Le Centre international de solidarité ouvrière fête ses 50 ans cette année. Il a été fondé à la suite de la Conférence internationale de solidarité ouvrière qui s’est tenue à Montréal en juin 1975. Présidée par Michel Chartrand – alors du Conseil central des syndicats nationaux de Montréal de la CSN – cette conférence a réuni plus de 600 participants pendant quatre jours, dont une délégation étrangère de 43 personnes provenant d’Afrique, d’Amérique latine, des Antilles et du Monde arabe.
Pendant 4 jours, ces 600 personnes ont vécu une période de solidarité intense au cours de laquelle « ils ont pu comparer leurs expériences et leurs luttes avec celles des militants étrangers et ceux du Québec contre l’ennemi commun : le capitalisme et les multinationales », soulignait alors Hubert Sacy, responsable de l’information à cette conférence.
La situation du Chili et de la Palestine au cœur des débats
Le coordonnateur général de l’Unité populaire du Chili, Rafael Augustin Gumucio, participait à cette conférence. Dans son discours, il a déclaré que les travailleurs chiliens subissaient la plus cruelle répression jamais connue en Amérique latine, après le coup d’État au Chili du 11 septembre 1973 qui a entrainé la chute du gouvernement présidé par Salvador Allende.
La question palestinienne a aussi été longuement discutée lors de cette conférence. Le représentant de la Conférence internationale des syndicats arabes, Soliman Ali Ahmed, a alors dénoncé le fait que « l’impérialisme, le sionisme et les forces réactionnaires ont collaboré à la création de l’État d’Israël aux dépens du peuple palestinien qui fut chassé de son pays par la force. Sur la Palestine, ils ont établi une base impérialiste bâtie sur l’agression, le racisme, afin de protéger leurs intérêts pétroliers dans la région arabe et pour faire taire le progrès et le développement du monde arabe ».
Le président de la CEQ (aujourd’hui la CSQ), Yvon Charbonneau, a appelé les travailleurs de tous les continents, regroupés en syndicats et en partis politiques, à construire leur solidarité concrète. « Pour nous au Québec, cette conférence nous rappellera que la lutte des travailleurs contre le capitalisme et ses manifestations politiques est une lutte de caractère essentiellement international. »
La naissance du CISO
De cette conférence internationale est né le Centre international de solidarité ouvrière. En effet, les organisations syndicales québécoises se sont alors unies pour créer un organisme de solidarité internationale dont la direction est composée essentiellement de représentantes et représentants de syndicats. Encore aujourd’hui, le Comité exécutif est composé de porte-paroles de la CSN, de la FTQ, de la CSQ, de la FIQ et de l’APTS. Au conseil d’administration, on retrouve des personnes déléguées par des syndicats de divers secteurs, comme les Métallos, UNIFOR, le CRFTQMM, la FNEEQ-CSN, le CCMM-CSN, le SCFP, etc.
« Les militantes et militants qui ont organisé cette Conférence en 1975 seraient très fiers de constater qu’un demi-siècle plus tard, les syndicats continuent de porter son héritage en faveur d’un monde plus juste et plus démocratique auprès de leurs membres et des alliés internationaux », affirme la coordonnatrice du CISO, Amélie Nguyen.
« Notre organisation continue à remettre en question les fondements injustes de l’économie actuelle et à rendre visibles ses impacts sur les droits humains et l’environnement, notamment l’exploitation intolérable d’une grande partie des travailleuses et travailleurs du monde et l’affaiblissement des systèmes démocratiques au bénéfice des plus nantis. »
Renforcer la solidarité syndicale internationale
La mission du CISO vise à renforcer la solidarité internationale entre travailleuses et travailleurs pour un monde plus juste et démocratique, grâce à une compréhension des causes communes des violations de leurs droits, ici et ailleurs. Cela passe par l’éducation populaire et des actions concrètes de solidarité internationale pilotées par des partenaires de confiance et de longue date du CISO dans divers pays, comme le Mexique, Haïti, le Chili, le Bangladesh, la Palestine ou la Colombie.
