Mensonges néolibéraux, mensonges fiscaux

 

Les néolibéraux veulent éliminer la capacité redistributive des États et abolir pratiquement les programmes sociaux. Ils déploient une argumentation et une série de comparaisons boiteuses pour nous faire gober que les moins nantis ont le même intérêt que les bien nantis à exiger des réductions d'impôts importantes. L'économiste Murray Dobbin anéantit quelques mythes fiscaux entretenus par ces amis qui nous veulent du bien en réduisant leurs impôts. (1)

La seule question pertinente est 0 sommes-nous surtaxés pour les services que nous recevons ? Nous ne pouvons nous comparer avec des pays qui ont beaucoup moins de services publics que nous.

Mythe 1 0

On ne reçoit pas de services pour nos impôts

Dernièrement, le comptable Cyrenne nous serinait combien les impôts étaient plus élevés au Québec qu'aux USA. C'est par distraction sans doute qu'il a évité de dire que 43 millions d'Américains ne peuvent se payer d'assurance-santé privée, que les coûts de santé y sont de 50 % plus élevés, car on y paye une rançon en juteux profits aux compagnies privées qui font de la maladie une business.

C'est sans doute aussi par inattention qu'il a passé sous silence les frais de scolarité de 37 500 $ CAN par année que les étudiants universitaires américains doivent débourser aux institutions privées ; rien non plus sur la violence créée par les inégalités extrêmes, sur les working poors, etc.

Selon Dobbin et l'OCDE, malgré le fait que nous recevons plus de services publics, le revenu disponible après impôts des Canadiens était de 81,8 % du revenu brut contre 81,7 % pour les Américains et 85,1 % pour l'ensemble des pays de l'OCDE en 1996. Si on ajoute aux impôts des Américains les dépenses privées de santé et les coûts d'éducation, il n'y a plus de différence entre le Canada et les USA, à part leurs dizaines de millions d'exclus.

Mythe 2 0

La journée de la libération fiscale

Une autre sirène néolibérale, le Fraser Institute, fait beaucoup de bruit chaque année à propos du jour de la libération fiscale. On nous dit que nous commençons à travailler pour nous-mêmes fin juin-début juillet, ou le 6 juillet pour les Québécois, tandis que dans le paradis américain la libération survient le 12 juin.

Les riches veulent obtenir des baisses d'impôt en utilisant la force politique des moins nantis, alors qu'on sait bien que ceux-ci ont besoin de revenus de transferts financés par les impôts. Leurs mercenaires entretiennent donc l'idée que pauvres comme riches sont libérés ensemble fin juin du méchant État, que la guerre à l'impôt sur le revenu est une entreprise de salut public également profitable à tout le monde… Selon les données de Revenu Canada une proportion de 75 % des particuliers, soit 15 millions de contribuables sur 20,8 millions, gagnent moins de 35 000 $ par année.

Mythe 3 0

Plus d'impôts au Canada que dans les autres pays

Le think-tank patronal nous dit que les riches sont mobiles et que nous devons baisser leurs impôts et ceux de leurs compagnies pour concurrencer les États-Unis. Dobbin rappelle que les taxes et les impôts totaux perçus au Canada correspondent à 36,8 % du PIB comparé à une moyenne de 37,7 % pour 29 pays de l'OCDE. Nous ne sommes donc pas dans l'enfer fiscal , mais dans la bonne moyenne.

Au Québec, la ponction fiscale totale serait de 42,4 % du PIB, soit le même taux que celui de l'Union européenne, mais ils auraient de meilleurs programmes sociaux… Le poids de l'impôt des particuliers est de 15,7 % du PIB au Québec contre 14,9 % dans l'admirable Ontario qui réduit ses programmes sociaux et multiplie ses banques alimentaires. Où est l'enfer social, sinon en Ontario et aux États-Unis ? En réalité, nous sommes moins imposés que dans plusieurs autres pays, là où dépenses de santé et d'éducation sont davantage privatisées qu'au Canada.

Mythe 4 0

Réduire l'impôt des compagnies et attirer les investissements étrangers

Mais la démagogie atteint le summum lorsqu'on parle, dans les petits instruments de propagande à Black, à Desmarais et à Péladeau, de l'impôt des compagnies comme tueur de l'emploi.

