Erreur ou horreur, on se fait fourrer

 


Le chansonnier est aussi cinéaste



Il n'aurait pas été exagéré d'intituler ce film L'Horreur boréale. Ses auteurs, Richard Desjardins – oui, l'auteur-compositeur- interprète, mais aussi scénariste et co-producteur de quelques documentaires depuis 1976 – et son vieux copain Robert Monderie, photographe-cinéaste impliqué dans une quinzaine de productions et comme lui Abitibien, ont préféré ne pas faire peur au monde dans un simple titre. Ils ont plutôt opté pour0 Erreur boréale . Et ils ont eu raison.

Le problème abordé est celui de la déforestation progressive et inéluctable d'un bien public. Le propos et la démonstration qu'offre leur documentaire de 68 minutes suffisent à démontrer l'horreur d'une situation qui a transformé une des plus grandes forêts nordiques, la nôtre, de propriété publique en source privée d'enrichissement pour une poignée de compagnies papetières. Or, ces dernières ne se privent pas d'exploiter la ressource sans tenir compte de demain, comme si cette richesse était vraiment inépuisable.

Une rare incurie

Selon les cinéastes, la notion d'aménagement forestier mise de l'avant pour justifier ce pillage d'un domaine, à l'origine propriété publique, n'est qu'une vaste fraude intellectuelle destinée à rassurer la population et à donner bonne conscience aux politiciens, lesquels ont fait preuve d'une rare incurie en cédant aux papetières un patrimoine que ces dernières ne se soucient guère de conserver pour les générations à venir.

Afin d'établir les probabilités de renouvellement de la forêt ainsi dénudée et exploitée, on utilise, tant aux divers paliers de l'administration gouvernementale que chez les magnats du papier, des projections par ordinateur s'étendant sur des périodes de 120 à 150 ans, à partir des mêmes instruments qui ne permettent même pas, aujourd'hui, de prévoir les conditions météorologiques avec précision, 24 heures à l'avance. Résultat0 on coupe, chaque année, sur le territoire québécois, l'équivalent en copeaux de bois de dix stades Olympiques emplis à ras-bord - jusqu'à la toile déchirée – alors que, pour prévoir le renouvellement de la ressource, il faudrait se limiter à sept stades Olympiques. Tout bon comptable vous dira qu'en brûlant ainsi, chaque année, 30 pour-cent du capita1, on court rapidement à sa dilapidation.

Une question niaiseuse

Sous le vocable rassurant de coupe avec régénération forestière, Abitibi Price, Domtar, Donohue et autres exploiteurs de nos richesses naturelles pratiquent des coupe-à-blanc sur d' immenses territoires que leur a concédé le gouvernement Bourassa, en 1987. Leur attitude est dénoncée par des ingénieurs forestiers, des contremaîtres de chantier, des étudiants en foresterie et même par des fonctionnaires honnêtes du gouvernement québécois actuel. Quant aux entreprises, elles n'ont rien à dire et leurs porte-parole préfèrent se taire ou insulter les cinéastes. Tel est par exemple le cas de Pierre Péladeau, interrogé par Desjardins, en '96, à l'occasion d'une assemblée annuelle des actionnaires de la Donohue – qui lui versait quelques dizaines de millions de dollars en dividendes – et qui à la question0 Croyez-vous que l'industrie papetière est malade? se contente de répondre finement0 J'sais pas, demandez ça à un médecin , avant de retomber dans la vulgarité0 Une question niaiseuse . M. Péladeau, rappelons-le, est considéré par ses pairs exploiteurs comme une personnalité du siècle .

Et là-dessus, le film de retourner à ceux qui acceptent de parler du problème et qui, malgré les fonctions délicates qu'ils occupent, n'hésitent pas à dire la vérité. Ainsi, Louis-Jean Lussier, ancien président de l'Ordre des ingénieurs forestiers et professeur à l'Université Laval, affirme sans ambages que l'Ordre en question n'est pas au service de l'intérêt public. Pour sa part, Vincent Desjardins, du ministère de l'Environnement avoue que l'organisme dont il relève, pourtant responsable des écosystèmes, est sans pouvoir aucun en matière de gestion forestière.

Vingt terrains de baseball par habitant

Richard Desjardins trace en narration une trame qui raconte les différentes lachetés et malversations qui ont marqué l'histoire des forêts québécoises, que Jacques Cartier décrivait si riches et abondantes espèces variées, pour en faire une plaine à perte de vue, stérile pour des lustres après le passage de pièces de machinerie de quelques dizaines de tonnes, écrasant toute végétation sur leur passage et creusant des ornières qui drainent les forêts à tout jamais.

Les concessions aux papetiers ont été faites aux dépens de l'équivalent en surface forestière de vingt terrains de baseball par habitant que nous reconnaissait le pacte initial rendant cet espace public. Aujourd'hui on effectue même des coupe-à-blanc à l'intérieur des réserves fauniques et sur les territoires des réserves indiennes du Nouveau Québec. C'est ainsi que les Cris de 1a réserve Waswanipi, située autour du cinquantième parallèle, ont vu 42 des 55 territoires de chasses qui, jusque là, leur étaient réservés, coupés à blanc. Ils sont venus raconte leur chef. Ils nous ont insultés. Ils se sont moqués de notre mode de vie. Nous avons voulu parler. Eux, ils ont coupé. On n'a jamais consenti à quoi que ce soit.

Nouveau fleuron au blason de l'homme blanc, cet imbécile qui ne pense qu'en termes de profits financiers. Évidemment, les chevreuils, dont on a détruit l'habitat naturel, n'ont plus qu'à envahir nos banlieues. Et voilà pourquoi ils se baignent dans les piscines des banlieusards et provoquent chaque année leurs lots d'accidents sur nos autoroutes.

L'Erreur boréale, tourné en vidéo, tient davantage de l'excellent reportage télévisuel que du cinéma conventionnel. Ce qui ne l'empêche pas d'offrir un intérêt soutenu du début à la fin. Il est à espérer que l'implication de la Société Radio-Canada, par le biais de son Service des émissions grands reportages et documentaires, suffira à en assurer une vaste diffusion sur les ondes de la télévision d'État.