En 2025, le CISO tiendra plusieurs activités, dont une exposition de photos retraçant son histoire, qui sera dévoilée en mai prochain. Il y aura aussi une journée de réflexion sur la solidarité syndicale internationale en novembre ou décembre 2025, suivie d’une soirée festive.
Ces activités entourant le 50e anniversaire visent notamment à faire connaître et reconnaître la singularité et l’apport du CISO en solidarité internationale, afin de contribuer à sa pérennité.
La fin de l’ACDI
Pendant des années, le CISO a bénéficié de subventions de l’Agence canadienne de développement international (ACDI). En 2013, lorsque le gouvernement Harper a décidé de fermer l’ACDI pour la remplacer par Affaires mondiales Canada, le CISO comptait six employés permanents et menait des projets de coopération dans plusieurs pays d’Amérique latine, en Haïti et en Afrique francophone. Aujourd'hui, grâce à sa persévérance et sa ténacité, le CISO fonctionne depuis plus de 10 ans grâce à sa coordination, à une chargée des projets internationaux, à une personne à la comptabilité et de nombreuses personnes ayant obtenu des mandats temporaires, qui contribuent à enrichir l'expertise collective de la communauté de la coopération et de la solidarité internationale québécoise, et auxquels s'ajoutent de nombreuses militantes et militants.
Cette décision de fermer l’ACDI a mis un terme à une vision solidaire de l’aide internationale canadienne. Dans les années 1960, un visionnaire, Paul Gérin-Lajoie, était nommé à la tête de l’ACDI. Fort de ses succès en tant qu’ex-ministre de l’Éducation dans le Québec de la Révolution tranquille, il a doté l’ACDI d’une mission : participer au développement des pays du Sud global. À l’ONU, le Canada se fait alors le champion du développement en réclamant une contribution mondiale équivalente à 0,7 % du PIB des pays riches dans la bataille mondiale contre la pauvreté.
Lorsque le parti conservateur de Stephen Harper forme un gouvernement minoritaire en 2006, il modifie graduellement les règles de fonctionnement. Avec la fusion de l’ACDI au ministère des Affaires extérieures et du Commerce international (MAECI), la mission n’est plus la lutte contre la pauvreté, mais la défense des intérêts économiques du Canada dans le monde. En fait, tous les principes sur lesquels l’ACDI a été construite sont systématiquement détruits.
Le Canada devient alors, selon l’OCDE, le mauvais exemple des pays en réduisant sa contribution au développement international à des niveaux inédits, cette contribution a été réduite à 0,27 % du PIB. Depuis ce temps, le gouvernement libéral de Justin Trudeau n’a pas haussé le financement de l’aide internationale.
Les syndicats exclus des subventions à l’aide internationale
Depuis 2013 donc, le CISO de même que les organisations syndicales n’ont plus accès aux subventions du gouvernement fédéral pour développer des projets de coopération internationale. À l’époque, la CSN, la CSQ, la FTQ et l’UPA disposaient de subventions pour aider des organisations syndicales des pays du Sud global à se développer.
« Pour faire face aux enjeux actuels et globaux que sont la lutte aux changements climatiques, la hausse des inégalités, la montée de l’extrême-droite dans de nombreux pays, la solidarité syndicale internationale est essentielle », souligne Amélie Nguyen.
Le CISO, dans ses activités d’éducation et de solidarité, adopte une approche critique « visant à remettre en cause et à déconstruire les rapports de pouvoir historiques qui ont engendré une exclusion et des violations de droits des communautés du Sud global. La colonisation, la mondialisation néolibérale et les préjugés fondés sur la race, le genre et la classe sociale sont à l’origine de ces mécanismes d’exclusion, tant sur le plan national qu’international. L’autodétermination des peuples et des collectivités demeure centrale à l’atteinte des objectifs du CISO ».
« Nous demeurons persuadés que cette approche demeure des plus pertinentes pour faire face à un système économique et financier générant des crises multiples – écologique, sociale, démocratique… – dont les impacts croissants sont vécus par les populations d’ici et d’ailleurs, alors que le pouvoir des entreprises transnationales est toujours plus démesuré », de conclure Amélie Nguyen.