Dans son édition du 30 novembre 2024, le magazine The Economist publiait en page frontispice une photo du nouveau président argentin Javier Milei coiffé du titre « My contempt for the state is infinite » (« Mon mépris pour l’État est infini ») accompagné du sous-titre : « What Javier Milei can teach Donald Trump » (« Ce que Javier Milei peut enseigner à Donald Trump. »)

De toute évidence, le message s’est bien rendu au camp Trump. Invité à la cérémonie de prestation de serment du nouveau président, Milei a été le premier représentant d’un pays à être reçu à la Maison-Blanche. Le département à l'Efficacité gouvernementale (DOGE), dirigé par Elon Musk, est un calque d’un comité argentin dirigé par Federico Sturzenegger.

La symbiose entre ces deux gouvernements aurait pu en rester là, mais, dans son édition du 1er février 2025, The Economist revient à la charge. Sous le titre « The revolt against regulation » (« La révolte contre la réglementation »), le magazine britannique, qui est une référence pour les milieux d’affaires du monde entier, érige la politique Milei-Trump en modèle pour les autres pays.

Bien entendu, Milei – qui a fait campagne avec une tronçonneuse – et Trump poussent la « révolte » à la caricature, mais une vague mondiale plus « modérée » pour la déréglementation est en marche, selon The Economist. Une « révolution » qui n’aura rien à envier à la « révolution » Thatcher-Reagan des années 1980.

Au Canada, les programmes de Pierre Poilièvre et des candidats Mark Carney et Chrystia Freeland à la succession du Parti libéral s’inscrivent dans cette mouvance, avec l’appui enthousiaste des médias traditionnels.

La thérapie de choc de Milei

Depuis son arrivée au pouvoir, il y a un peu plus d’un an, le gouvernement Milei a réduit d’un tiers les dépenses publiques, supprimé 35 000 postes de fonctionnaires, diminué de moitié le nombre de ministères. Il a mis fin à la plupart des travaux publics et aux transferts aux gouvernements provinciaux. Mais les principales économies proviennent du gel des pensions de retraite.

Milei prend soin de ne pas toucher aux prestations sociales versées aux plus pauvres. La cible principale est la fonction publique, l’appareil de l’État. Le ministre chargé d’opérer la tronçonneuse, Federico Sturzenegger, est un diplômé de Harvard et un ancien président de la Banque centrale argentine. Tous les jours, il annonce au moins deux suppressions ou modifications de normes sur son compte X, le réseau privilégié par le gouvernement pour communiquer avec les 45 millions d’Argentins. Avec ses « Milei boys », il a déjà épluché plus de 4000 lois.

Milei est un libertarien. Il affirme, dans l’entrevue accordée à The Economist, que toute restriction au développement de la libre entreprise « mène au socialisme ». Il combat « l’idéologie transgenre », s’oppose à l’avortement et nie que la cause des changements climatiques est l’activité humaine.

The Economist s’empresse de faire l’éloge du « modèle Milei » avant qu’apparaissent au grand jour les conséquences de toutes ces coupures. Le pays vient d’entrer en récession, le taux de chômage a explosé et le pourcentage de pauvres au sein de la population est passé de 40% à 53%.

La thérapie de choc Trump-Musk

Aux États-Unis, Donald Trump et Elon Musk reconnaissent s’être inspirés du précédent argentin pour créer le DOGE, le Department of Government Efficiency (ministère de l’Efficacité gouvernementale).

Pendant la campagne électorale, Musk avait assuré pouvoir réduire la dépense publique fédérale de 2 000 milliards de dollars. Comme en Argentine, cela représenterait une baisse de 30% par rapport au total de l'exercice budgétaire 2024. Quelque 75 000 fonctionnaires ont déjà accepté l’offre de la nouvelle administration d’une indemnité de départ volontaire.

