Le patronat canadien et la Trilatérale

 

Bien que l'objectif principal de la Trilatérale ait été de raffermir les liens des Etats-Unis avec l'Europe et le Japon, le Canada était aussi un sujet de préoccupation pour le groupe des Rockefeller.

En effet, dans le contexte de la flambée des prix du pétrole en 1973, le gouvernement Trudeau cherche à profiter des immenses ressources pétrolières du Canada pour affermir son indépendance économique et politique à l'égard des Etats-Unis. Une nouvelle politique énergétique est votée pour faire profiter l'industrie canadienne concentrée en Ontario de l'abondance du pétrole à bas prix des provinces de l'Ouest et on resserre le contrôle sur les investissements étrangers.

Dans la continuité de ce que fut la National Policy de John A. Macdonald, la classe dirigeante canadienne cherche à contrer l'attrait des relations économiques nord-sud au profit de l'axe historique Montréal-Toronto.

La balkanisation du Canada

Les Etats-Unis voient au contraire leur intérêt dans la balkanisation du Canada et les monopoles américains du pétrole et des ressources naturelles soutiennent les revendications de souveraineté provinciale sur le pétrole du gouvernement de Peter Lougheed de l'Alberta. En 1973, David Rockefeller affirme même, lors d'un voyage au Canada, qu'il reconnaît le fait français au Québec, ce qui est interprété comme un soutien possible au projet souverainiste.

La chute du prix du pétrole en 1983 marque la fin des velléités d'indépendance de la classe dirigeante du Canada. Elle opère un virage à 180 degrés et se rallie au projet de libre-échange mis de l'avant par les Américains. Trudeau démissionne, sa mission de mater le Québec était accomplie avec sa victoire au référendum de 1980 et le rapatriement de la Constitution.

Brian Mulroney, ex-président d'une compagnie de ressources naturelles, ancien employé de Conrad Black, mène à terme le projet d'intégration économique du Canada avec les Etats-Unis et applique au Canada les politiques économiques de Reagan.

Le Business Council on National Issues

Pour comprendre ces transformations, il faut remonter à 1976 alors que fut créé le Business Council on National Issues (BCNI) sur le modèle du Business Roundtable aux Etats-Unis. L'initiative en revient à W.O Twaits d'Imperial Oil et Alfred Powis de Noranda.

Le BCNI est le conseil du patronat du Canada. Il regroupe les principales corporations du pays et son président, depuis 1980, est Tom d'Aquino, sans doute l'homme le plus influent au Canada. Le BCNI est ni plus ni moins que la branche canadienne de la Trilatérale.

Le BCNI a dépensé des millions par le biais de l'Alliance for Trade and Job Opportunities, dirigée par Peter Lougheed, Donald MacDonald et David Culver de l'Alcan, pour assurer le triomphe de Mulroney lors de l'élection portant sur le libre-échange.

Le BCNI a également réussi à imposer son programme de déréglementation des prix du gaz et du pétrole, de baisse des taxes fédérales aux entreprises et le remplacement des subventions aux corporations par des déductions fiscales moins voyantes. Il a aussi à son crédit l'introduction de la TPS et la psychose de la dette qui a servi de prétexte aux compressions budgétaires des dernières années. En somme, le BCNI programme le démantèlement de l'État-Providence et son remplacement par l'État néolibéral. Cela apparaît clairement avec l'exemple du Fraser Institute.

Le Fraser Institute

Le fondateur du BCNI, Alfred Powis de Noranda est à l'origine du Fraser Institute, le principal think tank néolibéral au Canada. Son fondateur, Michael Walker, est un partenaire de racketball de Milton Friedman et il a des liens avec la Société du Mont-Pèlerin.

En 1996, le Fraser Institute se vantait que 3 108 références à ses recherches se retrouvaient dans les médias. Ce n'est pas surprenant lorsqu'on voit que des gens comme Barbara Amiel, l'épouse de Conrad Black, ont siégé sur le conseil d'administration de l'institut.

Du keynésiasnisme au néolibéralisme

Aujourd'hui, la classe dirigeante canadienne, particulièrement le secteur financier et celui des ressources naturelles, est à ce point intégrée à la bourgeoisie américaine qu'elle commence à considérer l'adoption du dollar américain comme monnaie nationale du Canada.

Autrefois partisane du keynésianisme, la classe dirigeante canadienne complète aujourd'hui son alignement sur les positions néolibérales.

Bibliographie

1. Hobsbawm, L'Âge des extrêmes

2. Michel Bernard, L'utopie néolibérale, Éditions du renouveau québécois, 1997, 318p.

3. Daniel Yergin et Joseph Stanislaw, The Commanding Heights, Simon & Schuster, 1998, 457p.

4. Stephen Gill, America Hegemony and the Trilateral Commission, Cambridge University Press, 1990, 295 p.

5. William Greider, Secrets of the Temple, How the Federal Reserve Runs The Country. Simon & Schuster, 1987, 800p.

6. John B. Judis, The Paradox of American Democracy, Pantheon Books, NY, 2000, 305 p.

7. Murray Dobbin, The myth of the Good Corporate Citizen, Stoddart, 1998, 330 p.

8. Tony Clarke, Silent Coup, CCPA, 1997, 273 p.