Fentanyl : Trump cible les banques canadiennes

2024/12/20 | Par Pierre Dubuc

Le 13 décembre dernier paraissait dans le Globe and Mail un article (« Canada should address issues within borders, advisers to Trump say » – Le Canada devrait s’occuper des problèmes à l’intérieur de ses frontières, selon les conseillers de Trump) dans lequel plusieurs conseillers du président élu Trump déclaraient au journaliste que la lutte contre le fentanyl dépassait le cadre étroit de l’achat d’hélicoptères et de drones. Ils pointaient du doigt la nécessité de s’attaquer au blanchiment d’argent.

Le Canada se vante de n’avoir, l’an dernier, saisi à la frontière que 19,5 kilogrammes de fentanyl, alors que 10 tonnes l’ont été à la frontière mexicaine, mais les interlocuteurs du journaliste soulignaient que le Canada détenait le championnat pour le blanchiment de l’argent de la drogue.

Les écoutes téléphoniques des agences de sécurité américaines démontraient, selon eux, des liens considérables entre les trafiquants de drogues étrangers et ceux résidant au Canada, au point où le transfert d’argent entre de riches citoyens chinois et des groupes mafieux installés au Canada était connu sous le vocable de « modèle de Vancouver ». Les conseillers américains ont proposé au président Trump « un plan d’attaque contre la colonne vertébrale financière du trafic de la drogue », rapporte le journaliste.

L’importance du fentanyl

Au Québec – et au Canada – on a tendance à sous-estimer l’importance qu’accorde Trump au fentanyl, qui fait des dizaines de milliers de victimes chaque année aux États-Unis. Un de ses principaux conseillers, Peter Navarro, y consacre deux chapitres dans son livre The New Maga Deal. The Unofficial Deplorables Guide to Donald Trump’s 2024 Policy Platform, with an introduction by Stephen K. Bannon (Winning Team Publishing, 2024).

Navarro tient la Chine pour être responsable d’au moins 90% du fentanyl trouvé aux États-Unis. Selon lui, l’industrie pharmaceutique chinoise produit 80% des agents actifs (APIs) présents dans les médicaments distribués aux États-Unis. Dans le cas du fentanyl illicite, c’est 99%. Le produit est acheminé au Mexique et est transformé en comprimés par les cartels de la drogue mexicains.

Les banques sur la sellette
Par le plus grand des hasards (!), moins d’une semaine après la publication de l’article du Globe, le gouvernement Trudeau annonçait, dans l’énoncé économique de lundi dernier, prévoir multiplier par 40 les pénalités pour les cas de non-conformité à la lutte contre le blanchiment d'argent. Tiens ! Tiens !

La sanction administrative maximale contre les banques et autres entités augmenterait à 20 millions de dollars par infraction, ou à 3 % du chiffre d'affaires brut mondial annuel de l’entreprise si ce montant est plus élevé, comparativement à 500 000 $ aujourd’hui. Pour les individus, l’amende maximum serait fixée à 4 millions $.

Ottawa prévoit également la création d'un nouveau groupe de travail pour les forces de l'ordre et le secteur financier afin d'échanger et d'analyser les informations liées aux stratagèmes de blanchiment d'argent sophistiqués, notamment liés au trafic de fentanyl.

Les États-Unis ont déjà servi un avertissement aux banques canadiennes avec la condamnation de la Banque TD pour ses activités de blanchiment d’argent en sol américain. Des criminels ont utilisé la Banque Toronto-Dominion (TD) pour blanchir plus de 969 millions de dollars issus du trafic de la drogue. Les régulateurs américains ont forcé la TD à payer 4,42 milliards de dollars pour ses manquements à la surveillance, en partie grâce à des lois qui leur permettent de facturer 500 000 $ par jour à une banque qui ne se conforme pas aux règles.

La Banque TD s’est vue également imposer des restrictions visant à mettre fin à son expansion américaine. Au cours des dernières décennies, des banques canadiennes se sont lancées à l’assaut du marché financier américain en faisant l’acquisition de banques américaines et en se montrant agressives pour élargir leur part de marché. C’est le cas particulièrement de la Banque Toronto-Dominion et de la Banque de Montréal.

Mais, contrairement au marché canadien contrôlé par six grandes banques et protégé de la concurrence étrangère par les lois fédérales, le marché américain est très compétitif et on y dénombre un grand nombre de banques. Et les banques américaines n’apprécient guère la concurrence canadienne. Elles ont, de toute évidence, l’oreille de Trump pour mettre des bâtons dans les roues des banques du « Grand État » du Nord.

Les banques canadiennes savent que les États-Unis ont accès à toutes les transactions entre banques à travers le monde à travers le système de messagerie SWIFT (Society for Worlwide Interbank Financial Telecommunication) et les transactions internationales effectuées en dollars, comme cela est démontré dans le livre de Henry Farrell et Abraham Newman Underground Empire. How America Weaponized the World Economy (Holt, 2024). (Le livre a été proclamé « Meilleur livre de l’année 2024 » par The Economist.)

Les banques se seraient fort probablement réjouies que Mark Carney accède au poste de ministre des Finances. Qui de mieux, en effet, pour défendre les banques canadiennes face à Donald Trump que l’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre.

Reste à voir maintenant si elles vont soutenir l’approche de l’apaisement de Trudeau-Legault ou celle de la confrontation de Freeland-Doug Ford.

P.S. Invitation est faite à ceux qui encensent le rôle de Chrystia Freeland lors de la renégociation de l’ALENA à lire l’histoire de cette négo vue par le négociateur américain Robert Lightizer. Cliquez ici.