À la fin du mois d’octobre 2024, le nouveau ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Jean-Francois Roberge, a promis pour cet hiver un nouvel exercice de planification pluriannuelle des orientations gouvernementales en matière d’immigration. Cette opération sera non seulement le geste le plus important de son mandat comme ministre, mais il a le potentiel d’être une des initiatives majeures entreprises par ce gouvernement pour l’avenir du Québec.
Ces orientations pourront jeter les bases pour une société québécoise harmonieuse, équitable, juste et compatissante pour toutes les personnes qui y résident. Une société où tout le monde peut s’épanouir et contribuer à la prospérité et au bien commun du Québec selon ses capacités, en français et avec un sentiment d’appartenance partagé. Une société où les droits et les devoirs sont compris et acceptés. Une nation qui reconnait ses responsabilités humanitaires sur le plan international.
Une fondation d’accueil et d’ouverture
Heureusement, on ne part pas de rien. Le peuple québécois a déjà un sens poussé du bien commun et n’a pas peur d’accueillir les personnes venant d’ailleurs, et ce, malgré un discours ambiant qui voudrait nous faire croire le contraire.
Les résultats d’une enquête d’Environics, publiés à la fin du mois d’octobre, ont fait la manchette des médias au Québec. On était bien fier de constater que si, dans le reste du Canada, 62 % de la population répondait qu’il y a trop d’immigration au pays, ce chiffre n’était que de 47 % au Québec.
Le sondage est allé plus loin et on a posé une question ouverte aux personnes qui ont répondu le contraire : « Pourquoi vous dites qu’il y a trop d’immigration? » Au Québec, il y avait davantage de réponses mettant en cause la mauvaise gestion par le gouvernement que de réponses trouvant que l’immigration est une menace à la langue ou la culture. En fait, ce segment ne représentait qu’un mince 9,7 % des réponses du Québec.
Les réponses à une autre question concernant l’attitude envers les personnes immigrantes sont encore plus révélatrices : « Somme toute, pensez-vous que les immigrantes et immigrants qui viennent s’installer dans votre communauté locale (sic) font de celle-ci un meilleur endroit, un pire endroit ou ne font pas vraiment de différence? »
Au Québec, 53 % ont répondu que les personnes immigrantes qui viennent s’installer dans leur communauté locale ne font pas de différence à la communauté, ni meilleure ni pire. Assez équilibrée comme attitude. Pour le reste, 31 % ont répondu qu’elles font de leur communauté un meilleur endroit et, de ce 31 %, 77 % justifiaient leur réponse en constatant que c’est parce que les personnes immigrantes ajoutent à la diversité.
Parmi les 7 % qui répondaient que les personnes immigrantes font de leur communauté un pire endroit (ce qui constituait de loin le plus faible pourcentage de toutes les régions du Canada), 58 % ont exprimé des opinions telles que « Les immigrants affaiblissent l’identité/la culture/les valeurs/la langue locale/Il y a trop de gens qui viennent ici qui ne sont pas comme « nous »/Il y a trop de « multiculturalisme ». (C’était une question ouverte; les gens pouvaient écrire la réponse dans leurs mots.)
L’enquête incluait aussi des questions qui touchaient plus précisément les préjugés et la discrimination.
« Êtes-vous d’accord ou en désaccord avec les affirmations suivantes » :
Sur les demandeurs d’asile
• « Les gens qui arrivent au Canada et qui disent être des personnes réfugiées imposent un lourd fardeau à notre système de sécurité sociale. »
En 2023, 47 % se disaient d’accord au Québec, 57 % dans le reste du Canada. Depuis que la question est posée, le Québec a toujours appuyé cette affirmation moins que le reste du Canada. En 1992, le reste du Canada était d’accord à 81 %, le Québec à 75 %. Ces résultats sont particulièrement intéressants, compte tenu du débat public où on a martelé pendant des mois les coûts associés aux demandeurs d’asile au Québec.
Sur la discrimination
• « Il est plus difficile pour des personnes non blanches de réussir dans la société canadienne que pour les personnes blanches. »
53 % au Québec d’accord, seulement 41 % en désaccord.
• « Le gouvernement devrait faire beaucoup plus pour s’assurer que les minorités raciales sont traitées équitablement.»
76 % au Québec d’accord.
En général, l’enquête trace un portrait d’un peuple avec une attitude éclairée, saine et ouverte en ce qui concerne l’immigration. Un peuple qui reconnait qu’il y a des personnes qui ont une vie plus difficile que d’autres et qu’il faut agir pour l’équité et pour le bien commun.
Collaborer pour maintenir la confiance de la population
Tout consensus public est pourtant fragile. Pour bâtir sur cet avantage québécois, il est critique que les orientations qui seront adoptées reflètent ce consensus et visent à maintenir la confiance de la population dans la bonne gestion de l’immigration.
Cela va prendre un sérieux effort de collaboration et de transparence de la part de tous les partis politiques. Les orientations adoptées cette année dépasseront la prochaine échéance électorale. Le moment est venu de placer l’avenir de la cohésion sociale au Québec avant l’avenir d’un parti.
Une consultation publique d’écoute et d’échange
Avant l’adoption, le ministre déposera ses orientations à l’Assemblée nationale pour une consultation générale tenue sous les auspices de la Commission des Relations avec les citoyens. Une façon de démontrer une nouvelle collaboration transpartisane serait une révision des règles de fonctionnement traditionnelles de la Commission.
La politique d’immigration a un impact sur tous les secteurs de la société, y compris le monde syndical et celui des employeurs, les villes urbaines, périurbaines et rurales (logement, transport en commun), le milieu communautaire dans son ensemble, celui de l’enseignement primaire, secondaire et postsecondaire, des services de garde, le milieu de la santé et des services sociaux, les milieux juridique, agricole et culturel. Forcément, elle touche aussi plusieurs ministères, organismes et agences.
Les règles traditionnelles de la Commission sont trop rigides et ne permettent pas un échange entre ces milieux. Elles renforcent et encouragent la partisanerie et les silos et ne permettent pas aux parlementaires de confronter les positions de certaines parties prenantes à celles des autres.
Il n’y a pas de place pour un échange entre elles qui éclairerait mieux les parlementaires sur les enjeux et les aiderait à jauger les priorités parfois contradictoires. Les témoins, convoqués l'un après l’autre, quittent les consultations avec les mêmes positions qu’ils avaient en rentrant, se croisant les doigts pour que leurs priorités se trouvent dans les orientations finales.
Un premier pas à faire dans le but de maintenir la confiance des citoyennes et citoyens serait de créer une ambiance d’écoute et d’échanges réels. Ensuite, il faut que le gouvernement se donne la marge nécessaire pour modifier les orientations selon les résultats des consultations.
Il y a d’autres défis reliés à la consultation à venir. Puisque les orientations couvriront tous les aspects de l’immigration au Québec, tant temporaire que permanente, il sera important que le document contextuel accompagnant les orientations proposées inclue de nouvelles informations et statistiques qui permettront de comprendre les choix gouvernementaux.
Les enjeux à considérer dans les orientations et les consultations sont trop nombreux et complexes pour être abordés dans ce premier texte sur le sujet. Nous y reviendrons. La reconnaissance de l’attitude généralement bienveillante de la population québécoise envers l’immigration avec une procédure de consultation qui la reflète sera déjà un gage de succès de cette initiative importante.
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