L’auteur est sociologue et syndicaliste

À première vue, le projet de loi 89 visant à limiter le recours à la grève dans le secteur public peut paraître raisonnable pour l’observateur qui se tient loin des enjeux de relations de travail. Il semble toutefois déjà admis que le ballant penchera à terme du côté patronal.

Malgré cela, on trouvera tout de même quelques technocrates en apesanteur pour nous faire croire que le PL89 n’engendrerait qu’un simple rééquilibrage des forces en la matière. Au contraire, il est plutôt question d’une tendance lourde identifiable à un « vent de droite » qui perdure depuis plusieurs décennies.

Rappelons les dessous politiques de l’affaire. La fonction publique est le siège d’une lutte de pouvoir qui dure depuis plusieurs décennies. La trame de fond est toujours la même : les syndicats en mènent trop large et l’élite managériale a besoin d’avoir les coudées franches pour rendre l’État efficace. Bref, un narratif paresseux pour patrons cherchant à sécuriser leur dominance.

Néanmoins, cette histoire pourrait avoir un certain sens si elle était autre chose qu’un tremplin pour le club des tops guns de la CAQ en manque de stimulation professionnelle. Quel que soit le prix de la consultation, ces gestionnaires en quête de promotion sociale pourront venir réaménager l’État québécois en amenant avec eux les dernières lubies à la mode au privé. En temps normal, le marketing de cette élite managériale ne mériterait rien d’autre qu’une bonne rigolade tant la coquille est vide.

On rit moins quand on pense que celui qui cassera le mouvement syndical de la fonction publique pourra passer pour le prochain DOGE du Québec. On voit déjà une clientèle possible parmi la classe moyenne craintive de perdre son statut. Dans le climat économique actuel, les vieilles rengaines contre le soi-disant fonctionnaire privilégié ne sont jamais bien loin. Or, une population en perte de souveraineté devient peu à peu masse hypnotisée quand elle succombe à son ressentiment collectif au profit de ses dirigeants. Pourquoi ne pas profiter du climat d’insécurité de la classe moyenne pour faire des syndicats un bouc-émissaire?

Entre la masse hypnotisée par son ressentiment et le gouvernement qui nous vend la mystique du rééquilibrage, une question demeure : Se pourrait-il que la défaillance qu’on attribue à la fonction publique québécoise soit le résultat d’un durcissement des luttes de pouvoir qui la gangrène? Se trompe-t-on de cible quand on pense que la rigidité du contre-pouvoir syndical est le principal problème?

Depuis que la génération X s’est installée au sommet de la pyramide de l’État, une vague de désillusion vis-à-vis des idéaux humanistes de la révolution tranquille s’est emparée des services publics. C’est compréhensible puisque l’attente vers le sommet fut longue pour les X. Leur positionnement est désormais défendu avec âpreté et cynisme, malgré des enjeux qui dépassent ici l’analyse générationnelle.

Derrière une langue de bois qui confirme la désillusion actuelle des patrons, il n’est plus rare de voir carrément une tendance à l’autoritarisme. Veut-on des employés loyaux à l’organisation et à ses objectifs ou des employés dociles face à la chaîne de commandement? Si on souhaite la loyauté davantage que l’obéissance, il faut être prêt à accueillir les désaccords de la base quant aux moyens.

Or, quand le leadership patronal est au rendez-vous, on peut tirer profit de ces désaccords pour en faire des opportunités constructives. En pratique, on assiste plutôt à une gouvernance en panne qui braque le projecteur vers le bas de l’organigramme, faute de savoir aménager les problématiques du plancher. On étire donc la sauce avec le PL89.

Le devoir de fournir des services à la population est un questionnement légitime qui mérite autre chose que d’être imposé par le haut. Peut-on en discuter en considérant le consentement des travailleurs de l’État? Un jour ou l’autre, il faudra entendre ce que les travailleurs de l’État ont à dire sur les tensions qu’ils vivent au quotidien. Normaliser davantage l’imposition d’un retour au travail s’ils ont cru bon de faire la grève serait au mieux contreproductif, au pire une grave erreur.