
L’imposition de tarifs douaniers a été la politique des États-Unis au XVIIIe et XIXe siècle pour protéger leur base industrielle naissante. Le pays s’est ensuite lancé à la poursuite de marchés avec la conquête de nouveaux territoires. À l’époque du président McKinley – le nouveau modèle du président Trump – les États-Unis chassent les Espagnols de Cuba, prennent possession de Porto Rico, de Guam et des Philippines, annexent l’île d’Hawaï et terminent (après la mort de McKinsey) la construction du canal de Panama.
Au début du XXe siècle, la concentration de la production, la formation de monopoles industriels et leur fusion avec des banques toujours plus puissantes ont donné naissance au capital financier. Un nouvel impérialisme a remplacé l’ancien, basé non plus sur l’exportation des marchandises, mais sur celle des capitaux.
Il n’était plus nécessaire de posséder formellement des colonies, le nouvel impérialisme pouvait assujettir avec ses capitaux des pays formellement indépendants. Sous l’administration du président Woodrow Wilson (1913-1921), les États-Unis ont proclamé le droit à l’autodétermination des nations et, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ils ont facilité le démantèlement des empires coloniaux français et britannique en soutenant les mouvements de libération nationale.
Après la chute du Mur de Berlin, leurs multinationales ont exporté d’énormes capitaux dans les pays d’Europe de l’Est et en Russie. Pour profiter d’une main-d’œuvre à bon marché, ils ont démantelé leurs entreprises aux États-Unis pour les relocaliser en Chine et en faire l’atelier du monde. L’objectif était la mondialisation, soit la création d’un vaste marché mondial, qui serait dominé par les États-Unis, appuyé par une puissante armée.
Toutefois, la Russie, mais surtout la Chine, ont profité de leur association avec les entreprises américaines pour développer en parallèle leur propre économie et contester l’hégémonie américaine.
Le retour du vieil impérialisme
Aujourd’hui, les États-Unis veulent reconstruire leur base industrielle. L’administration Biden a misé sur le développement des nouvelles technologies avec des investissements massifs dans le cadre du programme mal nommé Inflation Reduction Act. Trump semble plutôt vouloir rebâtir le secteur industriel traditionnel en le protégeant avec l’aide de tarifs douaniers. Mais il est aussi entouré par les leaders des nouvelles technologies, les Musk, Zukenberg, Thiel et autres ténors de la Silicon Valley. Nous verrons comment s’articulera sa stratégie avec ces deux composantes aux intérêts divergents.
Cependant, dans tous les cas, l’économie américaine nécessite un formidable approvisionnement en richesses naturelles, bien au-delà des réserves présentes sur son territoire. Les États-Unis doivent aussi en priver les puissances concurrentes. La tâche n’est pas facile, parce que de plus en plus de pays où se trouvent ces ressources – les pays du Sud global – préfèrent faire affaire avec la Chine.
Donnons un exemple. Il y a quelques années, le New York Times a exprimé sa consternation face au fait qu’une entreprise chinoise ait acquis une mine de cobalt de grande importance au Congo. N’y avait-il pas une compagnie américaine en mesure de faire une meilleure offre?, demandait le quotidien.
Alors, à défaut de pouvoir damer le pion à la Chine, Trump s’engage à recourir aux méthodes expansionnistes du vieil impérialisme du XIXe siècle : reconquérir militairement le canal de Panama, acheter le Groenland, etc.
L’intégration du Canada aux États-Unis
Trump a exprimé son rêve de faire du Canada le 51e État des États-Unis. Mais il sait que c’est politiquement impossible. Alors, il veut procéder à son intégration économique, en agitant la menace d’imposition de tarifs pour arracher des concessions.
Le processus d’intégration est enclenché depuis plusieurs années, notamment dans les secteurs pétrolier et de l’automobile. Washington convoite aujourd’hui les minéraux stratégiques, essentiels pour le complexe militaro-industriel, dont regorge le Canada. Déjà, sous l’administration Biden, le Département de la défense a investi dans des projets miniers. L’exploitation minière nécessite aujourd’hui énormément d’énergie, d’où les projets de production d’hydrogène au Québec. Les États-Unis vont aussi exiger un allègement, voire l’élimination complète, de la réglementation, particulièrement environnementale, qui retarde la mise en exploitation.
