Saint-Zénon fait reculer une multinationale américaine

 

Barricades en travers de la route, agissements criminels de la police, un clergé surprenant, 21 camionneurs lésés, sept semaines de conflit, et surtout une population unie contre une multinationale américaine.

À Saint-Michel-des-Saints, 21 camionneurs indépendants assuraient la livraison de panneaux de bois finis pour une filiale de la multinationale américaine Louisiana-Pacific. Depuis deux ans, un compétiteur, Charrette Transport, gruge les emplois des indépendants. Avec la récente hausse du prix de l'essence, ç'en est trop, les travailleurs autonomes ne peuvent plus continuer. Le conflit éclate au grand jour.

Aidés par le Syndicat national du Transport routier (CSN), ils tentent de négocier. Sans succès. Ils débrayent. Contrairement à ce qu'on a laissé entendre, les camionneurs ne cherchent pas à arrêter la production de l'usine et ainsi forcer leurs confrères au chômage. Tout ce qu'ils tentent, c'est de paralyser le transport du matériel fini.

Deux injonctions consécutives, interdisant le piquetage aux abords de l'usine, réussissent à miner leur moral. Ils ne savent plus où dresser leur ligne de piquetage. Ils sentent qu'ils n'ont plus de rapport de force.

Un curé progressiste

Par chance, le curé de Saint-Michel-des-Saints et de Saint-Zénon, Benoît Gingras, est un fervent défenseur du droit à la libre association. Il est également hostile aux politiques impérialistes des transnationales. Voyant les camionneurs perdre espoir, il leur offre son appui, ainsi que les terrains des églises des deux paroisses où ils pourront manifester sans craindre d'autres injonctions.

Benoît Gingras, la mairesse de Saint-Zénon, les travailleurs et les villageois s'organisent. Toute la population de la paroisse de Saint-Zénon, et au moins la moitié de celle de Saint-Michel, appuie inconditionnellement leurs concitoyens. Les camionneurs de Charrette Transport, jouant aux scabs durant le conflit, reçoivent une pluie d'œufs lorsqu'ils traversent le village de Saint-Zénon, une fois la noirceur venue.

On frôle la catastrophe

Les briseurs de grève demandent alors de se faire escorter par la police de Saint-Michel et circulent à 90 km/h dans le village, malgré l'ampleur des risques d'accident. Tout cela avec la bénédiction de la police (voir encadré).

Lorsqu'à Saint-Zénon un autobus scolaire, immobilisé sur la route principale avec ses feux d'arrêt en opération, fait descendre des enfants, on frôle la catastrophe. Un camion de Charrette Transport, roulant trop vite, est incapable de freiner à temps. Heureusement, le chauffeur de l'autobus a le temps de refermer la porte du véhicule avant la sortie des enfants et le camionneur réussit à éviter de justesse le véhicule jaune-orange.

La population en a assez. Elle barricade la route au moyen de troncs d'arbres. Elle veut simplement assurer sa sécurité. La circulation est donc détournée du trajet habituel. Il faut désormais utiliser les petites rues adjacentes. Et on ne laisse plus passer les camions scabs.

On sonne les cloches pour appeler au rassemblement

Des plus âgés aux plus jeunes, tous sont unis autour de la même cause 0 la sécurité et le rétablissement de la justice pour les 21 camionneurs. Les cloches de l'église de Saint-Zénon ne sonnent désormais que pour appeler la population à se rassembler. Plusieurs petits commerçants des deux municipalités partagent leurs ressources avec le groupe de camionneurs autonomes.

Par suite de l'intervention des ministres Guy Chevrette et Gilles Baril, les 21 travailleurs autonomes réussissent à reprendre les négociations avec la Louisiana-Pacific. Une entente intervient. Ils reprennent enfin leur boulot, après sept longues semaines d'arrêt.

La solidarité régionale a eu raison de la multinationale.

La population en colère contre les policiers

La population matawinienne a demandé le départ des policiers, jugeant qu'ils ont carrément outrepassé leurs droits. Par suite de plaintes de la population, ils devront faire face au comité de déontologie de la police.

Rien n'était trop beau pour contrôler la barricade 0 escouade tactique, anti-émeute, policiers en civil, hélicoptère, remorqueuses.

Faux témoignages et harcèlement psychologique de la part des policiers, en plus d'un nombre extrêmement élevé de lignes téléphoniques sous écoute, ont été observés.

En plus de tolérer les excès de vitesse des camionneurs de Charrette Transport et de les accompagner, les policiers faisaient preuve d'une rigueur imbécile lorsqu'ils intervenaient auprès des villageois.

Certaines personnes se sont retrouvées en prison pour avoir tenu tête aux forces de l'ordre. On leur a nié le droit de contacter leurs avocats, un droit pourtant fondamental.

Au lieu de calmer la population, l'action des policiers a réussi à la mettre en colère. Comme l'affirme le curé Benoît Gingras 0 La population s'est levée lorsqu'elle a arrêté d'avoir peur; elle était alors libre.

Chronologie d'un conflit

1989 - 1990 0 Ouverture de l'usine. L'employeur s'engage à respecter l'ancienneté.

1996 - 1997 0 Arrivée de la compagnie Charrette Transport. L'employeur ne respecte plus l'ancienneté et les indépendants se font gruger leur travail.

1998 0 Ouverture d'une cour de transit de Charrette Transport, ce qui favorise ses transporteurs. Louisiana-Pacific tente d'obliger les camionneurs indépendants à transiger avec Charrette Transport, mais sans succès.

Janvier 1999 0 Après deux mois de négociations entre les indépendants et Louisiana-Pacific, un compromis est atteint, mais il ne sera jamais respecté par la multinationale.

Été 1999 0 Été très difficile pour les camionneurs autonomes.

Décembre 1999 - janvier 2000 0 Augmentation du prix du diesel. Les gars décident de passer à l'action. Première journée de grève. Entente verbale qui ne tiendra pas.

21 février 0 Débrayage avec l'appui du Syndicat national du Transport routier (SNTR-CSN), qui aidera les camionneurs tout au long du conflit, suite à leur demande. Deux injonctions rendent le piquetage, à toutes fins utiles, impossible.

Samedi, 28 février 0 Premier barrage routier pour ralentir la circulation à Saint-Michel.

Jeudi, 9 mars 0 Une entente semble être conclue.

Lundi, 13 mars 0 Suite à un reportage de Radio-Canada proclamant la victoire des indépendants, la Louisiana-Pacific fait volte-face.

16 mars 0 Manifestation organisée par le SNTR-CSN à Montréal devant la place Ville-Marie, siège social de la compagnie, des camionneurs accompagnés de la mairesse de Saint-Zénon, Murielle Richard, et du curé Benoît Gingras. Dépôt d'une pétition de 1 500 noms (plus de la moitié de la population des deux paroisses réunies) demandant le réengagement des camionneurs.

Samedi, 3 avril 0 La route 131 est bloquée à Saint-Zénon et le sera jusqu'au dimanche en soirée. Les ministres Chevrette, Baril et Bellehumeur réussissent à faire en sorte que la compagnie reprenne le dialogue.

10 avril 0 Après sept semaines d'arrêt, retour au travail des camionneurs.