Le nouveau premier ministre, Mark Carney, a salué la victoire d’Équipe Canada à la Confrontation des 4 nations comme un symbole de l’unité canadienne face à Donald Trump. Une déclaration qui devrait faire réfléchir le Québec, lorsqu’on sait que son seul représentant au sein de cette équipe était le deuxième gardien substitut.

De quelle unité parle-t-on lorsqu’on voit la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, accepter d’assister à l’inauguration de Donald Trump, refuser d’utiliser le pétrole comme arme pour répliquer aux tarifs et vouloir imposer le passage de nouveaux pipelines sur le territoire des autres provinces, dont le Québec ?

Et que dire de Doug Ford, le premier ministre ontarien, qui se proclame « Capitaine Canada », provoque Trump avec l’imposition de tarifs sur les exportations d’électricité de sa province, ce qui, en retour, entraîne le doublement des tarifs de 25 % à 50 % sur les exportations canadiennes d’aluminium, ce qui affecte le Québec. Penaud, « Capitaine Canada » a dû retraiter et retirer sa casquette.

Le « Capitaine Québec », François Legault, n’a guère été plus brillant. Dans un lapsus révélateur, il s’est dit prêt à « donner » à Trump nos ressources naturelles. Il fait son matamore en agitant l’imposition de tarifs sur l’exportation d’aluminium, mais tout en sachant qu’il aurait besoin de l’accord d’Ottawa.

Voilà ce qui en est, à ce jour, de la belle unité de l’Équipe Canada politique.

Une seule économie

Plus inquiétante que les références sportives est la volonté proclamée de Carney de transformer l’économie canadienne en « une seule économie plutôt que treize ». Facile de deviner à quoi ressemblera cette « seule économie ». L’économie canadienne est déjà dominée par l’industrie automobile de l’Ontario, largement subventionnée par Ottawa (rappelons-nous des milliards $ versés lors de la crise économique de 2008) et par l’industrie pétrogazière de l’Alberta (la seule économie reconnue par Pierre Poilièvre), elle aussi chouchoutée par Ottawa et les banques canadiennes.

La mesure la plus souvent mentionnée pour parvenir à cette « seule économie » est l’abolition des barrières commerciales entre les provinces. Ailleurs dans ce journal (voir page 3), Pierre Sormany répertorie 37 « exceptions » québécoises au libre-échange transcanadien. Entre autres, sur la langue d’étiquetage, la gestion de l’offre dans le secteur agricole – une concession que les médias anglophones proposent déjà de donner à Donald Trump – le contrôle exclusif de certains secteurs par des entreprises d’État, comme Hydro-Québec ou la SAQ, des normes de sécurité que personne ne remet en cause.

L’arme du référendum

Le Bloc Québécois s’engage à défendre bec et ongles les secteurs clefs de l’économie québécoise (aérospatiale, aluminium, gestion de l’offre, secteur forestier). L’élection d’un grand nombre de députés du Bloc et un gouvernement minoritaire lui faciliteraient la tâche. Mais cela risque d’être insuffisant.

Cependant, le Québec possède une autre arme pour exprimer son opposition à des politiques préjudiciables à ses intérêts : le référendum.

Les commentateurs fédéralistes – et même des souverainistes – condamnent la promesse de son utilisation par le Parti Québécois parce qu’il affaiblirait le « front uni » que le Canada doit opposer à la Maison-Blanche. Mais, nous venons de le voir et les événements à venir le confirmeront, il s’agit d’une « unité » de pacotille.

Au contraire, le référendum pourrait être utilisé non pas pour fragiliser l’unité désirée, mais bien pour la renforcer.

Un peu d’histoire

Pour y voir plus clair, revenons sur la géopolitique nord-américaine qui prévalait lors du référendum de 1980. Voici un long passage tiré d’un de nos livres.

Le Parti Québécois, qui avait flirté avec les États-Unis et laissé entrevoir que l’alliance projetée pourrait en être une nord-sud, change subitement d’orientation. Le gouvernement Lévesque annonce son intention de mettre un frein au développement de nouveaux barrages hydroélectriques et à la vente d’électricité aux États-Unis, au profit du gaz naturel albertain et de la vente d’électricité aux autres provinces.

