Docteur en histoire de l’Université de Rouen-Normandie;
Docteur en histoire de l’université du Québec à Montréal.
Spécialistes des espaces postimpériaux, et des relations franco-transatlantiques.
Lors de son passage à Montréal, comme à son habitude à chaque visite dans un pays possédant, à un titre ou à un autre, un droit sur la langue française, Jean-Luc Mélenchon a développé ses idées sur cette communauté linguistique. Précédemment, dans son programme présidentiel, le chef de file de la gauche française avait proposé que la France prenne l’initiative de créer une université internationale francophone consacrée à la mer et à l’espace, dans les Antilles. Le projet, visant à décentrer la francophonie – et même la France – de l’Europe, n’a à peu près jamais été commenté au Québec.
Le même homme politique est revenu à Montréal avec une triple proposition.
La création d’une académie de la langue commune, conçue comme étant la langue québécoise autant que libanaise, sénégalaise, malienne, ivoirienne, gabonaise, mauricienne que française. Cette académie abolirait la vénérable autant que vétuste Académie française. De toute évidence, il espère que les Québécois pourront en faire naître un projet réalisable. Les critères de participation? Les formes de représentation? Les membres? N’est-ce pas là un champ ouvert à la diplomatie québécoise?
Outre cette république des lettres, Jean-Luc Mélenchon, prenant acte de l’abolition de l’Académie française d’origine royale, acte notre passage commun en République. Et il propose que cette république des peuples de langue française s’incarne dans quelques principes simples, dont la solidarité pour la souveraineté des peuples membres. Nous disons peuples plutôt qu’États, car à plusieurs reprises, l’orateur a bien davantage voulu parler au nom du « peuple français » que de la France. Et cela a une influence sur sa position canadienne où, implicitement, dans une vieille continuité française remontant au choc de 1763, il distingue « nos cousins québécois » des Canadiens. Il s’agit d’assurer la liberté des premiers et la souveraineté des seconds… face aux États-Unis.
Enfin – mais c’est là affaire non plus pleinement franco-québécoise, mais partisane – l’orateur proposa que les mouvements de gauche de l’espace francophone se lient dans une forme de confédération fraternelle spécifique, non exclusive d’autres, mais qui pourrait porter des slogans d’intérêt commun.
Plus généralement, un an de contacts franco-québécois – depuis la visite de Gabriel Attal, connectant la France et le Québec sur la question de la laïcité, après les rencontres Macron–Legault, aboutissant à la singulière entrevue en France entre le Premier ministre du Québec et le président des États-Unis – montre que la visite québécoise de Jean-Luc Mélenchon s’inscrit dans une réalité politique franco-québécoise émergente. C’est un fait, et non plus, comme dans les années 1960 ou 1860, un projet.
Le fait que quatre millions de Québécois aient visité la France, que 200 000 Français vivent au Québec, que des centaines de milliers d’autres aient une expérience québécoise, tout cela crée une infrastructure vivante. Mais plus encore! Combien de néo-Québécois sont en fait engagés dans des relations triangulaires avec de la famille en Afrique, en Haïti ou au Liban… mais aussi en France? C’est un fait : ces dernières décennies ont entrelacé l’espace postimpérial français comme jamais. Paradoxe suprême, la couche d’américanisation vécue de part et d’autre de l’Atlantique a encore rapproché, en s’agrégeant aux éléments de culture commune, anciens et nouveaux. Jean-Luc Mélenchon a un projet franco-québécois à plusieurs niveaux – culturel, géopolitique, idéologique, partisan – une conscience politique de cette réalité et en esquisse une forme politique.
Jean-Luc Mélenchon a opposé sa vision de l’action commune à celle de Villers-Cotterêts, celle d’Emmanuel Macron et de François Legault. Et de fait, les mandats de ces deux derniers ont mené à une sorte d’impasse finale de l’OIF. Élargie selon les intérêts économiques des nouveaux venus ou pour complaire aux désirs de tel ou tel membre puissant, l’OIF s’est discréditée et a perdu trois membres fondateurs, qui l’associaient au post-colonialisme français. En l’état actuel des choses, les programmes des autres grandes forces politiques françaises sont fort peu diserts sur le sujet. Au fond, elles ne savent que faire de la francophonie.
Nous attendons avec impatience de lire les réactions québécoises à ces propositions, qui mettent en quelque sorte en responsabilité le Québec comme élément clé de la vie multidimensionnelle de notre langue commune.