
Il est naturel pour des indépendantistes de vouloir soutenir des entreprises québécoises face aux compagnies étrangères. Après tout, un Québec dont l’économie serait complètement dépendante d’acteurs internationaux serait-il vraiment maitre chez lui? Voilà pourquoi les cercles souverainistes ont particulièrement mal réagi lors de la vente de fleurons, comme Le Cirque du Soleil, Vachon, St-Hubert ou RONA, qu’il serait pertinent de voir repasser sous contrôle québécois. On souhaiterait voir la Caisse de dépôt ou Investissement Québec intervenir en ce sens.
Par contre, il arrive que des membres du « Québec Inc. » aient des pratiques à ce point méprisables qu’il devient ardu de les appuyer, même pour des purs et durs de la cause nationale. On peut penser à Bombardier, champion incontesté du BS corporatif, à SNC-Lavalin, qui collectionne les scandales de corruption depuis des années, ou encore à Olymel, un employeur en tout point exécrable. La même logique s’applique à Béton Provincial, qui a mis une cinquantaine d’employés en lock-out quelques semaines avant les Fêtes. Retour sur cette décision honteuse avec Kevin Gagnon, président de la Fédération de l’Industrie manufacturière (FIM-CSN).
Orian Dorais : Pour résumer, monsieur Gagnon, les membres de votre syndicat qui sont en lock-out travaillent dans des usines de Longueuil et de Lasalle, qui appartiennent maintenant à Béton Provincial. Est-ce exact?
Kevin Gagnon : En gros, c’est ça. Les sites de Lasalle et Longueuil appartenaient à Demix Construction, une division québécoise du groupe irlandais CRH. Je ne veux pas trop lancer des fleurs à Demix, ça n’a vraiment pas toujours été facile de s’entendre avec cet employeur, mais nos membres de Lasalle-Longueuil avaient une des bonnes conventions dans le secteur bétonnier quand ils étaient avec Demix.
Le syndicat avait réussi à obtenir plusieurs avantages. Donc, l’ancien propriétaire était loin d’être parfait, mais on avait jamais fait face à une situation aussi préoccupante que celle qu’on vit depuis que Béton Provincial a racheté les usines. La transaction s’est faite au printemps 2024 et, presque immédiatement, on a constaté un changement de cap assez radical par rapport aux dernières années.
O.D. : Donc, quand Béton Provincial s’est porté acquéreur des propriétés Demix, étiez-vous déjà méfiants ou est-ce que son intransigeance vous a surpris?
K.G. : Avant même que le rachat soit finalisé, on avait déjà une certaine inquiétude. Béton Provincial n’a pas une très bonne réputation en ce qui a trait aux relations de travail. Les mois suivants nous ont montré à quel point ces nouveaux propriétaires ont peu de considération pour la partie salariée.
À la table, la partie patronale a commencé en demandant un gel salarial de 2024 à 2027, suivi d’une hausse dérisoire de 2% pour 2027-2028 et 2028-2029. Béton Provincial veut aussi arrêter de contribuer sa part de 5,5% au REER partagé et demande l’abolition du régime d’assurance actuel, financé en totalité par l’employeur. À la place, il veut que nos membres paient pour leurs assurances.
Avec l’inflation des dernières années, trouvez-vous que c’est acceptable de demander des gels salariaux? Ou d’arrêter de contribuer à des fonds dont les employés ont besoin?
O.D. : Alors, comment se sont déroulées les négos? J’imagine que les demandes patronales n’ont pas très bien passé auprès des syndiqués…
K.G. : Elles ont été refusées en bloc lors d’assemblées. Il y avait une différence significative entre nos revendications et celles de l’employeur. Nous demandions une augmentation de 8,5% la première année, 3,5% la deuxième et 3% la troisième. Ce n’est pas démesuré si on garde en tête l’augmentation faramineuse du coût de la vie.
On veut aussi protéger les acquis de la dernière convention, donc maintenir – voire élargir – les cotisations aux assurances et aux retraites. Mais les négos n’ont pas vraiment progressé, malgré plusieurs tentatives de la part du syndicat de faire avancer les discussions. Nos membres de Lasalle-Longueuil sont donc sans contrat de travail depuis le 30 septembre 2024.
Au cours du conflit, le syndicat a obtenu un mandat de grève de dix jours et une demande en médiation a été faite. Mais, le 5 décembre, l’employeur a unilatéralement imposé un lock-out. Aucune journée de grève n’avait été utilisée et aucun conciliateur n’avait encore été nommé. Béton Provincial n’a même pas laissé le temps de trouver quelqu’un qui devait essayer de rapprocher les deux parties. Le but de décréter un lock-out aussi tôt était d’affamer les grévistes pour la saison hivernale.
O.D. : Qu’est-ce que vous voulez dire ?
K.G. : Si le lock-out avait été imposé après le 20 décembre, ç’aurait été déloyal et abusif, mais au moins nos membres auraient eu accès à l’assurance-emploi. En date du 5 décembre, nos travailleurs et travailleuses n’avaient pas les prérequis pour recevoir ces prestations. C’est pour ça que l’employeur a choisi cette date.
C’était un beau cadeau de Noël de la part de Béton Provincial : votre temps des Fêtes que vous vouliez passer en famille, ce sera avec une grosse perte de revenus. C’est faire preuve d’un mépris incroyable à l’endroit du personnel, qui cumule des années ou même des décennies de service.