Selon la firme de comptables KPMG, le taux effectif combiné (fédéral-provincial) d'impôt sur le profit net des compagnies était de 27,4 % au Canada après déduction des crédits et exemptions ; il est de 40 % aux USA. En Allemagne et en France, c'était 60,5 % et 54 % (2). Dobbin note aussi que les payroll taxes sont 30 % inférieures au Canada par rapport aux USA et le coût du terrain industriel est ici de 2,16 $ comparé à 2,92 $ le pied carré. Une étude plus récente de KPMG montrait que les coûts totaux liés aux affaires sont 2,1 % plus faibles au Québec par rapport à la moyenne canadienne et 9,7 % moins chers par rapport aux USA. Bernard Landry, obsédé de mondialisation, se félicitait d'ailleurs du pouvoir d'attraction créé par l'appauvrissement des travailleurs québécois ; veut-on en plus baisser les impôts des compagnies ?

Le fédéral se pète les bretelles avec la mondialisation et sa capacité d'attirer des investisseurs étrangers. Le PQ le copie en voulant donner 350 millions à GM. Pourtant, Dobbin rapporte que, de 1985 à 1997, 93,4 % des 184 milliards d'investissements étrangers au Canada n'ont été que des acquisitions par les étrangers d'actions d'entreprises canadiennes existantes ; seulement 6,6 % ont été consacrés à de nouveaux moyens de production. Souvent les étrangers ont procédé à des licenciements pour amortir le coût des acquisitions.

Mythe 5 0

Les taux d'impôt sont progressifs

Dobbin fait un calcul du taux global d'impôt (impôt sur le revenu plus taxe de vente, sur l'essence, taxes foncières, taxes de payroll, etc.) et il en arrive à la conclusion que trois familles de la Colombie-Britannique, gagnant 30 000 $, 55 000 $ et 90 000 $, paient respectivement un taux global de 23,8 %, 29,9 % et 31,7 % de leur revenu.

Donc, la progressivité de l'impôt global des Canadiens exige une étude plus sérieuse que celle des petits journaux jaunes. Dobbin établit que ceux ayant gagné un revenu supérieur à 300 000 $, toutes sources comprises, ont payé 14,4 % d'impôt sur ce revenu. Le hic, c'est que le revenu imposable des riches est beaucoup moins élevé que leur revenu brut, car ils disposent de beaucoup d'exemptions et déductions comme la non-imposition de 25 % de leurs plantureux gains de capitaux, la déduction des frais d'intérêt et de placement, etc.

Mythe 6 0

La fuite des cerveaux

L'institut CD Howe, un think-tank affairiste, rabâche que l'impôt canadien fait fuir les cerveaux. Statistique Canada a montré que, dans les années 90, nous avons perdu annuellement 8 500 gradués universitaires en faveur des États-Unis, mais les petits démagogues ne disent pas qu'il entrait 32 800 immigrants avec grades universitaires annuellement en provenance d'autres pays que les USA.

Par exemple, en 1996, le gain canadien net par l'immigration a été de 7 772 ingénieurs, 6 319 informaticiens, 1 999 scientifiques. Nous avons perdu 683 infirmières et c'est à cause du retrait de l'État de la santé. Invité à l'émission du matin de Homier-Roy, l'indécrottable comptable Cyrenne, gourou du PQ, déclarait que l'exode des cerveaux est bien réel puisqu'il connaissait de ses amis comptables qui avaient l'intention de déménager à leur retraite pour ne pas payer d'impôt au Québec sur leur régime de retraite engrangé au cours des années à partir de déductions fiscales québécoises. Premièrement, on ne peut généraliser abusivement à partir de quelque cas, deuxièmement, on ne peut conclure de la fuite de cerveaux à partir de la fuite de trous de cul.

(1) La majorité des données fiscales de cet article sont tirées de DOBBIN, Murray, 10 tax myths in The CCPA Monitor, vol. 6, no. 5, Oct. 99, The Canadian Centre for Policy Alternatives, pp. 9-32.

(2) Dobbin, p. 17, cite l'étude de KPMG publiée en 1997 The competitive alternative 0 a comparaison of business costs in Canada, Europe and the United States, oct 1997