Le cul-de-sac du « nationalisme civique et inclusif » de la Commission Larose

 

La Commission Larose propose comme premier choix stratégique de « constitutionnaliser les droits linguistiques » dans le cadre de la Charte des droits et libertés ou dans une Constitution du Québec. Le français serait alors « constitutionnalisé » comme langue officielle et commune du peuple québécois, lequel – « nationalisme civique et inclusif » oblige – comprendrait tous les habitants du Québec, peu importe leur origine nationale.

Les membres des communautés culturelles grecque, italienne ou chinoise – même ceux qui ne s’exprimeraient que dans leur langue maternelle –- seraient ipso facto intégrés dans la nation québécoise.

La Commission Larose n’est pas tout à fait aussi « inclusive » pour la minorité anglophone dont elle reconnaît l’existence avec les nations inuite et amérindiennes et propose de leur assurer une « protection constitutionnelle », sans que l’on sache trop bien si cette protection s’étend à leur langue.

L’incroyable échafaudage linguistique du MNQ

Le mémoire du Mouvement national des Québécoises et des Québécois (MNQ), dont s’est largement inspiré la Commission Larose, n’hésite pas, lui, à nier l’existence de la minorité anglophone. Malgré ses allures jacobines, le mémoire est de facture essentiellement néolibérale. Le principe des nationalités est nié au profit de l’individu, tout comme est proscrit le droit de l’État à intervenir pour modifier la composition ethnolinguistique de la population. Les principes essentiels de ce mémoire nous aident à comprendre les fondements idéologiques du Rapport Larose.

L’auteur du mémoire du MNQ établit une distinction fondamentale entre les langues maternelles qu’il refoule au domaine de la vie privée et la langue nationale qui serait une pure construction de l’État.

Le MNQ nie l’existence d’une minorité nationale anglophone, mais également celle d’une nation québécoise francophone ! « Ce n’est pas l’homogénéité ethnique ou linguistique d’une population qui en fait une nation distincte », affirme le MNQ. C’est la « population », poursuit le mémoire, qui « reconnaît et adopte » (on ne sait trop comment !) une langue comme langue nationale « pour assurer la communication entre ses ressortissants de langues maternelles diverses ». Le MNQ propose que cette langue soit le français, mais la logique développée dans le mémoire permet d’affirmer que ça pourrait être tout aussi bien l’anglais… ou l’espéranto !

La Commission évacue la distinction fondamentale entre dominants et dominés

Il n’est pas étonnant qu’empruntant une telle approche, purement abstraite, la Commission Larose soit passée à côté du principe fondamental qu’est la distinction entre groupes linguistiques dominés et groupes linguistiques dominants et qu’elle ne tienne aucunement compte des rapports de force sur le terrain.

Par exemple, la Commission se réfère de façon positive au mouvement raciste américain « English Only » qui a forcé 25 États américains à imposer l’anglais comme langue officielle pour bloquer la progression de l’espagnol.

Mais, évidemment, la réalité reprend vite ses droits, et l’anglais que la Commission avait évacué par la grande et majestueuse porte constitutionnelle revient en vitesse par la porte arrière. Ainsi, après nous avoir invité à « rompre définitivement avec l’approche historique canadienne qui divise l’identité québécoise suivant une ligne ethnique 0 la canadienne-française et la canadienne-anglaise », les commissaires proposent au peuple québécois « de ne plus percevoir la langue anglaise comme un objet de concurrence, mais comme un mode d’accès à une composante majeure de son identité » ! ! ! On comprend pourquoi la nation québécoise n’est pas francophone; pour se réaliser pleinement, elle devrait être bilingue ! Trudeau n’aurait pas mieux dit !

Vers un Québec bilingue

Si la Commission avait bâti son argumentation sur le principe de réalité, elle aurait tenu compte du fait que tous les indicateurs démo-linguistiques sont au rouge. Elle aurait replacé la question dans sa véritable perspective historique. Il y a moins de cent ans, il y avait encore une importante diaspora francophone au Canada et aux États-Unis. Elle est aujourd’hui disparue. Il y a quarante ans, les francophones formaient le tiers de la population canadienne; ils comptent pour moins du quart. Et personne aujourd’hui, même parmi les plus fervents fédéralistes, n’évoque le rêve d’un Canada bilingue.

Au Québec, la loi 101 n’a pas réussi à renverser en faveur du français les transferts linguistiques, et l’assimilation gagne du terrain dans l’Outaouais et sur l’île de Montréal. Et il semble bien que certains, parmi les plus fervents nationalistes, rêvent d’un Québec bilingue !

Sommes-nous sur la défensive ou à l’offensive ?

Plutôt que de prendre la mesure de ces reculs et de l’ampleur du redressement nécessaire pour freiner le déclin démographique des francophones, la Commission emprunte au néolibéralisme le discours sur la déréglementation pour dénoncer « l’approche linguistique bureaucratique » de la loi101 et transpose dans le domaine linguistique la tactique syndicale du partenariat. En vigueur au cours des vingt dernières années, cette tactique est responsable, selon certains, du recul de la syndicalisation et de l’appauvrissement généralisé de la classe ouvrière.