Les banques canadiennes sont aussi placées sous surveillance. Leurs investissements aux États-Unis font concurrence aux banques américaines. Pour restreindre leurs activités, les États-Unis les accusent de blanchir l’argent sale de la drogue.
Déjà, sous l’administration Biden, les régulateurs américains ont forcé la Banque Toronto-Dominion (TD) à payer 4,42 milliards de dollars pour avoir blanchi plus de 969 millions de dollars issus du trafic de la drogue. La Banque TD s’est vue également imposer des restrictions visant à mettre fin à son expansion américaine.
Avant même l’intronisation de Trump, ses conseillers ont fait savoir que la lutte contre le fentanyl dépassait le cadre étroit de l’achat d’hélicoptères et de drones. Ils ont pointé du doigt la nécessité de s’attaquer au blanchiment d’argent. Moins d’une semaine après la publication de leurs doléances, le gouvernement Trudeau annonçait prévoir multiplier par 40 les pénalités pour les cas de non-conformité à la lutte contre le blanchiment d'argent.
Difficile de déterminer, à l’heure actuelle, l’ensemble des secteurs économiques qui seront visés par l’administration Trump, mais n’oublions pas l’abolition de la gestion de l’offre en agriculture, ce qui serait un désastre pour le Québec.
Le président Trump va, de toute évidence, accentuer ses pressions pour l’augmentation du budget militaire pour atteindre la cible d’au moins 2% du PIB. Trump évoque maintenant une cible de 5%.
Bien naïvement, l’éditorialiste Stéphanie Grammond de La Presse+ argumente qu’il sera possible d’encadrer cette augmentation des dépenses d’armements dans une « politique industrielle militaire » canadienne. Mme Grammond n’a pas encore compris que l’objectif de Trump est de procurer des contrats d’armements aux industries militaires américaines… situées aux États-Unis. Elle n’est pas seule. Que dire de la GRC qui a acheté des drones chinois pour surveiller la frontière!
La riposte canadienne
Politiciens et médias propagent l’idée d’une riposte unifiée du Canada face aux menaces de Trump. Tout est sur la table, proclament le gouvernement Trudeau et les premiers ministres des provinces… sauf l’Alberta.
En 2023, le pétrole représentait près de 30% de la valeur des exportations canadiennes. De plus, pour répondre à Trump, un groupe d’hommes d’affaires et d’experts en politique étrangère, l’Expert Group on Canada-US Relations, propose de diversifier les marchés d’exportation du pétrole, du gaz naturel et des métaux stratégiques. Il faudrait donc, selon eux, faciliter la construction de nouveaux pipelines et d’usines de liquéfaction du gaz naturel.
Le chef conservateur Pierre Poilièvre a fait sienne leur proposition. « La solution, c’est d’arrêter d’être stupide et de commencer à construire des usines de GNL [gaz naturel liquéfié], des pipelines, des raffineries, des unités de valorisation et d’autres infrastructures énergétiques, afin de pouvoir vendre notre énergie au reste du monde sans passer par les Américains », a-t-il déclaré. Les premiers ministres de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse ont donné leur soutien à ce plan.
Mais construire de telles infrastructures prendra du temps et la diversification des exportations canadiennes pourrait froisser Donald Trump. Aussi, la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, y est allée d’une autre proposition, après avoir rencontré Trump à Mar-a-Lago.
Pourquoi ne pas, plutôt, doubler notre production de pétrole lourd et augmenter les exportations aux États-Unis pour leur permettre d’exporter encore plus de pétrole léger dans le reste du monde? Signalons que les raffineries du Midwest américain ont été conçues pour traiter le pétrole lourd de l’Alberta.
Des pipelines traversant le Québec, des usines de liquéfaction de gaz naturel, le Québec est-il prêt à devenir le vassal du Canada pétrolier? Le premier ministre Legault semble l’être. Il s’est dit d’accord pour que le gouvernement fédéral compense l’Alberta – avec l’impôt des Québécois – si le Canada décidait de réduire les exportations de pétrole en réplique à l’imposition de tarifs. Est-il également prêt à ce que le fédéral finance la solution Smith?
Nous sommes entrés dans un nouveau monde, un monde de grandes turbulences. Un monde où le Canada risque l’éclatement. Le mouvement indépendantiste québécois doit en prendre note.
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