montréal, Là d’où l’on vient raconte un retour d’idéal déchu, qu’on devine être le Djihad islamique entrepris par deux frères, dont le désespoir si noir ne saurait être accablé davantage par quelque jugement que ce soit : se dégage, en un enchaînement de dérapages, le rachat entrevu de leurs âmes pourtant alourdies de meurtres, cette fois à la manière de Robert Bresson.
Les images magnifiquement cadrées avec d’innombrables gros plans, dans des paysages de prairies et de bords de mer tunisiens hantés par des comédiens dévorés par leurs personnages, nous plongent dans le sujet éternel de la dévastation guerrière, rarement aussi magistralement exploitée, y compris par une musique lancinante, mais pas par des violences de champs de bataille. Madame Joobeur porte son regard aiguisé sur les hommes intérieurement déchirés.
La grande majorité de nos politiciens jugent les immigrants avec arrogance, morgue et insensibilité, les envisageant au mieux comme des contributeurs à la petite économie commerciale. Quant à leur passé, on préfère ignorer leurs parcours parsemés d’embûches, que le film Io, Capitano avait choisi d’illustrer d’une façon épique avec deux acteurs flamboyants.
Tout le contraire dans ce film humble où les acteurs quoiqu’éteints réussissent inexplicablement à faire vivre ce nouvel exemple magique de l’art cinématographique féminin : on pense à Mariloup Wolfe dans Jouliks, à Barbeau-Lavalette dans Chien blanc, à Maryse Legagneur dans Le dernier repas ou au tandem Danielle Trottier-Fabienne Larouche dans Cœur battant pour leurs explorations implosives de l’intimité, ici le huis-clos implacable de réfugiés dans leur propre pays, prostrés dans la désillusion de retour d’un exil qu’on devine entrepris par l’illusion d’une croisade religieuse genre Daesh.
Mais la réalisatrice ne porte jamais de jugement, elle se contente de témoigner des douloureux ravages d’un milieu d’extrême-pauvreté rurale avec des bergers bien différents de celui volontaire sympathique du film de Deraspe. Ceux de Joobeur sont acculés à la dure, très dure tâche de survie élémentaire.
Nous contemplons, proies médusées, les tensions intrafamiliales insoutenables qu’une femme que j’ai appelée Mère Courage dans un élan brechtien, tente de calmer, en cherchant fermement à réconcilier un mari aux rigides principes traditionnels avec ses trois fils encore en vie, le plus jeune encore dans les jupes de sa mère aimante.
Mais l’un d’entre eux a ramené de Syrie une femme non musulmane pourtant vêtue d’une burka pour échapper aux regards inquisiteurs qui veulent pour la plupart la juger, une trop infime minorité cherchant à comprendre et à aimer l’étrangère impie. On s’achemine alors, inexorablement, vers un dénouement qu’on pressent sacrificiel. Ainsi, l’œuvre de Meryam Joobeur fait office de miroir embarrassant et inversé pour notre société hypnotisée par le faux glamour américain.
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