Le 4 mars, Justin Trudeau a attaqué de front la décision du président américain d’imposer des tarifs de 25 pour cent sur les importations canadiennes. Selon lui, cette guerre commerciale n’est pas justifiée par notre frontière poreuse au Fentanyl qui tuerait des milliers d’Américains, comme le dit Donald Trump. Les données démontrent clairement que le Canada n’est pas en cause. En fait, plus de Fentanyl entre au Canada en provenance des USA que l’inverse.
La vraie explication, selon le premier-ministre sortant, c’est que Trump « veut faire s’écrouler l’économie du Canada pour ensuite parler d’annexion. » Il est vrai que l’invraisemblable président américain a évoqué à plusieurs reprise cette annexion du « futur 51e État des États-Unis d’Amérique » et qu’il a affirmé qu’il y parviendrait non pas par une invasion militaire, mais par une guerre économique.
Mais ce n’est pas la raison de cette offensive tarifaire. Après tout, il n’a jamais été question d’une annexion du Mexique (Oh Horreur! C’est la dernière chose que les Républicains souhaitent) et pourtant ce pays est aussi la cible de ces tarifs démesurés et contraires aux règles du commerce international et à l’accord de libre-échange signé par Trump en 2018 (ACEUM). Et le problème du Fentanyl n’est qu’un prétexte pour justifier éventuellement ces tarifs devant ces instances internationales en invoquant l’exception permise quand l’intérêt national est en jeu.
La vraie justification de ces tarifs est ailleurs. Elle a été clairement expliquée par Donald Trump, pendant sa campagne présidentielle (donc, pas de surprise de ce côté) et elle est reprise dans A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System, une analyse préparée en novembre 2024 par la société Hudson Bay Capital, sous la plume de Stephan Miran, nommé ensuite pour diriger le Bureau des conseillers économiques de la Maison Blanche.
On peut trouver la stratégie « stupide » comme l’a écrit le Wall Street Journal à la une, le 31 janvier dernier (« The Dumbest Trade War in History »), on peut penser comme la majorité des économistes qu’elle fera trop de tort à l’économie américaine autant qu’au Canada, mais elle suit une vision cohérente ayant pour but de « redonner sa grandeur à l’Amérique » (Make America Great Again, le slogan à la base de la politique trumpienne).
L’élément central de cette stratégie, c’est de redéployer un secteur industriel fort à l’intérieur des frontières des USA. Or, les emplois industriels ont chuté au rythme de 200 000 par année depuis 20 ans. Ils ne comptent plus que pour 8% de la main-d’œuvre, contre 25 pour cent en 1970. Il faut donc convaincre les entreprises manufacturières d’implanter leurs usines du bon côté de la frontière.
Le problème, c’est que si les usines s’installent au Mexique, c’est surtout parce que la main-d’œuvre y est peu chère. Si elles s’installent au Canada, c’est en partie parce que nous disposons d’une main-d’œuvre qualifiée et d’un solide réseau de fournisseurs (dans l’industrie automobile ontarienne, notamment), en partie parce que nos ressources y sont bon marché (pensons aux tarifs préférentiels de l’électricité qui expliquent pourquoi les alumineries se sont installées au Québec).
En imposant un tarif de 25% sur toutes les importations industrielles canadiennes et mexicaines, Trump croit pouvoir annuler ces avantages concurrentiels du Mexique et du Canada. Désormais, les entreprises auront avantage à s’installer de l’autre côté de la frontière pour échapper aux tarifs. D’autant plus que Trump a promis aussi une baisse du niveau d’imposition des entreprises, pour augmenter le caractère attractif États-unien.
C’est donc la motivation première derrière ces tarifs. Et ça explique pourquoi il vise uniquement ses voisins. Les entreprises qui ciblent le marché nord-américain ne s’installent pas en Europe ou en Asie. Pour Trump, les vraies régions rivales qui volent des emplois aux cols-bleus américains, ce sont le Mexique et le Canada.
Bien sûr, il reconnaît qu’il y aura, à court terme, un prix à payer par les Américains. Il sait que la mesure sera inflationniste, du moins pendant une période d’adaptation. Il l’a répété lors de son long discours fleuve du 4 mars devant le Congrès. Mais il est convaincu que les nouveaux investissements industriels finiront par être plus payants à moyen et à long terme. Si ces retombées positives surviennent avant les élections de mi-mandat, il pourrait gagner son pari !
Le second problème que rencontre Trump, dans la mise en place de sa stratégie, c’est l’endettement de son pays. Les déficits commerciaux répétés – plus de mille milliards en 2024 – sont perçu comme un transfert de la richesse américaine vers l’étranger (Trump a même parlé de « subventions »). Si la Chine est la principale bénéficiaire de ces transferts (295 milliards), le Mexique n’est pas très loin, avec 172 milliards. Notons que, sur ce plan, il a tort de cibler le Canada : l’essentiel de notre surplus commercial avec les USA (63 milliards) provient de la vente de notre pétrole lourd, présentement raffiné dans les États du Mid-West et revendu à profit sur le marché international.
Cela dit, les réductions d’impôts qu’il a promises aux riches et la réduction des taxes aux entreprises évoquée plus haut risquent d’accroître la dette. Et il est peu probable que les coupures à la tronçonneuse promises par Elon Musk suffisent à rétablir la santé financière du pays.
Il faut donc trouver une autre source de revenus. Or Trump l’a répété dans plusieurs discours, ces revenus additionnels proviendront de cette nouvelle agence qu’il vient de créer : l’External Revenue Service. Ce sont les sommes provenant des tarifs sur les importations (tarifs et droits portuaires, notamment) qui combleront les réductions de revenu provenant des impôts des particuliers et des entreprises. « Ce sont les pays qui exportent chez nous qui nous financeront » a-t-il promis, en ajoutant que le mot « tarif » était un des plus beaux mots du dictionnaire.
Soyons clair. La plupart des économistes ne partagent pas cette fixation sur les tarifs. Ils croient plutôt que les obstacles à la libre circulation des biens et des capitaux nuisent toujours aux pays qui jouent cette carte. Mais quand on doit négocier avec un président aussi têtu que Donald Trump, il est essentiel de comprendre sa motivation. Or, elle a été exprimée avec clarté et souvent répétée. Elle a été décrite dans une analyse publique. Cessons de faire croire qu’elle est incompréhensible, ou de penser qu’elle n’est qu’un bluff pour gagner autre chose.