Les attaques contre le mouvement syndical se multiplient à travers le monde depuis quelques années. Lors de son premier mandat comme président, Donald Trump avait nommé des juges conservateurs à la Cour Suprême des États-Unis, qui a rendu une décision le 27 juin 2018, dans la cause Janus v AFSCME, afin que les travailleurs du secteur public ne soient plus requis de payer de cotisations syndicales. Ce qui a eu des conséquences énormes sur les syndicats américains du secteur public.

Ces attaques antisyndicales se poursuivent aux États-Unis, mais aussi dans de nombreux pays, comme l’Argentine sous le gouvernement de Javier Milei, l’Italie sous Georgia Meloni, et même au Québec, où la CAQ tente de faire adopter le projet de loi 89, qui prétend viser à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out.

On constate aussi cette tendance dans de nombreux pays africains, dont le Bénin où je travaille comme coopérant volontaire depuis la mi-février.

Quand on arrive au Bénin, on a l’impression que la situation économique va bien. Partout où l’on va, on remarque beaucoup de travaux pour améliorer les infrastructures, et de la construction immobilière et commerciale. La situation politique est stable, marquée par des alternances démocratiques successives. La croissance économique est restée forte en 2024, dépassant les 6 %. L’inflation est faible à 1 %, et il y a une réduction graduelle du déficit budgétaire.

Cependant, pour attirer les investissements étrangers et attirer les touristes, le président Patrice Talon, au pouvoir depuis 2016, mise sur des lois du travail antisyndicales afin de limiter le droit de grève et réduire la présence syndicale.

Ainsi, la loi prévoit que les syndicats ont le droit de faire un maximum de deux jours de grève par mois, avec une limite de sept jours de grève par semestre et dix jours de grève par année.

Ces mesures vont à l’encontre des conventions de l’Organisation internationale du Travail. Des interventions ont été menées auprès de l’OIT par les syndicats béninois affiliés à la Confédération syndicale internationale (CSI), mais le gouvernement béninois maintient ses politiques.

De plus, la nouvelle loi sur l’embauche prévoit que les entreprises ne peuvent plus proposer de contrats de travail à durée indéterminée. Tous les emplois sont régis par des contrats de travail à durée déterminée renouvelables.

Par conséquent, si un travailleur est perçu comme un militant syndical, l’employeur peut décider de ne pas renouveler son contrat de travail, le travailleur perd alors son emploi. Il n’a aucun recours et, dans le meilleur des cas, il aura droit à un dédommagement maximal représentant neuf mois de travail, et ce, même s’il a 30 ans d’ancienneté.

Les syndicalistes notent aussi une augmentation de la violence à caractère sexuel de la part des patrons dans le secteur privé. Si une femme refuse les avances de son employeur, son contrat de travail n’est pas renouvelé, tout simplement, et ce, malgré les textes disponibles pour protéger les femmes.

Le président Patrice Talon a aussi refusé de rétablir le prélèvement des cotisations syndicales à la source, qui avait été aboli, il y a plusieurs années. Cela a eu, il va sans dire, un impact important sur les ressources financières des syndicats.

En outre, toutes les actions militantes syndicales, incluant les rassemblements, les manifestations ou les sit-in, sont interdites. Les syndicalistes qui décident de tenir de telles actions peuvent être poursuivis en justice et passibles d’emprisonnement.

Dans ces circonstances, vous comprendrez que tous les témoignages que j’ai recueillis pour ce reportage l’ont été sous le couvert de l’anonymat, car les mesures de représailles peuvent être très importantes si un dirigeant syndical s’exprime publiquement.

Rappel historique

L’Union Nationale des Syndicats des Travailleurs du Bénin (UNSTB) est la plus vieille centrale syndicale. Elle a été créée en 1974. Jusqu’en 1990, elle était la seule confédération syndicale autorisée sous la conduite du Parti de la révolution populaire du Bénin.

Avec l’implosion de l’URSS en 1990, le libéralisme démocratique s’est installé dans ce pays d’Afrique de l’Ouest. De nombreux partis politiques ont été créés, et de nombreuses organisations syndicales ont vu le jour. Cette démocratisation a été perçue positivement, mais il y a eu un envers à cette médaille.

Plusieurs partis politiques ont contribué à la création de syndicats, divisant et affaiblissant ainsi le mouvement syndical. D’autant plus que le principal organisme de dialogue syndical au niveau gouvernemental a été dissous, il y a quelques années.

Un sous-investissement en éducation

Si le gouvernement béninois investit beaucoup d’argent dans les infrastructures du pays, ce n’est pas le cas en éducation et dans le secteur social. Depuis 2016, il n’y a eu aucune embauche d’enseignants permanents. Le ministère de l’Enseignement maternel et primaire et celui de l’Enseignement secondaire de la Formation professionnelle embauchent ce qu’ils appellent des Aspirants au métier d’enseignant (AME).

Ces AME ne sont pas considérés comme des fonctionnaires; ils n’ont aucune sécurité d’emploi et leur salaire est moindre que celui des enseignants réguliers. Cette situation accentue énormément la pénurie d’enseignantes et d’enseignants dans ce pays.

Les infrastructures scolaires ne sont pas entretenues dans beaucoup d’endroits. Les classes pléthoriques ne sont pas un phénomène nouveau au Bénin, étant donné que le sous-financement du réseau de l’éducation ne date pas du mandat du président actuel.

Certaines personnes affirment que l’arrivée des AME aurait permis de réduire quelque peu le nombre d’élèves par classe. Mais force est de constater que, dans certaines écoles maternelles, on peut retrouver 65 élèves de 4 ou 5 ans dans une classe avec une seule enseignante.

À ce sujet, le ministère ne considère plus l’éducation à la petite enfance comme une priorité. Ce qui entraine un sous-investissement important dans les écoles maternelles publiques du pays. Ce sous-investissement est encouragé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui a dit au ministère de l’Enseignement maternel et primaire de prioriser ses investissements à l’école primaire et de laisser le secteur de la petite enfance au secteur privé.

Dans un tel contexte, il n’est pas surprenant de constater une multiplication des écoles privées dans tout le pays, de la maternelle à l’université. Si certaines de ces écoles ont un bon statut, comme les lycées français, la majorité des écoles privées sont la propriété d’hommes d’affaires, dont de nombreux politiciens, qui ne voient dans ces écoles qu’une occasion d’affaires.

L’importance de la coopération internationale

Quelques organisations syndicales européennes et canadiennes ont développé des projets de coopération avec des syndicats béninois, dont la Confédération syndicale internationale, qui appuie des centrales syndicales.

Dans le réseau de l’éducation, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Fédération canadienne des enseignantes et enseignants (FCE) ont des projets actifs qui aident les syndicats affiliés à l’Internationale de l’Éducation à renforcer leurs capacités. Ce qui a permis à ces syndicats de remporter les élections professionnelles du secteur de l’éducation et d’être ainsi représentés à la Commission administrative paritaire, une instance de dialogue social du réseau de l’éducation.