En se rendant à Londres à l’invitation du premier ministre britannique, Keir Starmer, pour le sommet européen sur la guerre en Ukraine, le premier ministre du Canada en sursis, Justin Trudeau, a, malgré lui, fait un brillant rappel de l’histoire coloniale et militaire britannique du Canada. Sa rencontre avec le roi et chef d’État canadien, Charles III, en a ajouté une couche, démontrant ainsi l’état factice de la souveraineté du Canada.
Le sommet de Londres a donné naissance à un plan militaire pour l’Ukraine, qui comprend la création d’une « coalition des volontaires » (une référence à la « coalition of the willing » de George W. Bush pour l’Irak) pour y déployer des troupes de « dissuasion ». Nous sommes des « volontaires » et y participerons en y envoyant des troupes, dit Trudeau.
En même temps, les États-Unis suspendent l’aide militaire à l’Ukraine, après avoir montré la porte au président Zelensky, et cherchent à négocier directement avec la Russie.
Du déjà vu
Au lieu de pousser des cris d’orfraie sur « l’indécence » du président américain actuel, mieux vaut rappeler la politique américaine, lors des deux dernières conflagrations générales ayant commencé en Europe. Celle de 1914-1918 et celle de 1939-1945.
1914—1918 : les États-Unis resteront en dehors du conflit jusqu’en 1917, malgré les appels répétés à l’aide des Britanniques et des Français. La stratégie américaine consistait à attendre pour cueillir la manne lorsque ses « amis » et « alliés » seraient complètement épuisés et exsangues. Cette stratégie a réussi pour Washington.
Le Canada, toujours colonie britannique, a été embrigadé dès le début, puisque c’est Londres qui dictait la politique étrangère et militaire du Canada. Pour cette guerre européenne, Ottawa imposera la conscription en 1917, provoquant ainsi une crise, surtout au Québec. Le 1er avril 1918, un peloton de soldats canadiens tirera sur une manifestation anti-conscription dans la basse-ville de Québec, tuant quatre personnes.
1939-1945 : Washington se comporte de la même façon. Après l’attaque de Pearl Harbour, le 7 décembre 1941 – deux ans et trois mois après le début de la guerre avec l’Allemagne nazie –, Roosevelt déclare la guerre au Japon le lendemain, mais pas à l’Allemagne. C’est Adolphe Hitler et Benito Mussolini qui déclareront la guerre aux États-Unis, le 11 décembre, en solidarité avec le Japon.
Bref, Washington entre dans cette guerre mondiale à reculons. Il agira de même avec son allié soviétique. Washington et Londres attendront longtemps avant de s’engager sérieusement sur le continent européen afin de cueillir la manne lorsque leur « allié » soviétique serait épuisé et exsangue.
Le Canada, en revanche, fidèle à son statut d’ancienne colonie, se joint à sa métropole, la Grande-Bretagne, déclarant la guerre à l’Allemagne, le 10 septembre 1939. Ottawa imposera la conscription en 1942, après avoir promis de ne pas l’imposer et après un plébiscite biaisé contre le Québec, ce qui provoquera une autre grave crise au Québec.
SOS Charles de Gaulle
L’actuelle administration américaine, qu’on personnalise à tort en criant Trump ceci et Trump cela, ne fait qu’emprunter une page du manuel stratégique des États-Unis à l’égard des guerres européennes.
Les dirigeants européens, en revanche, qui se sont sciemment inféodés aux volontés de l’administration américaine précédente en abandonnant une politique étrangère indépendante de Washington, marchent aveuglément vers une autre conflagration, cette fois avec la Russie, en refusant d’apprendre des erreurs désastreuses du 20e siècle en Europe. Et de répondre Justin Trudeau : « La guerre, Yes Sir! »
Ils n’ont rien appris du général Charles de Gaulle, qui n’a jamais permis que son pays soit inféodé à qui que ce soit. Un exemple suffit : le 7 mars 1966, de Gaulle fait part aux Américains de son intention de quitter le commandement intégré de l'OTAN. Son raisonnement est limpide :
- L’adhésion au commandement général de l’OTAN pourrait entraîner la France, même contre sa volonté, dans une escalade qui pourrait aboutir « à une conflagration générale », puisque la stratégie de « l’Europe dans l’OTAN est celle des États-Unis ».
- La France tient à disposer d’elle-même, chose indispensable pour croire en son rôle et être utile aux autres; une telle volonté est « incompatible avec une organisation de défense ».
C'est Sarkozy qui mettra fin à cette politique gaulliste en réintégrant le commandement de l’OTAN, le 11 mars 2009, décision on ne peut plus symbolique de l’inféodation de l’Europe.
Pour le Québec, se rappeler cette décision de 1966 du général de Gaulle amène inéluctablement à son « Vive le Québec libre » du 24 juillet 1967, mais aussi de son expulsion du Canada.
En ces temps inquiétants, pour le Québec et pour l’Europe, on a beaucoup à apprendre de celui qui a mené son pays à la libération de l’Allemagne nazie tout en veillant farouchement à son indépendance du monde anglo-saxon dominant.