Les « Musk boys » s’attaquent aux deux millions d’employés de la « bureaucratie » fédérale. Ils s’invitent dans les ministères fédéraux et prennent le contrôle de leurs systèmes informatiques. En quelques semaines, le DOGE aurait déjà découvert, selon Musk, « une fraude énorme » dans les dépenses de l'État américain, avec « des milliards et des milliards de dollars d'abus et de corruption » identifiés.

Comme en Argentine, Trump évite de s’en prendre aux plus pauvres. Ainsi, le décret du 27 janvier, qui suspendait les subventions et les prêts du gouvernement fédéral, excluait les montants alloués à la Sécurité sociale, au Medicare.

La hache plutôt que la tronçonneuse

Au Canada, Pierre Poilièvre s’inspire de l’expérience argentine. Mais le Canada n’étant pas l’Argentine, plutôt que la tronçonneuse, il manie la hache : « Axe the Tax » (Mettre la hache dans la tarification du carbone) était son slogan jusqu’à la crise des tarifs. 

Poilièvre s’engage à rétablir l’équilibre budgétaire, tout en promettant « la réduction d’impôt la plus importante et la plus patriotique de l’histoire du Canada », ce qu’il promet de réaliser par un « plan visant à réduire les dépenses gouvernementales en bureaucratie, en consultants et en aide aux entreprises ».

Mark Carney, le favori dans la course au leadership libéral, est un conservateur déguisé en libéral. Il a été nommé directeur de la Banque du Canada par Stephen Harper et à la Banque d’Angleterre par un gouvernement conservateur.

Comme Poilièvre, il a inscrit dans son programme l’atteinte du déficit zéro au cours des prochaines années et des baisses d’impôt, dont on sait déjà qu’elles seront calquées sur celles accordées aux mieux nantis de l’administration Trump pour que le Canada demeure « compétitif ».

De plus, Poilièvre, Carney, de même que Chrystia Freeland, promettent d’atteindre rapidement le 2% du PIB en dépenses militaires, ce qui représente des sommes astronomiques.

La chambre d’écho médiatique

Sans surprise, les médias traditionnels se font l’écho des engagements des candidats des deux partis qui peuvent former le prochain gouvernement.

L’éditorialiste Stéphanie Grammond de La Presse+ annonce, le 15 février, une série d’articles sur le thème « Le Québec à l’heure des choix. Avons-nous encore les moyens de notre État-providence ? » Une réponse simple serait : Oui, si on récupère l’argent placé dans les paradis fiscaux et si on augmentait les impôts des plus riches.

Mais on sait que sa réponse ira dans le sens inverse. Déjà, elle annonce ses couleurs en s’insurgeant devant le fait que « les dépenses de l’ensemble des administrations publiques ont augmenté considérablement ». Selon elle, « ce n’est pas soutenable » et « reprendre le contrôle de notre budget exigera un coup de barre inédit, une discipline de fer ». On devine de quel côté la barre pliera.

Pour faire face aux « quatre années d’incertitude » de la présidence Trump, elle propose, parmi d’autres mesures : investir dans notre industrie militaire; aplanir les barrières commerciales entre les provinces; rendre l’environnement d’affaires canadien plus attractif.

Selon elle, les exigences réglementaires ont « des conséquences négatives sur l’économie ». Elle cite l’exemple de la minière Barrick Gold, qui songe à déménager aux États-Unis. En prônant la quasi-élimination de la réglementation dans l’industrie minière, Stéphanie Grammond se fait l’écho de l’administration Trump, qui lorgne l’exploitation des minéraux critiques du Canada pour son industrie militaire. La même exigence prévaut pour la construction de pipelines.

Libéraux et conservateurs, « bonnet blanc, blanc bonnet? » Les deux partis s’inscrivent dans la « révolte contre la réglementation » annoncée par The Economist, les conservateurs s’inspirant plus ouvertement de l’approche Milei-Trump. Chose certaine, nos grands médias vont appuyer les libéraux, parce Poilièvre propose de fermer CBC-Radio-Canada et de supprimer les subventions aux médias, qui représentent 55% des salaires des journalistes.

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