Depuis quelques années, l’appui ferme à l’indépendance du Québec tourne autour de 35 % (55 % contre, 10 % indécis).
Tout le reste bouge. La CAQ, le PQ, Québec solidaire montent et descendent dans les sondages, mais l’appui à la souveraineté ne bouge pas. On débat sur la langue, l’immigration, l’identité avec ferveur, mais l’appui à l’indépendance ne bouge pas.
Je ne comprends pas pourquoi on ne veut pas être maîtres chez nous, où nous sommes majoritaires, et pourquoi on préfère s’accommoder d’un demi-État soumis aux intérêts de l’État canadien ― dans lequel nous sommes minoritaires et méconnus ― qui, lui, décide des vraies affaires.
Est-ce la peur, la lâcheté, le manque d’ambition et de fierté, le faux sentiment de sécurité, l’esprit d’accommodement, le poids des immigrants, le sentiment qu’on est là pour rester, qu’on est en dehors de l’histoire, que la politique ne change rien de toute façon?
Je viens peut-être de trouver un début de réponse dans l’excellent petit livre qu’a récement publié Simon Rainville L’indépendance pour mettre fin à l’anormalité du Québec : « Nous ne cherchons pas l’indépendance en elle-même, mais quelque chose qui en est la conséquence : la survie de la culture et de l’identité québécoise. »
Soumis à la domination britannique et privés du pouvoir de décider nous-mêmes, encouragés par l’Église, nous nous sommes repliés sur la défense de notre identité culturelle. Nous nous sommes exclus du pouvoir politique. Les Patriotes et la Révolution tranquille ont réclamé l’autonomie politique : ce fut un échec. Les Patriotes ont été pendus, le PQ a perdu deux référendums. L’État canadien a gagné, il nous a imposé de force sa constitution multiculturelle… et la CAQ continue à essayer de nous faire croire qu’on peut être souverains à l’intérieur du Canada.
Or, « les peuples qui survivent sont ceux qui se dotent d’un État », écrit Rainville. C’est l’État qui permet à la nation de s’organiser et de se perpétuer dans le temps, d’intégrer les nouveaux venus, d’intervenir en toute légitimité dans le grand monde. Tout le reste –bilinguisme officiel, biculturalisme, multiculturalisme, peuple fondateur, société distincte, doctrine Gérin-Lajoie, nationalisme culturel, contrôle de l’immigration – n’est qu’un leurre sans le pouvoir politique.
« Nous avons pris l’habitude de chercher à préserver la culture et l’identité nationale comme projet politique, parce que nous n’avons jamais eu d’État pleinement à nous. Ce faisant, nous avons développé une vision étriquée du politique comme source de légitimité et de pouvoir. »
Nous avons peur d’accéder à la souveraineté politique, de décider nous-mêmes des choix internationaux, économiques, financiers, sociaux et culturels : nous préférons résister tout en restant dépendants. Nous pensons que nous échapperons à l’Histoire en s’occupant de nos petites affaires, loin des chicanes constitutionnelles et politiques. Le syndrome de la permanence tranquille, selon Vadeboncoeur.
Nous nous trompons et l’Histoire est en train de nous rattraper. L’heure est venue pour nous tous d’oser franchement la politique, de viser l’État souverain, de sortir de notre nationalisme culturel, d’accéder à la majorité politique et de devenir une nation et un État normal. Bourgault disait justement : « Nous ne voulons pas être une province pas comme les autres, nous voulons être un pays comme les autres. »
Et Félix : « Les fruits sont mûrs dans les vergers de mon pays, ça signifie l’heure est venue, si t’as compris ». (Le tour de l’île.)
Le livre-conférence de Rainville fait aussi un survol monumental des différentes écoles d’histoire du Québec, de F.-X. Garneau aux historiens contemporains : c’est très éclairant et consolant, car on ne sait plus trop à qui se fier dans ces débats sur le sens de notre histoire.