Parmi toutes les promesses ou solutions simplistes et populistes énoncées avant et pendant la campagne électorale, peut-être la plus trompeuse, imprudente, dangereuse et cruelle est celle lancée par monsieur Poilièvre de « ne pas laisser entrer » au pays des gens « qui ne sont pas de vrais réfugiés ».
Il a même fait référence spécifiquement aux personnes originaires du Mexique comme « faux réfugiés » qui ont créé « l’embouteillage » dans le traitement des demandes par le gouvernement fédéral. Cette chanson sur les « vrais réfugiés » et les « faux réfugiés » est souvent reprise dans le discours public par d’autres élus et des analystes de droite.
Pourquoi cet engagement irréaliste est-il pire que d’autres? Parce qu’on ne parle pas ici d’une taxe, ou d’un pipeline ou d’un bâtiment de logements. On parle d’êtres humains. On jette de l’ombre non seulement sur un adversaire politique, mais sur toute une catégorie de personnes au pays. Et on induit sciemment la population en erreur dans un dossier hautement sensible.
Examinons de plus proche les messages implicites dans cette affirmation politique tordue.
Plus de demandes faites en ligne après l’arrivée qu’à la frontière ou à l’aéroport
L’expression « laisser entrer » donne l’impression que la majorité des demandeurs d’asile font leur demande à un point d’entrée, soit à la frontière ou à l’aéroport. En réalité, il existe trois endroits où une demande d’asile peut être déposée : un point de passage frontalier, un aéroport, ou encore, selon l’identification d’Immigration, Réfugiés, Citoyenneté Canada (IRCC), un « bureau intérieur ». En réalité, les demandes qui ne sont pas faites à l’arrivée sont faites en ligne une fois au pays.
Depuis 2015, la seule année où les demandes faites à la frontière ont dépassé celles faites autrement était en 2022 lorsque le chemin Roxham s’est rouvert avec la fin des restrictions de voyage après la pandémie. Toutes les autres années, les demandes faites en ligne ont dépassé de loin celles faites à l’arrivée.
En 2024, les deux tiers des demandes ont été faites en ligne. Les deux premiers mois de cette année, ce chiffre a atteint plus de 76 % au Canada et plus de 83 % en Ontario[1]. En fait, en 2022, le nombre de demandes faites après l’arrivée était de 28 120, pas loin du chiffre d’avant la pandémie. Cependant, il a explosé par la suite pour atteindre 72 035 en 2023 et 114 205 en 2024.

Ce sont ces demandes faites après l’arrivée qui crée « l’embouteillage ». Le Mexique a été en haut du palmarès des pays d’origine de demandes d’asile une seule fois, en 2022, pendant toutes les années pour lesquelles les données sont publiques.
La procédure équitable au cœur de notre système de droit
Dans tous les cas de demande d’asile, la première étape est de vérifier si la demande est recevable. Cette vérification est faite par un agent des services frontaliers à un point d’entrée ou par IRCC si la demande est faite en ligne. Une requête peut être non recevable pour diverses raisons, telles que des questions de sécurité, si la personne a déjà présenté une demande qui a été refusée au Canada ou ailleurs, ou si elle a déjà reçu un avis de quitter le pays. À la frontière terrestre s’ajoutent les conditions précisées dans l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs.
Si la demande est jugée recevable, elle est transférée à la Commission d’immigration et du statut du réfugié (CISR). C’est la Commission qui examine le fondement de la demande. La personne peut rester légalement au pays en attendant une décision sur sa demande. Il s’agit de la procédure équitable, qui est au cœur de notre système de droit.
L’immigration à deux étapes pousse les demandes d’asile
Quelle conclusion peut-on tirer de ces faits? D’abord, ce n’est pas au moment qu’une demande est faite qu’il peut y avoir une détermination sur le fondement de la demande. De plus, la plus grande proportion des personnes demandant le statut de réfugié sont déjà au pays. Les données ne sont pas disponibles publiquement sur le délai entre l’arrivée au pays et la demande d’asile, mais il est clair que ces personnes sont entrées au pays légalement avec un permis d’étude ou de travail et/ou un visa de visiteur.
L’explosion de ce type de demande dans les deux dernières années coïncide avec la décision du gouvernement fédéral de baisser les seuils d’immigration permanente au pays, notamment en refusant le renouvellement des centaines de milliers de permis ou de visas. On peut donc présumer que la politique d’immigration à deux étapes a ouvert la porte à ce type de geste de désespoir ou de mauvaise foi.
Un besoin urgent de solutions novatrices et structurantes en amont et en aval
L’objectif de tout gouvernement en matière des demandes d’asile est d’en réduire le nombre et surtout le nombre fait de mauvaise foi ou sur les conseils d’escrocs. Ça va prendre des méthodes beaucoup plus sophistiquées en amont. Il faudra arrêter les fausses promesses répandues à l’étranger qu’un permis temporaire n’est que la première étape vers la résidence permanente. Il faudra la collaboration des services de sécurité québécois, canadiens et internationaux pour contrer les filières criminelles internationales de passeurs et de trafiqueurs. Il faudra des systèmes informatiques de traitement des demandes de permis et de visa permettant de détecter, en amont, des techniques frauduleuses.
Il faudra mieux soutenir les populations à l’étranger menacées par les conflits et les effets des changements climatiques. On voit malheureusement de plus en plus de pays riches coupant dans l’aide publique humanitaire et au développement. C’était même un élément de la plateforme conservatrice. C’est la recette pour un désastre qui ne peut que générer encore plus de déplacements et de migrations.
En aval, il faudra les ressources nécessaires pour traiter les demandes d’asile équitablement et efficacement. Le nombre de demandes réglées par la CISR en moyenne par mois en 2024 (6 231) représente une augmentation de 40 % par rapport à 2023, mais il demeure plus de 280 000 en cours de traitement.
Il faudra aussi une meilleure répartition de ces personnes à travers le pays, la délivrance rapide de permis de travail pour permettre une autonomie pendant la longue attente d’une décision, des ressources pour couvrir les services de santé et une compensation équitable aux provinces pour les autres services auxquels ces personnes ont droit. Ce sont toutes des responsabilités du fédéral.
Finissons-en avec un discours politique insultant et fractionnel
Enfin, la référence à « l’embouteillage » est un trope pour « bureaucratie », c’est-à-dire l’administration publique. Aussi bien parler du « deep state », l’État envahissant qui menace le bien-être de « monsieur et madame Tout-le-Monde », englobant souvent le système judiciaire et la règle de droit.
Il est devenu à la mode pour beaucoup de leaders politiques et « analystes » de dénoncer la bureaucratie, mais il est temps que ça cesse. Une administration publique et un système judiciaire neutres sont des institutions de base de la démocratie. Susciter une méfiance de la population envers ces institutions joue contre le bien commun.
Les défis complexes de nos temps, comme celui relatif aux migrations, exigent des réponses complexes. La population québécoise est assez intelligente pour comprendre. Pour la santé de notre démocratie, de notre cohésion sociale et de notre avenir comme nation, espérons que le discours politique commence à tenir compte de cette intelligence collective en devenant plus transparent et moins fractionnel.
[1] En 2024, le 33 % des demandes d’asile faites au Canada ont été fait au Québec, 50 % ont été faites en Ontario. Les deux provinces reçoivent ainsi plus que leur part des demandes dans le pays (22 % et 39 %, respectivement, de la population canadienne). Ce sera toujours le cas parce que les aéroports de Montréal et de Toronto reçoivent le plus de vols internationaux et les grandes concentrations humaines aux États-Unis sont collées au sud de ces deux provinces.