Pour un BAPE générique sur la filière éolienne

2024/12/06 | Par Luc Allaire

Devant la prolifération de projets éoliens sur le territoire agricole et habité du Québec, un regroupement d'actuels et d'anciens élus municipaux de partout au Québec demande au ministre de l'Environnement, Benoit Charette, de déclencher un Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) générique sur la filière éolienne.

Nommé Vent d’élus, ce regroupement a préparé une résolution en ce sens que 2 MRC et 21 municipalités ont adopté à ce jour. Cette résolution souligne le fait que le territoire cultivable du Québec ne représente que 2% du territoire, soit 0,28 hectare cultivable par habitant, et que toute réduction du territoire cultivable menace la sécurité et l’autonomie alimentaire.

La présidente de Vent d’élus et conseillère municipale de Saint-Zéphirin-de-Courval, Rachel Fahlman, souligne le fait que les points de départ de cette résolution sont la protection du territoire agricole et la lutte contre la privatisation de la production d’électricité.

« Actuellement, dit-elle, le BAPE fait des consultations sur les projets individuels, ce qui ne permet pas de voir l’impact cumulatif et global du développement de la filière éolienne. Même un projet important comme le projet des Neiges dans la MRC de la Côte de Beaupré qui compte 1200 MW a été développé en trois phases. Il a donc fallu trois études du BAPE pour chaque projet de 400 MW. Cela qui n’a pas permis pas de voir l’impact global de ce projet. C’est assez préoccupant. »

Cette inquiétude est renforcée par le fait que la Commission de la protection du territoire agricole (CPTAQ) a autorisé à ce jour 99 % des demandes de dérogations pour l’installation d’éoliennes en milieu agricole.

« Comment se fait-il que cette commission dont le mandat est de protéger le territoire agricole ne joue pas son rôle ? », ai-je demandé à Mme Felhman. « Encore là, chaque demande est faite à pièce, ce qui minimise les impacts de chacun des projets, a-t-elle répondu. Quand la Commission autorise l’installation d’une éolienne sur un hectare de terre, elle ne voit pas l’impact cumulatif de milliers d’éoliennes sur des milliers d’hectares. Ce que nous demandons, c’est une analyse globale pour l’ensemble du problème. »

Dans son plaidoyer, Vent d’élus s’appuie sur le rapport de Madame Janique Lambert, commissaire au développement durable du Québec, publié le 25 avril 2024, qui soulignait que les terres agricoles sont « essentielles à l’autonomie alimentaire de la population et au développement du secteur bioalimentaire. Il importe donc d’assurer la protection et la mise en valeur du territoire agricole, et ce, au bénéfice des générations actuelles et futures. »

Mme Fahlman rappelle également que plusieurs personnalités publiques, incluant le premier ministre, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, le président général de l’Union des producteurs agricoles et les deux présidents des unions municipales québécoises, se sont prononcés publiquement en faveur de la protection des terres agricoles et de l’autonomie alimentaire.
 

Le ministre de l’Environnement du Québec refuse

Questionné à ce sujet par Radio-Canada, le ministre de l'Environnement du Québec, Benoit Charette, a répondu qu’il refusait de déployer un Bureau d'audiences publiques en environnement (BAPE) générique sur le développement de la filière éolienne car, dit-il, les projets de plus de 10 mégawatts font déjà l’objet d’audiences publiques du BAPE.

Cette décision va à l’encontre du rapport du BAPE no 375 publié le 20 juin 2024, qui concluait : « Le moment est peut-être venu, 25 ans après la mise en service du premier parc éolien, d’ouvrir le débat public national sur la place de la filière éolienne dans le portefeuille énergétique du Québec et son monde de développement, incluant la prise en compte de enjeux environnementaux, sociaux et économiques. »

Ce refus de déclencher une étude environnementale stratégique sur la filière éolienne va aussi à l’encontre de l’article 95.10 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) qui prévoit que « les stratégies, les plans ou les autres formes d’orientations doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale stratégique. »
 

Le développement électrique abandonné au privé

La production éolienne au Québec, un secteur crucial dans la transition énergétique, a été essentiellement confiée au secteur privé à la suite de politiques et décisions stratégiques d'Hydro-Québec et du gouvernement provincial, souline Tommy Bureau, coordonnateur du Mouvement ACTES à la Centrale des syndicats du Québec.

Actuellement, 17% de la production électrique ayant lieu au Québec est de source privée, selon une étude de l’Institut de recherches et d’informations socioéconomiques (IRIS)1. En effet, dans le cadre de sa stratégie pour diversifier les sources d’énergie et répondre à la demande croissante en électricité verte, Hydro-Québec a opté pour un modèle de développement où les parcs éoliens sont construits et exploités par des entreprises privées.

Cette privatisation du développement électrique inquiète beaucoup les membres de Vents d’élus, qui se heurtent à la Fédération québécoise des municipalités qui cautionne cette privatisation.

« La Fédération offre un service d’accompagnement aux MRC qui souhaitent répondre aux appels d’offre, indique Rachel Fahlman. Certaines municipalités subissent des pressions de la FQM qui leur dit que si le développement éolien ne se fait pas sur leur territoire, l’argent s’en ira ailleurs. Et comme les municipalités manquent d’argent, elles acceptent de débourser des milliers de dollars d’argent public pour répondre à ces appels d’offre dans l’espoir d’avoir des retombées financières importantes. »

Or, chacune des ententes que signent les municipalités sont confidentielles. Ce modèle de production éolienne axé sur la participation du secteur privé alimente des divisions au sein des communautés. Certains résidents des régions où les parcs éoliens sont installés en ont tiré des avantages économiques, tels que des emplois ou des revenus tirés de la location de terrains, tandis que d'autres ont exprimé des préoccupations concernant les nuisances visuelles, sonores et environnementales liées aux éoliennes.

Ces tensions surviennent autour de la répartition des bénéfices économiques, notamment lorsque les profits des entreprises privées surpassent les retombées locales, laissant un sentiment d'injustice et d'inégalité parmi les communautés qui hébergent ces infrastructures.

Ce que confirme une étude publiée par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) le 14 mars 2024 qui conclut : « Les retombés économiques du développement de la filière éolienne privée ne profitent pas de façon équitable aux municipalités et aux citoyens du Québec, mais profitent surtout à l’industrie privée et à ses actionnaires. »

Dans ce contexte, « il apparait qu’un BAPE générique est le meilleur outil pour ouvrir le débat public national et faire une analyse d’ensemble », souligne le regroupement Vent d’élus. « Une résolution en ce sens a été déposée au dernier congrès de la FQM, mais malheureusement, le président de l’Alliance de l’Énergie de l’Est, Michel Lagacé, a évoqué l’existence d’un comité interne qui traitait de ce dossier et l’assemblée de la FQM a refusé d’en débattre ». À ce jour, de nombreuses audiences du BAPE ont eu lieu au Québec au sujet de nombreux projets éoliens, mais aucune analyse d’ensemble n’a été faite à ce jour.

Par conséquent, il y a urgence d’agir compte tenu de l’objectif d’Hydro-Québec de tripler le nombre d’éoliennes sur le territoire d’ici 2035.

https://iris-recherche.qc.ca/blogue/environnement-ressources-et-energie/reforme-hydro-quebec-distribution/#:~:text=En%20effet%2C%2017%25%20de%20l,Qu%C3%A9bec%20est%20de%20source%20priv%C3%A9e.