Le film sera présenté le jeudi 1er mai au Ciné Trois-Rivières, le 8 mai à Québec et le 5 juin au Cinéma Beaubien de Montréal.
(NDLR) Nous reproduisons une critique du film et une entrevue avec l’auteur par André Laplante dans le bulletin La Mémoire du travail du Centre d’histoire et d’archives du travail (CHAT).
Sept-Îles en mai 1972
Une ville occupée par les syndiqués
Le 3 octobre 2024 au Cinéma Beaubien à Montréal avait lieu le lancement du film d’Étienne Langlois. « Sept-Îles ’72 : Archives du monde ordinaire » raconte l’occupation de la ville par plusieurs des acteurs de premier plan et établit une chronologie rigoureuse des faits pendant la période du 8 au 17 mai 1972 que dure cette action. Ce geste des syndiqués à Sept-Îles s’inscrit dans la foulée du blocage du gouvernement de Robert Bourassa dans les négociations avec les syndiqués des trois centrales syndicales regroupés dans un front commun. Ils réagissent à l’adoption d’une loi spéciale (Bill 19) qui impose le retour au travail, aux injonctions judiciaires et à l’emprisonnement des chefs syndicaux, un symbole fort du caractère antidémocratique du même gouvernement.
Il y a eu des actions dans plusieurs villes du Québec, mais c’est à Sept-Îles que la réaction a été la plus radicale et l’occupation de la ville la plus complète. Avec l’aide des syndiqués du secteur privé, en particulier des travailleurs de la construction, la ville a été complètement coupée du reste du Québec. Selon Pierre Godin, auteur du livre La révolte des traîneux de pieds sur les travailleurs de la Société des alcools du Québec dans un chapitre consacré à l’occupation : « Sept-Îles est devenue une cité sans autre loi que celle de la solidarité ouvrière ».
Capitalisme sauvage
Sept-Îles est une ville qui a connu un développement fulgurant avec l’implantation des entreprises d’extraction du fer. Selon Suzanne Loiselle et Paul-Émile Giguère dans un article de Vie ouvrière en mai 1982 « sur la Côte, l’histoire s’écrit avec la plume pesante des multinationales. À Sept-Îles en particulier, la très puissante Iron Ore Compagny arrive à contrôler toute la ville au moyen de ses « délégués » aux différentes instances (conseil municipal, gouvernement fédéral et provincial, domaine scolaire, etc.) ».
Front des travailleurs unis
C’est une des belles qualités du film de nous faire connaître l’action du Front des travailleurs unis (FTU) formé en octobre 1970. Il regroupait des travailleurs et des travailleuses des trois centrales, mais aussi des non syndiqués, des chômeurs et des assistés sociaux. Le FTU s’est attelé en priorité à trouver des lots afin de construire des logements à prix modique. Il était également préoccupé par l’arrivée des travailleurs en grand nombre sans structure d’accueil. Les loisirs pour les jeunes, la culture et les problèmes liés à la consommation étaient d’autres sujets de préoccupations. En fait, il est devenu une véritable école de formation. Ce travail à la base a contribué à rapprocher les centrales syndicales. Bien sûr la dynamique du Front commun et la présence d’un fort contingent de travailleurs de la construction ont été des facteurs déterminants, mais le travail amorcé par le FTU a contribué à développer la solidarité syndicale.
Un geste spontané
La décision d’occuper la ville qui a été prise durant la matinée du 10 mai 1972 n’avait pas été planifiée à moyen et court terme. Elle a pris naissance et s’est développée avec enthousiasme lors d’une assemblée intersyndicale très large. La fermeture des commerces, le maintien des services essentiels et l’occupation du poste de radio ont montré une capacité d’auto-organisation des travailleurs et des travailleuses. Mais le 10 mai, Théodore Leblanc, un anti syndicaliste notoire, fonce avec son automobile sur une foule de 1 500 personnes rassemblée devant le palais de Justice. Il tue un jeune travailleur Hermann St-Gelais et blesse 37 per- sonnes. Ce geste désoriente le mouvement. Les obsèques du jeune St-Gelais ont lieu le 15 mai et le 17, mai à l’invitation des présidents des trois centrales syndicales, les ouvriers du secteur de la construction et les salariés du secteur public retournent au travail.
Des gains
Malgré cette pause dans la lutte syndicale, les militants du FTU Jacques L. Boucher, Michelle Desfonds, Paul-Émile Giguère et Réjean Langlois apportent des nuances importantes : « Il faut reconnaître que les négociations du Front commun ont permis des avancées dans les conditions de travail dont le salaire minimum de 100 $ par semaine dès la deuxième année des conventions collectives. De plus, à Sept-Îles comme partout ailleurs au Québec, l’action syndicale s’est poursuivie pour faire appliquer ce qui avait été négocié et des actions importantes se sont poursuivies en santé-sécurité par exemple. En ce qui a trait aux conditions de vie et de l’emploi qui étaient un enjeu central pour le FTU, de nouvelles organisations ont poursuivi l’action et l’ont même élargie : groupes populaires, organisations étudiantes, comité pour le droit au travail face aux fermetures et à la crise de l’emploi, Regroupement des femmes de Sept-Îles.
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Sept-Îles’72
Une histoire forte et méconnue
Étienne Langlois est natif de Sept-Îles. Son père et sa mère étaient très impliqués syndicalement et socialement. Très jeune, il assiste aux nombreuses réunions de cuisine. « Ma jeunesse, explique-t-il, a été façonnée par le syndicalisme. J’étais en présence d’une histoire forte et méconnue. Il y avait une mémoire qui se perdait. Après les évènements, à chaque mobilisation, la droite se servait de ’72 et de la mort d'Hermann St-Gelais pour essayer de refroidir les ardeurs des militants et des militantes. En écoutant et en faisant des recherches, je me suis dit qu’un film rétablirait les faits et ferait connaître une histoire méconnue. »
Le cinéaste s’est alors collé à la parole ouvrière « Je voulais, dit-il, que les gens de la base expriment librement leur propre analyse. Ce sont des gens de conviction ».
Onze ans
Un cinéaste qui veut faire du documentaire le moindrement militant est toujours dans une situation délicate. « Le financement peut être difficile à obtenir à cause d'une prise de position, et des gens n'ont pas voulu témoigner par crainte de représailles ou car les événements furent trop pénibles. « Je me suis investi dans cette démarche à travers des contrats. J’ai tout fait : la recherche, l’écriture, le son, la caméra et le montage. Cela m’a pris 11 ans. Je suis content. Il devrait y en avoir beaucoup plus au Québec, car notre histoire est pleine de luttes avec des gens courageux qui tombent dans l’oubli faute de relais ».
Étienne Langlois est un musicien qui a développé une passion pour le cinéma. « J’ai découvert en tant qu’artiste, soutient-il, qu’il est possible de faire l’art avec un film d’archives. En ajoutant les archives des gens, les photos, les vidéos, il est possible de façonner un film entre l’historique et le personnel. Les archives deviennent un personnage. Je pense entre autres au travail de Serge Giguère dans son film Les lettres de ma mère. Il a réussi de façon originale et attachante à jouer avec des éléments créatifs et de les mettre ensemble. C’est une dimension importante de mon film ».