La catégorie de l’immigration humanitaire inclut les personnes reconnues comme réfugiées, soit à l’étranger ou sur place, qui ont obtenu leur résidence permanente. Le nombre qui sera accueilli chaque année par le Québec est fixé dans son plan annuel d’immigration, selon les orientations de la planification pluriannuelle en cours.
Cela étant dit, l’article 8 de l’Accord Canada-Québec sur l’immigration précise que « de manière à assumer pleinement sa part de responsabilité en matière d’accueil humanitaire », le Québec s’engage à accueillir un pourcentage du nombre total de réfugiés accueillis par le Canada au moins égal à sa part de la population canadienne. En réalité, le nombre de personnes admises par le Québec dans cette catégorie n’a jamais atteint une part équivalente à son poids démographique, pas plus que pour l’immigration permanente dans son ensemble.
Statut de réfugié reconnu à l’étranger
Le Québec gère entièrement, la demande et la sélection des personnes dont le statut de réfugié a été reconnu à l’étranger par l’agence responsable de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Un certain nombre sont prises en charge par l’État, d’autres sont parrainées par des groupes privés.
Statut de réfugié reconnu sur place
Là où le bât blesse est le nombre de personnes reconnues comme réfugiées sur place. Ce sont des personnes qui ont demandé l’asile après leur arrivée au Canada. Dans ces cas, c’est l’État-nation d’accueil qui assume la responsabilité de traiter la demande, de déterminer si la situation de la personne correspond à la définition internationale de réfugié et de protéger la personne pendant cette période de traitement.
Planifier le nombre de personnes protégées qui obtiendront leur résidence permanente chaque année est très difficile.
D’abord il faut comprendre le processus de traitement des demandes d’asile.
Processus d’une demande d’asile
Très sommairement, une demande d’asile est faite au point d’entrée ou en ligne après l’arrivée. Les services frontaliers et Immigration, Réfugiés, Citoyenneté Canada (IRCC) font une première vérification et décident si la demande sera référée à la Commission de l’immigration et du statut du réfugié du Canada (CISR). À ce stade, si la demande est refusée à un point d’entrée, la personne ne pourra entrer au pays. La CISR détermine si la demande est acceptée et accorde ou non le statut de réfugié. Ensuite, au Québec, la personne reconnue comme réfugiée demande un Certificat de sélection du Québec. L’étape finale est une demande de résidence permanente.
Réduire le nombre de demandes en amont
La seule façon d’éviter les demandes d’asile est de diminuer, en amont, le nombre de visas et de permis temporaires délivrés à des personnes considérées comme étant susceptibles de présenter une telle demande une fois arrivées dans le pays. Maintenant que l’entente sur les tiers pays sûrs s’applique à l’ensemble de la frontière et que la surveillance est accrue, il y a très peu de personnes qui arrivent de manière irrégulière, sans un document de voyage délivré par le gouvernement canadien.
Le fédéral est responsable de la délivrance de ces documents et, après avoir allégé les conditions pour ces titres temporaires en 2023, contre la recommandation de ses fonctionnaires, il a resserré les règles en 2024. Ce resserrement a porté fruit. Selon les données obtenues par le Toronto Star, les agents d’immigration ont rejeté 2 359 157 demandes de résidence temporaire, soit 50 % en 2024, contre 1 846 180, soit 35 %, l’année précédente. Le taux de refus — qui couvre les permis d’études, les permis de travail et les visas de visiteur — a atteint son plus haut niveau depuis 2019, avant la pandémie. Nous n’avons pas les données par province de destination.
Malgré cet effort, selon IRCC, le nombre de demandes d’asile a augmenté de 20 % au Canada entre 2023 et 2025. La très grande part de cette augmentation se trouvait en Ontario, où le nombre de demandes a augmenté de 43 %, tandis qu’au Québec on a vu une baisse de 9 %.
Pourquoi cet écart entre le taux de refus des demandes de titres temporaires et le taux d’augmentation des demandes d’asile? Sûrement parce qu’un très grand nombre des demandes – deux tiers au Canada en 2024 – ne se font pas à un point d’entrée, la frontière terrestre ou un aéroport. Au Québec, ces demandes représentent moins d’un quart du total, mais elles représentent la grande majorité des cas en Ontario, Colombie-Britannique et Alberta. Nous ne savons pas combien de temps ces personnes ont été au pays avant de faire leur demande d’asile. Il se peut que ce phénomène découle du laxisme du fédéral dans le traitement des demandes de visas et de permis en 2023.
