Le préambule de la Charte de la langue française, façon Simon Jolin-Barrette, le proclame haut et fort : « L’Assemblée nationale reconnaît que le français est la seule langue commune de la nation québécoise. » Son premier article le réaffirme. Seul le français. Pour l’ensemble du Québec.

La commission Gendron avait recommandé de poser ainsi le français, langue de communication publique entre Québécois de langues maternelles différentes, au cœur de notre politique linguistique. Principe auquel la charte originelle, ou loi 101 version 1977, a ensuite donné chair.

Le rapport du commissaire à la langue française, Benoît Dubreuil, Le français comme langue commune. Comprendre le recul, inverser les tendances, n’est pas de cette trempe. Il ne vise pas à garantir au français le statut de seule langue commune du Québec.

Un commissaire sourd et aveugle

« Comprendre le recul » ? Mais voyons donc. Dubreuil se déclare certain d’avoir bien cerné « les principaux mécanismes expliquant le recul du français comme langue commune », alors qu’il n’en a même pas effleuré la cause première. Trudeau père a déclaré la guerre à un Québec français dès la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Ottawa s’emploie depuis à abattre cette manière de faire société autrement. À coups de multiculturalisme et de promotion de l’usage de l’anglais au Québec.

La nomination d’une gouverneure générale qui ignore le français n’en est qu’un énième épisode. De même que les rejets à répétition par Ottawa du projet de loi du Bloc québécois obligeant tout candidat à la citoyenneté canadienne, domicilié au Québec, à faire preuve d’une connaissance suffisante du français. De même que la banalisation du Quebec-bashing. Étourdissant, le silence de Trudeau fils, quand la modératrice du débat anglais aux élections fédérales de 2021 a taxé le Québec de racisme, en raison des « Bills 21 and 96 » sur la laïcité et la langue commune.

Dubreuil demeure sourd et aveugle à ce combat incessant. Ainsi qu’aux conséquences, genre Michael Rousseau, de l’abolition par Ottawa de la clause Québec, c’est-à-dire de l’obligation faite par la charte de 1977 aux migrants en provenance du Canada anglais d’inscrire leurs enfants à l’école française. Ainsi qu’aux conséquences, genre Québec bilingue, du discrédit – discutable – jeté par la Cour suprême du Canada sur l’affichage commercial en français seulement qu’avait instauré la charte originelle.

Fait à retenir : le recul du français au Québec a débuté peu après que Claude Ryan, suivant les prescriptions de ce tribunal, ait remplacé en 1993 l’affichage selon la charte originelle par un affichage à « nette prédominance » française. Question à poser : comment se porterait le français aujourd’hui si Ottawa ne s’était pas acharné à démanteler la charte originelle ?

Le commissaire considère mollement, au contraire, que « malgré la présence au Québec d’une politique linguistique ambitieuse », celle-ci « a montré ses limites face aux principales tendances qui entraînent aujourd’hui le recul du français ». Bordel ! C’est plutôt le Canada qui a « montré ses limites » à la charte de 1977 ! C’est-à-dire à l’aspiration du Québec à faire du français sa langue commune. Voilà d’où découle la déroute du français depuis les années 1990. De même que l’expansion subséquente de l’anglais depuis les années 2000. Tendances éminemment agréables au suprémacisme Canadian.

La contestation du statut du français au Québec qu’Ottawa fomente au profit de l’anglais subvertit désormais jusqu’à la dernière mesure phare de ce qui reste de la loi 101 originelle, soit la scolarisation obligatoire en français des enfants des francophones de souche et nouveaux arrivants. Dans nombre d’écoles, dont notamment des écoles secondaires à clientèle francophone minoritaire, le français peine maintenant à s’imposer comme langue commune à l’extérieur de la salle de classe.

Une langue commune au rabais

Dubreuil passe à côté d’un autre aspect capital, soit la constatation du statut actuel du français en tant que langue commune. Le concept a beau être aussi limpide que central, le commissaire se complaît à contourner son devoir.

Dans son Cadre théorique, il soutient en effet que l’article 88.9 de la charte version Jolin-Barrette définit la langue commune en fonction de trois éléments : langue d’accueil et d’intégration des immigrants, langue de communication interculturelle, langue d’adhésion et de contribution à la culture distincte de la nation québécoise. Or, l’article précède cette liste de « notamment ». Il s’agit donc d’exemples de ce qu’entraîne la notion du français comme seule langue commune. Et non d’une définition.

Qu’importe. Dubreuil considère que les indicateurs habituels qu’emploient Statistique Canada et l’Office québécois de la langue française (OQLF), dont la langue utilisée le plus souvent au travail, la langue utilisée le plus souvent en public, etc., permettent, pris conjointement, de « documenter assez finement […] un enjeu d’intérêt public [qui] se trouve derrière » chacun des trois éléments qu’il considère constitutifs de la langue commune. Permettent, autrement dit, de bien cerner le statut du français seule langue commune.

Il se contente par conséquent d’examiner cette panoplie d’indicateurs. Quant au degré d’utilisation du français qui doit être visé, Dubreuil élabore sa « stratégie d’analyse » dans ses Études complémentaires : « De notre point de vue, l’utilisation prédominante du français, par une grande majorité de personnes et dans les principaux domaines de la vie en société, correspond à ce qui est généralement souhaitable, et nécessaire, pour assurer la pérennité et la vitalité de cette langue au Québec. Ainsi, l’atteinte des objectifs de la Charte de la langue française est compatible avec une utilisation régulière d’autres langues, comme [l’anglais] ».

Non. Ça, c’est le piège tendu par la Cour suprême. Les francophones sont encore assez majoritaires pour que le français demeure « nettement prédominant » sur plusieurs plans. Sauf que, comme les francophones, il prédomine de moins en moins.

La charte, elle, a un objectif central tout autre. Le français, seule langue commune.

Dans sa Recension des écrits, le commissaire boude l’unique étude qui offre quelques observations franches à ce propos. Langue de travail dans les grandes entreprises au Québec (OQLF, 2008) présente les résultats d’une enquête qui, entre autres, a posé aux travailleurs francophones la question qui tue : « Quelle langue utilisez-vous généralement lorsque vous vous adressez à vos collègues anglophones pour des questions de travail ? » Il en ressort notamment que dans la région de Montréal, les francophones employaient, encore, le plus souvent l’anglais comme langue commune dans de pareilles circonstances.

Il s’agit pourtant là des entreprises dont la loi 101 vise le plus fermement à franciser la langue de travail. « Le français est la langue commune du Québec » a inspiré un demi-siècle de beaux discours. Mais en réalité, où, au juste, en sommes-nous en la matière aujourd’hui ? Silence.

Le français était par contre la langue principale de travail de 76 % des travailleurs montréalais en cause, du seul fait que les francophones en constituaient la grande majorité. À l’évidence, faire du français la seule langue commune n’a rien à voir avec simplement le conforter comme langue prédominante.

Péter les barreaux du goulag canadien

Le rapport Dubreuil ne casse rien : « Les mesures que nous recommandons [permettront] de consolider […] les contextes et les réseaux où l’usage du français est facile, utile et naturel. » Think small, ’stie !

Faire du français « la seule langue commune de la nation québécoise » appelle des interventions autrement plus musclées. D’une envergure comparable à celles des mesures phares de la charte originelle.

Que l’Assemblée nationale commence donc par exiger à l’unanimité qu’Ottawa rende la connaissance du français obligatoire pour les candidats à la citoyenneté résidant au Québec. Ce serait amusant de voir comment certains patineraient devant une proposition aussi pétrie de bon sens.