Dans sa nouvelle pièce de théâtre, Dis-moi ce que tu es, je te dirai ce que tu dis, Simon Boudreault pulvérise avec jubilation nos malaises sociétaux.

Diplômé en interprétation de l'école de théâtre professionnel du collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse (promotion 1998), l’artiste a démontré au cours des décennies sa polyvalence : comédien, improvisateur, marionnettiste, auteur et metteur en scène.

Il a joué à la télévision, participé à la Ligue nationale d’improvisation (LNI). En 2005, il a cofondé la compagnie Simoniaques Théâtre, en plus, depuis 2020, de porter le chapeau de directeur artistique de la compagnie de marionnettes le Théâtre de l’Œil.

Dans une entrevue diffusée sur les ondes de la Radiotélévision Belge Francophone (RTBF) en 1978, l’écrivain Romain Gary considérait l’humour « comme une question d’hygiène respiratoire ». Une telle philosophie rejoint celle de l’univers de Dis-moi.

En 2009, Sauce brune (que Boudreault a écrite et dirigée à Montréal et en tournée au Québec) s’attaquait au tabou de l’utilisation «excessive» du sacre. Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, le dramaturge s’impose avec des créations remarquées comme Soupers, D pour Dieu?, sans oublier As If (Tel Quel), reprise au Théâtre Duceppe.

Artiste en résidence au Théâtre La Licorne, Simon Boudreault expose nos comportements erratiques en ces temps de frictions idéologiques. Il y a orchestré Comment je suis devenu musulman et Je suis un produit.

Coproduction du Théâtre La Bordée et du Théâtre Niveau Parking (tous deux à Québec), ainsi que Simoniaques Théâtre (Montréal), Dis-moi ce que tu es, je te dirai ce que tu dis suscitera les rires grinçants. La succession de tableaux illustre une époque où le dialogue s’égare et les préjugés s’entremêlent.

Également interprète de sa partition, Simon Boudreault a confié cette fois-ci la mise en scène à Lorraine Côté (dont j’ai vu en 2006 sa brillante relecture d’En attendant Godot, de Samuel Beckett). La distribution comprend également Marie-Josée Bastien (directrice artistique du Théâtre Niveau Parking), Charles-Étienne Beaulne, Gaïa Cherrat Naghshi et Hugues Frenette.

D’abord à l’affiche du Théâtre La Bordée à Québec, Dis-moi ce que tu es se déplace sur les planches de la Licorne à Montréal en avril prochain.

Retour sur la genèse de l’œuvre

Au bout du fil, à quelques jours de la première dans la capitale, l’homme de théâtre revient sur la genèse de sa nouvelle œuvre scénique, qui s’inscrit en continuité avec ses précédentes réalisations. « C’est une réflexion sur les codes sociaux. J’aime exposer les terrains glissants des accommodements raisonnables ou déraisonnables », précise-t-il en refusant toute posture moralisatrice.

Chacun des 13 tableaux s’amorce avec une didascalie qui « nous informe sur les lieux et l’atmosphère ». Le premier, l’un des plus savoureux, Être fan, donne le ton. Nous assistons à une rencontre entre une jeune romancière à succès (Lydia Bien-Aimée-Grandbois) et un potentiel lecteur (Jocelyn). D’abord curieux et admiratif, ce dernier en vient à la questionner insidieusement et à scruter sa vie intime.

Tout au long de cet échange de plus en plus acrimonieux, l’homme revient sur les nombreuses polémiques qui ont ébranlé le monde artistique : Claude Jutra (« peut-on encore écouter Mon oncle Antoine ou Kamouraska sans penser aux accusations »), Marcel Proust et Simone de Beauvoir (sur certaines mœurs qui n’ont rien à voir avec la pérennité de leurs œuvres littéraires), ou encore Marlon Brando (pour le viol de l’actrice française Maria Schneider lors du tournage du Dernier tango à Paris).

« Les individus sont contradictoires. Mes personnages ne sont jamais blancs comme neige. ». À preuve, les échanges entre les deux protagonistes d’Être fan où Jocelyn se montre « intrusif dans sa quête de validation à une époque où sont jetées des œuvres devenues indissociables de la vie privée des créateurs. Je pense à la défunte nouvelliste Alice Munro, prix Nobel de littérature 2013, qui est accusée (après sa mort) d’avoir fermé les yeux sur les abus sexuels commis par son ancien mari sur sa fille ».

Le dramaturge suscite la réflexion, à savoir par exemple « si les écoles de cinéma peuvent se permettre d’enseigner aujourd’hui Woody Allen (dont Boudreault a grandement apprécié les longs-métrages Crimes et délits et Harry dans tous ses états). Je trouve souvent les positions extrêmes louches. J’apprécie davantage les nuances ».

Des situations ambigües

Dans une autre des meilleures séquences, quatre patientes et patients attendent dans un CLSC. Or, un coordonnateur leur apprend que leur thérapeute, Natasha Saint-Denis, leur a menti sur son identité (elle a prétendu avoir des origines atikamekw).

Pour cette situation tragicomique, Simon Boudreault s’est penché sur la controverse autour de l’autrice-compositrice-interprète Buffy Sainte-Marie, dont l’héritage autochtone a été remis en question en 2023 dans un reportage de la CBC. Les « révélations » ont entraîné notamment son exclusion de l’Ordre du Canada.

« Elle aurait monétisé son identité, un geste condamnable en soi, mais en même temps, son implication active au cours des décennies a permis une large conscientisation des enjeux autochtones. Comme auteur, j’aime les situations ambigües, mais je ne donne pas de réponses. »

Parmi d’autres absurdités de Dis-moi ce que tu es, je te dirai ce que tu dis, soulignons celles où un postulant pour un emploi se promène avec un sac sur la tête par refus d’être jugé sur son apparence et où un retraité qui cherche à se réinventer par des moyens extrêmes (il vend même des sculptures de bouchon de liège en ligne sur Etsy).

Simon Boudreault compare son approche à celle d’un peintre pointilliste (technique aussi appelé néo-impressionnisme ou divisionnisme, qui consiste à juxtaposer des points de diverses couleurs pour créer une vision d’ensemble). Le Tableau glissant démontre sa maîtrise de la comédie de mœurs. Dans la cuisinette d’un bureau d’entreprise, un projet de voyage en Afrique entraîne une série de malentendus sur l’emploi de certains mots de peur d’offenser autrui. Même le « pâté chinois » passe au tordeur de l’ironiste.

« J’aime quand tout le monde a tort. Rire de certaines situations nous détend. L’un des personnages de Je suis un produit, Jeff (présenté comme « un gai bitch sans filtre ») tenait des propos odieux. Pourtant, le public s’en amusait plutôt que s’offusquer », témoigne le créateur. Parmi les artistes qu’il apprécie particulièrement, citons l’actrice-scénariste française Agnès Jaoui (Le Goût des autres), l’auteur états-unien David Mamet et des plumes d’ici (François Archambault, Catherine Léger).

À disséquer nos ambigüités en cette ère de polarisation, Simon Boudreault craint-il la censure? « Les directeurs artistiques, comme Philippe Lambert (Licorne) ou Michel Nadeau (Théâtre La Bordée) m’ont toujours fait confiance. Ils savent quand ça grince ou coince. Mes premiers lecteurs sont souvent plus game que moi. »

Dis-moi ce que tu es sera à l’affiche du Théâtre La Licorne (Montréal) du 1er au 26 avril 2025.

Pour plus d’informations : https://theatrelalicorne.com/pieces/dis-moi/