Prévoir le taux d’acceptation
L’autre donnée dont il faut tenir compte est le taux d’acceptation des demandes de statut de réfugié, ce qui donnera une idée du nombre de personnes ayant droit à la résidence permanente, mais pas le nombre exact parce qu’il s’agit de dossiers qui ne tiennent pas compte des personnes à charge. Selon le site de la CISR, en 2024, 46 480 demandes ont été acceptées (63 %) au Canada sur les 73 456 dossiers finalisés. Malheureusement, les données publiques ne sont pas présentées par province, uniquement par pays de persécution.
Attention aux délais de traitement des demandes de reconnaissance
En ce qui concerne le délai de traitement, pour la période du 1er avril au 31 août 2024, le temps moyen de traitement de façon générale des demandes d’asiles finalisées était de 14 mois au Canada. Pour cette même période, le temps de traitement moyen pour l’appel d’une demande de statut de réfugié était de cinq mois. Le CISR a augmenté significativement le nombre de demandes finalisées par mois, passant de 4 320 en moyenne par mois en 2023 à 6 121 en 2024. Mais à la fin de 2024 il y en avait 272 440 en cours de traitement. Au rythme de 2024, ça va prendre presque quatre ans pour toutes les finaliser.
La résidence permanente et les seuils établis
Enfin, on arrive à l’étape de la résidence permanente, l’étape qui détermine les seuils planifiés et le nombre comptabilisés dans l’immigration permanente. Un regard sur les résultats d’admissions en 2024 avec le plan d’immigration du Québec pour la même année démontre l’effet de la croissance dans les demandeurs d’asile dans les dernières années.
On y voit que, pour l’ensemble des personnes reconnues comme réfugiées, le nombre ayant obtenu leur résidence permanente est dans la fourchette fixée pour la catégorie humanitaire. Pourtant, le nombre de personnes reconnues sur place a dépassé de 635 le seuil maximal de 3 700 établi et le nombre reconnues à l’étranger parrainées par des groupes privés étaient de 860 en bas du seuil minimal de 1 850 prévu. Ça représente des centaines de personnes réfugiées attendues par des groupes au Québec prêts à les accueillir qui n’ont pas été admises.
Toutes les personnes reconnues comme réfugiées ont le même mérite d’être accueillies, mais notre système de planification crée ces situations de détresse et de déception. Une autre différence entre ces sous-groupes est que les personnes qui sont reconnues sur place sont déjà au Québec depuis plusieurs années. Elles ne s’ajoutent pas à la population dès qu’elles obtiennent leur résidence permanente; elles changent tout simplement de statut. Ce changement de statut est essentiel pour établir la sécurité et la stabilité pour ces personnes, mais a-t-il sa place dans la planification des niveaux d’immigration?
De plus, on voit avec les personnes reconnues sur place au Québec le même phénomène d’attente pour la résidence permanente qu’avec les demandes de la catégorie du regroupement familial. Le délai d’attente pour ces personnes est de 45 mois, tandis que hors Québec le délai est de 28 mois. Cela veut dire qu’il y a des dizaines de milliers de personnes avec un CSQ du Québec qui attendent la résidence permanence pendant des années parce que le seuil planifié est trop bas.
Une leçon à tirer de la complexité
Si vous êtes complètement mêlés après toutes ces explications du système de planification d’immigration au Québec et des enjeux afférents, une partie de ma tâche est accomplie. Au moins, vous voyez la complexité de l’exercice et pourquoi les solutions ne sont pas simples et prendront du temps à mettre en place si on veut bien faire. Le Québec est capable d’être un modèle en matière d’immigration et d’intégration, mais, pour maintenir la confiance de la population et pour être équitable et juste envers les personnes qui arrivent chez nous, il faudra de la transparence et une gestion des attentes. Appuyons-nous sur la compassion naturelle et la créativité hors pair du peuple québécois.