À la faveur d’un remaniement ministériel, le ministre de l’Industrie et du Commerce, Rodrigue Tremblay, est destitué et il quitte le Parti Québécois pour siéger comme indépendant. L’économiste Rodrigue Tremblay s’était fait connaître avec la publication d’un livre prônant un marché commun Québec–États-Unis. Le nationaliste canadien Eric Kierans – le même qui avait orchestré l’expulsion de René Lévesque du Parti libéral – est nommé pour siéger au conseil d’administration de la Société générale de financement (SGF).

Pour tous ceux qui savent décoder ces décisions politiques, le message est clair» : le Parti Québécois délaisse l’option états-unienne pour une nouvelle alliance avec le Canada anglais, plus précisément avec l’Ontario. Le Québec offre à l’Ontario une entente « d’égal à égal » pour contrer les plans de balkanisation du Canada qui se retrouvent dans le programme du Parti conservateur et dans le Livre beige du Parti libéral de Claude Ryan.

L’offre n’est pas nouvelle. Déjà, en 1967, lors du célèbre voyage en train qui l’amenait à Banff et qui devait marquer sa conversion à l’option indépendantiste, Jacques Parizeau avait déclaré aux hommes d’affaires canadiens-anglais que la seule façon de freiner la balkanisation du Canada était d’accepter les revendications du Québec.

Il dénonçait le mouvement de décentralisation au Canada en faveur des provinces et le fait « de vouloir traduire dans la constitution le mouvement de décentralisation de notre politique économique et sociale que, selon moi, nous avons déjà poussé trop loin ». Pour Parizeau, la seule façon de remédier à la situation était de donner satisfaction aux revendications du Québec, car « les difficultés viennent du Québec et de nulle part ailleurs ».

Ce qui était faux, mais envoyait le signal que le Québec était prêt à s’allier à l’Ontario contre les provinces de l’Ouest. Pour bien signifier qu’il partageait cette opinion, Lévesque a reproduit à l’époque ce discours en annexe d’Option-Québec.

Quelques années plus tard, dans le Livre blanc sur la souveraineté-association, la même thèse est reprise avec l’affirmation que « l’accroissement des pouvoirs et de l’influence du gouvernement central répond aux aspirations de la communauté canadienne-anglaise » (Extrait de L’autre histoire de l’indépendance (Éditions Trois-Pistoles, 2003).

Nouveau revirement

Après le refus du Canada anglais d’accepter cette offre d’alliance entre deux nationalismes (canadien et québécois) contre l’Oncle Sam, les souverainistes québécois sont revenus à leurs anciennes amours en appuyant le projet de libre-échange du gouvernement Mulroney.

Les nationalistes canadiens-anglais, opposés tout naturellement au libre-échange avec les États-Unis, ont accusé les nationalistes québécois de « trahison ». Pourtant, la responsabilité leur incombait. Ils ont été les plus farouches adversaires du projet péquiste de souveraineté-association.

Ce précédent historique devrait aujourd’hui leur ouvrir les yeux. Dans le contexte de l’opposition à Donald Trump, ils devraient voir d’un autre œil la main tendue par le Québec avec un éventuel projet de souveraineté-association – ou, pour employer une expression à la mode – d’unité entre deux « souverainetés » – appuyée par un référendum. L’alternative étant l’indépendance pure et simple.

L’exemple groenlandais

Nous devrions prendre exemple sur les indépendantistes groenlandais. Ils se servent des déclarations de Trump sur l’achat du Groenland pour faire avancer l’idée d’indépendance et arracher des concessions au Danemark. Ils cherchent à tirer profit du grand bouleversement géopolitique en cours.

Comme l’écrivait un analyste de la nouvelle conjoncture mondiale, l’important pour le peuple québécois est de saisir politiquement les occasions historiques favorables lorsqu’elles se présentent exceptionnellement. Il faut cesser de morigéner le Canada, et plutôt regarder l’état du monde dont il dépend. Le pays du Québec peut émerger avec le prochain monde qui viendra.