« N’ayez pas peur. N’ayez pas peur de vos rêves. N’ayez pas peur de construire une société qui soit à l’image de vos ambitions. N’ayez pas peur des obstacles que vous trouverez sur votre route. N’ayez pas peur de rêver. » C’est l’inscription qui se trouve sur le piédestal de la statue de Jacques Parizeau devant l’Assemblée nationale. Ce sont ses mots, peu avant de mourir.
J’ai spontanément pensé à Parizeau au moment où Donald Trump a lancé les hostilités. Je me suis dit : « Comment réagirait Monsieur? » Pour moi, il a toujours été un guide, celui qui n’avait pas peur, le seul au Québec, peut-être, à avoir cherché à être un véritable homme d’État.
Il est d’ailleurs louable que Paul St-Pierre-Plamondon ait été le premier à lancer un appel au calme, alors que François Legault partait en peur, se collait une fois de plus sur l’Ontario, comme un enfant se recroqueville sur son père ou sa mère devant l’effroi.
La fausse bravade du premier ministre qui s’ensuivit – et ne dura pas – ira rejoindre la longue lignée d’impuissance des actions autonomistes qui ont parcouru le Québec. Espérons que les Québécois se souviendront de cet épisode aux prochaines élections provinciales.
Avoir peur de décider
D’ici là, nous nous trouvons devant l’élection fédérale qui arrive à grands pas. La peur fait son chemin. Les sondages montrent la fin de l’embellie libérale, mais le PLC demeure fort bien en selle. Le Québec suit le mouvement, bêtement, sans trop réfléchir. Malgré tous les faux pas de Mark Carney sur notre langue et notre culture et la négation de la nation québécoise, il caracole encore à 40% des intentions de vote au Québec.
Le premier ministre libéral le plus anti-québécois depuis Pierre Elliot Trudeau peut donc se targuer d’être aux portes d’un gouvernement majoritaire, grâce à un appui massif au Québec. Ce n’est pas rien pour lui. C’est beaucoup pour nous. C’est terrible pour le futur.
La crise actuelle a réveillé un sentiment qui sommeille dans l’âme québécoise depuis la colonisation française. Devant le danger, nous remettons à l’autre – la France, la Grande-Bretagne, le Canada ou les États-Unis – le choix des décisions à prendre. Cela s’appelle la négation du pouvoir politique.
Ce n’est pas que contre les décisions de Trump que nous en avons. C’est contre le peuple américain. Contre sa trahison. Contre son indécence. Contre l’étalement de sa puissance brute. À n’en point douter, nous sommes éberlués par la puissance que tente de se donner le peuple américain. Que le président américain ait raison ou tort est ici secondaire. Ce que nous méprisons par-dessus tout, c’est la volonté de la Maison-Blanche de prendre une décision et de s’y tenir.
Avoir peur de Trump plus que du Canada?
Comme la plupart des Québécois, je déteste tout ce que représente Trump. Mais ma réaction n’est pas d’aller demander protection à notre « ami » le Canada. Il est plus que pathétique de voir des Québécois, même indépendantistes, demander à celui qui leur manque de respect depuis toujours de l’abriter.
Comme si la maison que l’on partage par obligation avec le Canada était à ce point douillette que l’on souhaite la réintégrer. Comme si l’on oubliait que nous sommes les locataires de l’immeuble qui appartient au Canada, que l’on peut décider de la couleur des murs, mais pas du plan d’architecture.
Mon réflexe est plutôt politique, au sens plein du terme : comment le Québec peut-il utiliser cette crise pour enfin réaliser son indépendance? Mais notre réaction est inverse. Nous avons peur. Peur de quoi? De ce qui pourrait arriver. Peur de sortir de l’immeuble presque confortable. Peur de devoir décider.
