L’auteur est membre du Comité des riverains des éoliennes de l’Érable (CRÉÉ)
« Dans les 10, 20, 30 prochaines années les entreprises vont se battre pour avoir de l’énergie propre et vont être prêtes à payer le gros prix. Ça veut dire qu’on peut dans les prochaines années développer en masse d’éolien puis revendre ça à profit. » (François Legault, Rimouski, 4 septembre 2024.)
Pourtant depuis que l’on a confié à l’entreprise privée le développement de la filière éolienne il y a 25 ans Hydro-Québec a toujours revendu « ça » à perte et tout indique que cette tendance non seulement se poursuit mais s’accélère.
En effet la CAQ a annoncé l’ajout de 10 000 MW d’énergie éolienne supplémentaire d’ici 2035, dont les principaux bénéficiaires seront encore les promoteurs privés au détriment de l’intérêt public.
Jusqu’ici, pour une production de 4 000 MW, ceux-ci ont pu engranger de juteux profits à peu de risque; en tenant compte des contrats de gré à gré et du cadeau de 2,7 milliards $ d’Hydro-Québec pour défrayer le coût des sous-stations et le câblage des éoliennes, ce sont plus de 10 milliards $ en subventions directes, qui ont profité à la filière. Un manque à gagner pour Hydro-Québec, qui estime que, d’ici 15 ans, ces pertes atteindront 25 milliards $.
Les profits de la rente éolienne qu’entrevoit M. Legault devront attendre. Et longtemps! Les 5e et 6e appels d’offres récemment retenus pour un total de 2 700 MW coûteront à Hydro-Québec de 12 à 14 sous/kWh. Cet achat, à un prix de vente moyen de 8 sous/kWh sur les marchés, se traduirait par des pertes annuelles de 300 à 400 millions $, si les projets passent l’étape du BAPE, une simple formalité, voire un automatisme pour les promoteurs.
L’obligation pour les MRC d’investir des millions, s’ils veulent jouir des subventions éoliennes est une autre formalité; les populations sont mises devant un fait accompli sans véritable possibilité de recourir à un processus référendaire. De transférer des fonds publics vers le privé est un risque qui ne fait pas partie de la description de tâches de nos élus.
Hydro-Québec a annoncé l’amorce de trois mégaprojets totalisant 5 000 MW en partenariat avec le privé et les Premières Nations. Prévus en territoires non organisés, M. Sabia, pdg d’Hydro-Québec, invoquant l’économie d’échelle et l’incontournable acceptabilité sociale, qui fait défaut dans la vallée du Saint-Laurent, n’a dit mot quant à la rentabilité de ces nouveaux approvisionnements, alors que les coûts des matériaux, du transport, de la main-d’œuvre et des taux d’intérêt connaissent une hausse vertigineuse depuis la fin de la pandémie.
L’énergie éolienne en production actuellement demeure toujours excédentaire, commandée alors que nous étions et que nous sommes toujours en surplus historique d’électricité.
Ce n’est que récemment que le gouvernement a créé une pénurie artificielle d’énergie électrique en octroyant des blocs importants d’énergie à des firmes multinationales énergivores souvent étrangères au détriment des entreprises d’ici et en signant de contrats d’approvisionnement avec les États-Unis qui, de surcroît, doivent obligatoirement inclure 40 % d’énergie éolienne.
Depuis une dizaine d’années, 10% de notre facture d’électricité sert à payer une partie de la dette éolienne qui, en plus, contribue à la baisse des transferts d’Hydro-Québec vers le Trésor public. Plutôt que d’investir dans nos infrastructures et dans nos programmes sociaux, nos élus font le choix de maintenir les promoteurs éoliens sous respirateur artificiel et de subventionner les Américains pour qu’ils puissent continuer à consommer à moindre coût.
Cette marche forcée de l’éolien industriel nous place devant le plus grand scandale financier de l’histoire du Québec, un vaste détournement légal de fonds publics vers le privé, orchestré par nos gouvernements successifs de façon délibérée et systématique.
Les milliards engloutis dans cette filière sont autant d’occasions ratées, des coûts d’opportunité qui auraient pu contribuer à améliorer notre qualité de vie plutôt que de nous appauvrir et de traumatiser inutilement les populations riveraines sises à l’ombre de ces éoliennes géantes.
Tous ces nouveaux projets autorisés à la hâte nécessiteront jusqu’à 5 000 km de nouvelles lignes de transport partout au Québec pour rejoindre les villes. Un immense défi environnemental et paysager fragilisant les écosystèmes, enlaidissant la Belle Province et contribuant davantage à la dette éolienne.
Cette nouvelle capacité éolienne aura également un effet majeur sur la fiabilité et la sécurité du réseau de distribution d’Hydro-Québec déjà mal en point; l’équilibrage est une opération complexe et délicate, qui devra être renforcée par l’ajout d’équipements de contrôle sophistiqués et coûteux.
Doit-on cesser d’accorder des blocs d’énergie à des firmes énergivores que l’éolien, non fiable et non stockable, ne peut combler?
La transition énergétique ne serait-elle pas mieux servie par des programmes d’efficacité énergétique, consolidant en plus des milliers d’emplois, alors que les emplois permanents dans l’éolien sont subventionnés à hauteur de 1 million$/année/emploi?
Doit-on remettre en question les contrats d’exportation à long terme de nos énergies renouvelables, une ressource limitée et vulnérable aux aléas climatiques?
Plutôt que de subventionner les MRC et les municipalités par le biais de l’éolien privé, pourquoi ne pas contribuer directement au développement régional en s’affranchissant de la dette éolienne?
Le gouvernement a toujours acquiescé aux demandes de l’industrie éolienne pour qui le profit est le motif principal. Il est maintenant temps de répondre aux valeurs et aux aspirations des citoyens. Il est donc légitime, nécessaire et vital d’exiger un moratoire immédiat sur tout développement éolien, la fin de la propriété privée de nos ressources énergétiques, la restauration de la démocratie dans nos municipalités par la tenue de référendums obligatoires. Un vaste débat sur le développement et l’avenir énergétique du Québec s’impose d’urgence.
Notes
- IREC, Rapport de recherche, La privatisation de l’énergie éolienne et l’impact sur la mission d’Hydro-Québec, Noël Fagoaga et Krystof Beaucaire, mars 2024
- 2,7 milliards $ pour brancher des parcs éoliens, Pierre Couture, QMI, novembre 2018
- 23 milliards $ sur 25 ans pour l’éolien déjà en place. Michel Morin, JDM, avril 2016
- Des milliards gaspillés pour rien, Michel Girard, JDM, mai 2018
- Hydro-Québec paiera plus cher l’éolien, Hélène Baril, La Presse, janvier 2024