
La menace lancée par le président élu des États-Unis d’imposer une taxe de 25% sur toutes les importations canadiennes, tant que le pays n’aura pas mieux sécurisé ses frontières, est sans doute une tactique de négociation de la part d’un « deal maker » qui n’a jamais hésité à utiliser de telles pratiques d’intimidation dans ses rapports avec ses vis-à-vis.
La première réaction du Canada a été de céder au chantage et d’annoncer de nouvelles dépenses pour la surveillance des frontières. Nous avons, en parallèle, fait valoir qu’une telle taxe rendra les produits canadiens plus coûteux aux États-Unis, et que ce sont donc les consommateurs et les entreprises américaines qui en paieront la note. Avec cet argument, le Canada mise sur nos contacts commerciaux et politiques pour faire reculer Donald Trump. Cette approche diplomatique nous a permis d’éviter le pire lors de la renégociation de l’ALENA, durant le premier mandat de celui qui redeviendra président le 20 janvier prochain.
Mais comme l’exprimait Jean Chrétien, dans sa lettre ouverte de la semaine dernière, le Canada ne peut pas se contenter d’une approche défensive en misant sur l’argument que nous sommes le meilleur allié des États-Unis et son plus important partenaire commercial. Nous devons au contraire préparer et annoncer dès maintenant une réponse forte à la menace de M. Trump.
Lorsque les USA ont imposé des tarifs injustifiés sur nos exportations d’aluminium ou d’acier, nous avions bien timidement imposé des tarifs sur quelques produits symboliques. Début janvier, Ottawa a mentionné une fois encore cette possibilité, en donnant comme exemple les jus d’orange de la Floride, les fleurs, la verrerie, les céramiques et accessoires de salle de bain, certains produits dérivés de l’acier pour lesquels il existe des équivalents canadiens, etc. Des actions bien peu significatives.
Taxer les barbares numériques
Une réponse beaucoup plus efficace serait de viser directement les entreprises américaines du Web qui drainent des milliards en envahissant le marché canadien, sans contribuer à notre économie. Pensons notamment aux Facebook, X, Netflix, Amazon, Uber, Airbnb et autres « barbares » numériques.
Le Canada parle depuis des années de taxer les activités canadiennes de ces multinationales, mais le gouvernement américain a réagi en nous menaçant d’imposer des tarifs commerciaux punitifs si nous le faisions. Résultat, Ottawa n’a pas osé. Mais puisque le président républicain prend les devants et annonce déjà l’imposition de tarifs punitifs, cela nous donne le champ libre pour enfin poser ce geste.
Cette réponse serait d’autant plus pertinente en tenant compte de l’attitude inacceptable des barbares numériques face à l’autonomie des autres nations. Elon Musk, premier conseiller de Trump, n’a pas hésité à mettre son réseau X au service des partis d’extrême droite partout dans le monde. Et de se mêler de la politique canadienne. Et Mark Zukerberg a eu deux rencontres privées avec le futur président, avec comme première motivation, selon une enquête du New York Times, de lui demander de protéger ses réseaux contre les velléités de réglementation des autres pays. Bref, menacer ce secteur, c’est frapper au cœur même de la base politique de Trump.
En plus de taxer directement le chiffre d’affaires que ces géants réalisent au Canada, Ottawa et les provinces devraient aussi annoncer que les dépenses publicitaires des entreprises canadiennes sur les réseaux sociaux américains ne seront plus déductibles de leurs revenus. Seules les dépenses sur sites Web et les réseaux sociaux sous contrôle canadien seraient admissibles à une déduction.
L’adoption de telles mesure ne concerne pas que le fédéral. Même avec la perspective d’un gouvernement fédéral de Poilièvre assujetti à Trump, les provinces pourraient annoncer dès maintenant leur intention de poser de tels gestes. Voilà le genre de mesure qui ferait mal aux USA, sans que les Canadiens n’aient à payer plus cher pour les produits importés.
Et le secteur de la Défense?
On pourrait aussi menacer de sévir dans un tout autre secteur, celui du matériel militaire. Le Canada et les USA ont signé en 1959 un accord sur le partage de la production de défense (APPD) et les USA ont par la suite exempté le Canada du Buy American Act, mettant l’industrie canadienne sur un pied d’égalité avec les entreprises américaines pour les appels d’offre dans ce secteur.
Mais si Donald Trump veut inclure les fournisseurs canadiens de matériel militaire dans cette éventuelle taxe « universelle » de 25%, Ottawa devrait annoncer que ce geste conduirait le Canada à geler sur-le-champ TOUS les achats de l’armée aux États-Unis, incluant notre commande de 19 milliards de dollars pour l’acquisition de 88 chasseurs F-35 du constructeur Lockheed Martin, dont la livraison doit commencer d’ici la fin de 2025. Voilà une mesure qui aurait très peu d’effet négatifs sur notre économie, qui diminuerait notre déficit budgétaire, et aurait une forte portée symbolique au moment où les Américains font au contraire pression pour que nous augmentions nos investissements dans ce secteur… une dépense inouïe qui nous forcera à couper massivement dans les programmes sociaux.
Même si Ottawa n’a pas la volonté politique de poser ce genre de gestes, affirmer publiquement qu’on le ferait si Donald Trump continue de nous menacer serait une excellente façon de l’amener à réfléchir.