On a applaudi en masse, au Québec comme au Canada, les visites de Carney à Paris et à Londres. Comme du temps où nous étions une colonie française, puis une colonie anglaise, il fallait aller demander protection à la mère patrie. Depuis la Seconde Guerre mondiale, cette protection venait du sud de la frontière. Notre seul réflexe – devenu un automatisme – a été de retourner quémander l’aide européenne. Voilà qui en dit long sur le Canada – et le Québec qui regarde le spectacle plutôt que d’avoir sa destinée en main.
Tout cela nous ramène aux élections du 28 avril. Que faire? Voter pour Carney ou pour Poilièvre revient au même cul-de-sac : on délaisse notre pouvoir aux mains du Canada. Voter pour le Bloc? Il est difficile de ne pas être critique de la campagne menée par Yves-François Blanchet. Ses appels à lui confier la balance du pouvoir laissent un goût amer pour un indépendantiste. Ne devrait-il pas travailler à la destruction de ce pays et vouloir tout le pouvoir – et non la balance!?
Sinon, Blanchet demande un mandat fort afin d’avoir des Québécois aux tables de discussion. Cela me rappelle Pierre Falardeau, qui s’en prenait aux nationalistes québécois qui demandaient une délégation québécoise à l’UNESCO. « Je rêve que le Québec soit un pays normal avec une voix partout sur la Terre, pas un strapontin à l’UNESCO. » Ce strapontin n’est pas plus souhaitable dans des discussions avec le président américain. C’est le siège décisionnel que l’on veut.
Néanmoins, dans l’état actuel du Québec, qui n’est qu’une province du Canada, le Bloc demeure la seule option sensée. Au mieux, il réussira à ce que le Québec ne perde pas tout dans les négociations. Au pire, il montrera pour une énième fois que le Canada se fout éperdument du Québec. Dans les deux cas, il devrait nous mener à réfléchir, et particulièrement aux membres du Bloc pour les suites à donner à l’élection.
Le Bloc comme symbole des illusions
Pierre Vadeboncoeur a écrit le texte le plus juste sur la signification du Bloc pour le Québec, peu avant sa mort, en 2010 : « Le Bloc est un pis-aller, qui en même temps marque l’extrémité de ce que nous pouvons tenter de faire au sein de la Confédération. Liberté tronquée. Vigoureuse par sa manifestation, mais c’est vraiment le bout du chemin (…) Le Bloc n’est pas un véhicule politique normal, et justement, il n’existe pas pour nous de tel véhicule. Le Bloc démontre donc, à l’inverse des illusions entretenues par les partis fédéralistes, que notre existence politique, au sens plein du mot, est une illusion. »
La crise entre le Canada et les États-Unis pourrait au moins avoir cela de profitable : rappeler que l’indépendantisme n’est pas une lubie intellectuelle, mais une option politique, que la dépendance a un prix concret qui dépasse le statut politique que l’on accole à un pays. Voter pour le Bloc, c’est minimalement se rappeler que la nation québécoise existe. C’est déjà beaucoup. Laissons les Canadiens voter pour leurs partis. Votons pour le nôtre!
Sous la statue de Parizeau, nous pouvons aussi lire : « La raison profonde, essentielle de la souveraineté du Québec : être responsable de soi-même dans une démocratie où l’État est pleinement redevable à ses citoyens. » Cet État, nous ne l’avons pas. Et c’est l’État canadien qui négociera pour et contre nous dans les mois à venir. Sans nous être redevables, à nous Québécois. Il sera redevable aux Canadiens.
Vadeboncoeur, encore lui, disait : « Le Canada existe-t-il ? Le Parti libéral, qui le défendait le mieux, est en pitoyable état au Québec. Le Parti conservateur, sans affinités québécoises, occupe plus ou moins par hasard un théâtre vide. Le souverainisme est cohérent au milieu de l’incertitude politique environnante. Ce contraste doit bien signifier quelque chose. »
Ce constat était encore juste il y a quatre mois. Comment expliquer que, soudainement, le Québec s’apprête à voter en bloc contre le Bloc? La peur, encore et toujours. Allez, n’ayons pas peur!