Un « 15 février 1839 » implosif

 

Certes le meilleur film de Pierre Falardeau. Dans le ton intimiste, décidément, c’est là que le cinéaste réussit le mieux… Même si l’homme public affectionne plutôt l’image coup de poing. Sur pellicule, c’est d’abord le ton de la réflexion qui frappe, qui perce comme un boulet de canon. Et comment ! Et dans ce 15 février 1839 plus que tout autre auparavant.

Même dans les bouts les plus « agressifs », tout se passe en demi-teintes, en élan ténu, en mots à double sens. Même dans les passages, disons, plus politiques, comme par exemple le discours sur l’immigration, sublime de justesse, ou celui sur le projet britannique d’union, ou encore la lecture en groupe d’un article de journal sur le rapport Durham. Et cette scène, véritable pièce d’anthologie québécoise sur le mode du « mon pays c’est toi » entre Sylvie Drapeau et Luc Picard. Bien sûr, le chuchotement, le contexte de la prison l’exigeait, seriez-vous tenté de me dire. Mais il y a plus là d’dans, il y a là, à voix basse, toute l’histoire d’un peuple condamné à se cacher, à taire son identité. Émotions retenues et toutes en nuances à trancher au rasoir, c’est par là que le film « se dépasse », pour paraphraser une expression d’un des personnages de 1839. Et j’ai la conviction que le film n’aurait jamais eu cette profondeur inépuisable d’une scène à l’autre si l’auteur y avait ajouté des extérieurs (hors-prison) comme il l’aurait souhaité.

Parce que je pense que c’est justement par son implosion que le film traverse littéralement l’écran. Comme dans « Pardonnez ? J’peux pas ! » de Thomas De Lorimier lorsque l’aumonier lui fait répéter le « Notre-Père » . Ou encore ces silences prolongés comme dans cette scène intense du soldat britannique « parlable » qui se retranche derrière les ordres, alors que debout devant lui, séparé par les barreaux de sa cellule, De Lorimier reste bouche cousue. Sur l’échafaud, il lui répliquera. Du bout des lèvres. Ce qu’il lui a déjà répété de tout son corps. « Maintenant c’est à votre tour d’avoir peur. »

Du début à la fin, un véritable chef-d’œuvre, que j’ai vu deux fois et que j’irais voir encore et encore… – et ça, ça ne m’est pas arrivé avec le « thriller » Octobre et croyez-moi, ça n’avait rien à voir avec le fait que j’y étais impliqué ou pas !

Dans ce voyage qui nous transporte de la prison « au pied du courant » jusqu’au plus profond de nous, j’ai pensé entre autres à Jean-Olivier Chénier et à cette poignée de compatriotes pendant ces longues heures d’attente et d’encerclement, emmurés dans l’église de St-Eustache, en ce décembre froid de 1837, avant le carnage final.

Là aussi, au milieu des explosions des boulets de canon et des balles des troupes du brulôt de Colborne, il y aurait quelques implosions populaires à retrouver.

Quant aux événements d’après 1837-38 et aux autres qui ont suivi jusqu’à « demain », une phrase du film les résume tous et leur redonne tout leur sens profond 0

« Il suffirait pourtant de s’unir juste une fois, une seule fois… »