D’autres argumenteront que le partenariat était la seule tactique syndicale possible pour sauver les meubles dans un contexte d’offensive patronale tout azimuts et que le problème se pose uniquement lorsqu’on transforme cette tactique en stratégie de collaboration de classe.

Revenons à la question linguistique. Examinons le rapport de forces. Celui-ci est-il le même qu’en 1977 lorsque fut adoptée la loi 101 ? Évidemment non.

Quel est le rapport de forces ?

La victoire du Parti québécois en 1976 était le point culminant de près de vingt ans de mobilisation nationale, syndicale et populaire. Le Parti québécois comptait alors plus de 300 000 membres et bénéficiait de l’appui de milliers de syndicalistes.

Et puis, les anglophones étaient divisés. Le déplacement de l’économie vers Toronto depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale faisait de Montréal un endroit moins stratégique pour le communauté d’affaires anglophone. Les États-Unis étaient affaiblis sur la scène mondiale suite à leur défaite au Vietnam et Washington cherchait à « jouer » le Québec contre le Canada pour inciter le gouvernement Trudeau à renoncer à ses politiques nationalistes. Un membre de la richissime famille Rockefeller n’a-t-il pas déclaré à l’époque qu’il ne voyait aucun problème à ce que le français soit la langue de travail au Québec.

Le rapport de forces actuel est fort différent. Au plan politique, les anglophones ont pris fermement le contrôle du Parti libéral du Québec, alors qu’une bonne partie d’entre eux l’avait délaissé au profit de l’Union nationale en 1976, mécontents qu’ils étaient des politiques linguistiques de Robert Bourassa. Aujourd’hui, ce sont les fédéralistes nationalistes qui ont quitté le PLC au profit de l’ADQ de Mario Dumont.

Les anglophones ont considérablement raffermi leurs liens avec les États-Unis par le biais des communautés juives de Montréal et de New York. Mordecai Richler et plusieurs grands journaux américains ont criblé le Québec de critiques pour sa « police de la langue ». L’affaire Michaud a révélé au grand jour l’état de panique de la députation péquiste à la perspective d’une confrontation sur ces questions.

Clarifions nos idées, notre programme, notre stratégie

Si le rapport de forces est si défavorable qu’il nous empêche aujourd’hui de passer à l’offensive, reconnaissons-le et agissons en conséquence. Profitons-en pour clarifier nos idées et établir notre stratégie future dans le nouveau contexte mondial.

Premièrement, identifions bien les stratégies adverses. La question mériterait un long développement, mais il nous semble que la mondialisation ne souffre aucun obstacle à l’extension des marchés, et que les langues, les cultures et les nations constituent de tels obstacles. La société néolibérale idéale est dépourvue de toute conscience nationale ou de classe et n’admet que l’individualisme.

Les peuples et les nations qui résistent au rouleau compresseur sont immédiatement taxés de « nationalisme ethnique » et leurs pays sont démantelés et réduits en courtepointe de protectorats, comme l’a démontré le professeur Michel Chossudovsky dans le cas de l’ex-Yougoslavie. C’est la même perspective de partition et de balkanisation du Mexique que développait le sous-commandant Marcos (voir l’aut’journal No. 200).

Le Canada a développé cette stratégie depuis longtemps. Le gouvernement Trudeau s’est servi de la Charte des droits pour démanteler la loi 101 et les droits collectifs du Québec. L’expérience a si bien réussi que le politicologue de renommée mondiale Michael Ignatief propose la Charte canadienne des droits comme modèle pour les autres pays dans son dernier ouvrage. Et si nous ne nous soumettons pas à la Charte, nous aurons droit au plan B 0 la partition.

La nation québécoise historique est française

Deuxièmement, après avoir dissipé la confusion ambiante, il nous faut formuler un programme démocratique qui reconnaisse la nation québécoise comme une nation historiquement constituée, de langue et de culture françaises. Une nation qui a intégré et assimilé au cours des ans des gens d’autres origines ethniques si bien que des études démontrent qu’ils représentent 13 % du vote souverainiste.

Il nous faut aussi reconnaître l’existence, en plus des nations inuite et amérindiennes, d’une minorité anglophone, mais également des autres minorités nationales (haïtienne, grecque, espagnole, etc.). Déjà, le Parti québécois leur avait reconnu des droits dans la loi 101 qui permettait l’affichage dans d’autres langues que l’anglais et avec les programmes PELO d’enseignement dans les langues nationales.

Troisièmement, il faut recadrer notre lutte de libération nationale dans le contexte de la lutte contre la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). Dans cette perspective, nos alliés sont les peuples d’Amérique latine, les zapatistes du Chiapas, mais également les mouvements aux États-Unis qui revendiquent que l’espagnol soit reconnu comme langue officielle. Ce sont eux nos alliés et non pas les racistes du English Only.