L’auteur est porte-parole du Regroupement Vigilance Mines Abitibi-Témiscamingue (REVIMAT).
Lors de la dernière campagne électorale fédérale, autant Mark Carney que Pierre Poilievre promettaient de mettre en œuvre un projet de pipeline transcanadien. L’objectif était de rendre le Canada économiquement plus fort par rapport aux États-Unis en diversifiant les acheteurs potentiels de gaz naturel. Rappelons qu’aucun projet n’existe en ce moment, qu’aucune compagnie n’a offert de développer un tel projet et qu’aucun client n’a levé la main… et ce genre de projet pourrait prendre de 10 à 15 ans avant d’être mis en chantier.
Les sondeurs se sont empressés de vérifier si l’acceptabilité sociale était au rendez-vous. Les tarifs du président Trump ayant créé une panique pancanadienne, une majorité de gens ont appuyé le projet. Les chambres de commerce, le Parti Libéral et le Parti Conservateur ont vite fait de récupérer le résultat de ce sondage.
L’écoblanchiment a aussi refait surface pendant la campagne. Le projet de pipeline est devenu un projet « vertueux » et « hyper important » en matière de lutte contre les changements climatiques, puisqu’il permettrait à des pays d’Asie et d’Europe de se défaire de leur consommation de charbon. On a fait abstraction du fait que le gaz naturel vendu ne pourrait que s’ajouter à la consommation gazière actuelle et non la réduire.
La peur est une très mauvaise conseillère. Avant de se lancer à cœur perdu pour les 15 prochaines années dans la construction de pipelines et de complexes de liquéfaction du gaz naturel, j’aimerais rappeler les enjeux environnementaux, économiques et sociaux soulevés par ce genre de projet. Pour illustrer le problème, je vais me servir du projet GNL Québec / Gazoduq / Énergie Saguenay que le gouvernement Legault, malgré son intérêt manifeste, avait dû refuser suite à une mobilisation citoyenne impressionnante contre le projet.
L’extraction à la source
En Alberta, la fracturation hydraulique, qui consiste à « fracturer » la roche avec un mélange d'eau, de sable et de produits chimiques projetés à haute pression, est la technique d'extraction clé utilisée par l’industrie depuis plusieurs années afin de libérer du gaz naturel. Cette technique pollue l'eau et provoque de l'activité sismique à cause des fissures produites. Lors de la fracturation et après, du méthane s’échappe dans l’air, ce qui augmente le réchauffement de la planète.
Pipelines
Le projet Gazoduq au Québec exigeait la construction d’un pipeline de 780 km pour transporter, chaque année, 11 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié de l’Ouest canadien jusqu’au port de Saguenay, en passant par l’Abitibi, la Haute-Mauricie, le Lac Saint-Jean, le Saguenay, le Fjord du Saguenay et le Saint-Laurent. Quarante-trois collectivités québécoises et cinq communautés des Premières Nations se trouvaient sur la trajectoire du pipeline proposé.
En Abitibi, le pipeline aurait passé près de propriétés privées réduisant ainsi leur valeur marchande. Les populations vivant à proximité du pipeline se voyaient exposer à des dangers non sollicités comme des feux, des explosions, des blessures graves, de la mortalité, des fuites de substances, des effets environnementaux négatifs. Au Canada, 1 928 évènements du genre ont été enregistrés depuis 2008.
Le couloir permettant l’installation du pipeline exigeait de raser une bande de terrain de 50 mètres de large. Ce couloir aurait permis aux prédateurs comme le loup de chasser plus facilement ses proies, comme les orignaux et les cerfs, fragilisant ainsi les populations de ces derniers. De plus, le pipeline aurait traversé plusieurs centaines de milieux humides et hydriques causant l’affaiblissement de leur écosystème respectif.
Le coût de construction d’un pipeline de 780 km est un enjeu énorme et surement un frein pour une compagnie qui voudrait développer un projet tel que GNL sans l’aide du gouvernement. À titre d’exemple, le gouvernement fédéral a acheté le complexe Trans Mountain pour 4,6 milliards de dollars en 2018. Ensuite, il a dû construire un pipeline de 992 km pour raccorder le tout pour 34,2 milliards de dollars en 2024.
Il faut mettre en perspective que la durée de vie d’un pipeline se situe entre 20 et 50 ans dépendant de la qualité de l’acier et des produits de protection appliqués sur le pipeline. On ne peut qu’imaginer combien coûterait d’ici quelques années un pipeline de 780 km au Québec.
Usine de liquéfaction
L’usine de liquéfaction Énergie Saguenay aurait à elle seule généré 700 000 tonnes de CO2 par année, ce qui représentait à l’époque 1% de toutes les émissions de GES du Québec. L’Union des consommateurs évaluait que l’usine consommerait annuellement 5 TWh d’électricité, ce qui aurait provoqué un « choc tarifaire » pour les clients d’Hydro-Québec, puisque, dans l’entente qui était prévue, un prix préférentiel était octroyé à la compagnie. Suite à l’annonce d’Hydro-Québec d’une éventuelle pénurie d’électricité à venir, il était évident qu’il aurait fallu construire un nouveau barrage aux frais de la population juste pour alimenter cette usine.
Transport sur le Saguenay et le Saint-Laurent
Le gaz naturel liquéfié aurait finalement été transporté par au moins 300 navires-citernes super méthaniers, qui auraient emprunté le Fjord du Saguenay, mettant à risque, entre autres, la population des bélugas. Selon le ministère Pêches et Océans Canada « la population de bélugas de l’estuaire du Saint-Laurent est protégée en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP) ». Cette loi aurait dû mettre un point final au projet, dès le départ.
Finalement, des fuites de gaz liquéfiés provenant des super-méthaniers auraient pu contaminer les cours d’eau de façon dramatique sur de très grandes surfaces sans que l’on puisse réagir.
Un projet sans avenir
La phase dite transitoire de l’utilisation du gaz naturel d’ici à ce qu’on remplace les hydrocarbures par des sources écoresponsables est appuyée par nos gouvernements. On cherche à réduire les émissions de CO2 d’usine opérant, entre autres, au charbon. Même si le gaz naturel génère moins de CO2 que le charbon, l’extraction et le transport du gaz naturel provoquent des fuites de méthane. Ce gaz est 84 fois plus puissant que le CO2 en termes de rétention de chaleur sur une période de 20 ans, ce qui amplifie les changements climatiques. L’utilisation du gaz naturel n’est donc pas une solution viable.
Les annonces électoralistes de construction de pipelines transcanadiens sont donc vides de sens. Les coûts pharaoniques pour les mettre en œuvre seront un frein pour les investisseurs à moins que les Canadiens paient une part de la facture. La mobilisation citoyenne contre ce genre de projet, une fois la peur des tarifs gérée, va aller en grandissant. Les enjeux environnementaux vont augmenter et nos engagements mondiaux concernant la réduction des émissions de produits affectant la hausse du réchauffement climatique ne seront pas respectés si le projet va de l’avant.