L’esprit de Mercier souffle toujours

 


La coalition progressiste devient permanente



Au lendemain de l’élection partielle de Mercier d’avril dernier, où le candidat unitaire des forces progressistes a remporté 24,2 % des suffrages, certains commentateurs politiques ont prédit que la gauche politique retournerait vite à ses sempiternelles querelles idéologiques et que ses composantes retrouveraient les réflexes sectaires qui les ont caractérisées pendant des décennies, de telle sorte que la coalition ponctuelle ayant rendu possible ce résultat encourageant ne ferait pas long feu.

Cinq mois plus tard, on peut constater que ces prophètes de malheur se sont fourvoyés. Les trois principaux partis qui avaient fait front commun dans Mercier – le Rassemblement pour l’alternative progressiste (RAP), le Parti de la démocratie socialiste (PDS) et le Parti communiste du Québec, ainsi que le Conseil central du Montréal métropolitain (CSN), ont, suite à la négociation d’un protocole d’entente conclu dès la fin de mai puis entériné par leurs instances en juin, formé une coalition pour une durée indéfinie qui, tout comme dans Mercier, s’appelle l’Union des forces progressistes (UFP).

Les Verts, qui étaient présents dans Mercier mais dont le parti n’a pas encore d’existence juridique au niveau provincial, ont préféré ne pas faire partie de la coalition du moins pour le moment, ce qui n’a pas empêché les relations de demeurer cordiales entre les dirigeants des deux groupes.

Sous le titre Propositions pour qu’un autre Québec soit possible, les membres de la coalition ont même accompli le tour de force d’accoucher, en moins de deux mois, d’une plate-forme provisoire qui sera soumise à la population ce mois-ci dans le cadre des élections partielles que le gouvernement péquiste a déclenchées pour le 1er octobre afin de remplacer quatre de ses députés démissionnaires.

C’est en effet sous la bannière de l’Union des forces progressistes que se présentent Thérèse Hamel, une enseignante représentant le RAP, dans la circonscription de Blainville; Gilbert Talbot, un professeur de cégep lui aussi du RAP, dans Jonquière; et Christian Flamand, un Atikamekw, comme indépendant dans Laviolette.

Par ailleurs, la coalition n’a pas de candidat dans Labelle, car elle n’y compte pas encore assez de militants pour mener une campagne sérieuse et qu’elle se refuse à parachuter un « poteau ».

Du RAP à l’UFP

La démarche vers l’unité de la gauche politique québécoise est relativement récente. En 1998, on a assisté à la fondation du Rassemblement pour l’alternative politique (RAP) qui s’est défini comme un mouvement d’action politique non partisan voulant, par une praxis axée sur la formation et l’action, créer un bassin de militantEs suffisant pour mettre éventuellement sur pied un parti politique de gauche viable.

Mais ce RAP première mouture a vite fait long feu et, dès l’automne 1999, le RAP en congrès a décidé par une majorité serrée de se transformer en parti politique; ce qui s’est matérialisé un an plus tard.

Des militants du RAP, qui avaient reçu l’aval du congrès de 1999, ont organisé, avec la collaboration de représentants des autres partis de gauche et de quelques organismes syndicaux et populaires, un colloque sur l’unité de la gauche politique et de la gauche sociale. Ce colloque, qui a réuni quelque 600 militantEs au printemps 2000 à Montréal, a permis de créer un consensus sur la nécessité de forger cette unité sur le terrain en s’engageant dans des activités politiques ponctuelles. Il a eu aussi comme résultat la mise sur pied d’un comité de liaison des partis.

C’est dans ce cadre qu’est survenu, à l’automne 2000, le projet d’une candidature unitaire à l’élection partielle qui devait être déclenchée à la fin de l’hiver dernier dans la circonscription montréalaise de Mercier pour remplacer le député péquiste démissionnaire. Il s’est formé, dans les mois suivants, une coalition ad hoc, appelée Union des forces progressistes, composée de cinq partis politiques (RAP, PDS, Communistes, Verts, la section québécoise du NPD) auxquels sont venues s’ajouter quelques composantes de la gauche sociale 0 Conseil central du Montréal métropolitain (CSN), Syndicat des cols bleus de la Ville de Montréal (local 301 du SCFP) et Chaire d’études socio-économiques de l’UQAM.

Il faut souligner aussi la participation d’un fort contingent de militants progressistes indépendants des partis coalisés issus notamment de l’aile réformiste du Parti québécois.

L’expérience électorale de Mercier avait été conçue comme un test sur l’avenir politique unitaire de la gauche. On a facilement pu conclure, compte tenu des 24,2 % de suffrages obtenus par le candidat unitaire, que l’élection du 9avril avait été une expérience positive; d’où la décision prise lors de la réunion de bilan tenue au début de mai d’aller de l’avant en vue de la formation d’une coalition qui pourrait participer aux élections partielles attendues à la fin de l’été.

D’autant plus que des sondages effectués à la fin du printemps ont aussi révélé que plus de 25 % de la population envisageait la possibilité d’accorder son appui électoral à une éventuelle formation progressiste.

Vers un parti de gauche fédéré à multitendances ?

Une des principales leçons de l’expérience de Mercier, tel que l’a fait ressortir le bilan, est que la charge symbolique de la coalition est beaucoup plus importante que la somme de ses composantes, d’une part, mais aussi que l’unité des partis de gauche, tout en étant une condition nécessaire au ralliement de secteurs importants de la gauche sociale, n’est pas suffisante, d’autre part.

Dans cette perspective, la coalition actuelle n’est qu’une étape permettant de franchir le cap des élections partielles d’octobre sans recul sur le front de l’unité. Elle ne constitue pas, loin de là, le point d’arrivée d’un processus d’union de toutes les expressions militantes de gauche, condition essentielle à l’établissement d’un rapport de force victorieux.

Lors du bilan de mai, plusieurs militantEs avaient d’ailleurs plaidé en faveur de la mise sur pied d’un parti fédéré multi-tendances permettant l’intégration en son sein, non seulement des partis existants, mais aussi des individus et des organisations. La réalisation de ce projet avait alors été estimée prématurée à court terme par les dirigeants des partis. Mais la situation a évolué de façon accélérée depuis le début de l’été, surtout suite à la création d’associations de l’UFP dans le comté montréalais de Gouin et la région de Lanaudière.

De plus, un constat s’impose 0 dans son état actuel, la coalition regroupe presque exclusivement des partis politiques. Jusqu’ici, l’appel lancé à la gauche sociale n’a pratiquement pas été entendu. Il faut absolument élargir nos rangs. Certes les organisations populaires et syndicales doivent demeurer des alliés potentiels privilégiés. Mais de nouveaux acteurs sociaux particulièrement dynamiques, comme les organisations féministes, les regroupements de jeunes de la mouvance anti-mondialisation, les autochtones et les associations de lutte écologistes, sont actuellement à l’avant-garde du combat militant et constituent probablement les groupes de militants les plus proches des préoccupations politiques de l’UFP et les plus faciles à convaincre de se lancer dans une action concertée avec elle. Il faut donc que cette dernière s’en rapproche et tisse des liens de solidarité active avec eux.

Par ailleurs, la conjoncture n’étant plus du tout la même que celle qui prévalait lors du colloque sur l’unité de la gauche du printemps 2000, il est impératif qu’un nouveau brassage collectif d’idées ait lieu pour faire le point et établir des consensus pour la suite de la démarche. Selon une proposition qui circule actuellement au sein de l’UFP, il prendrait la forme d’un colloque qui aurait lieu avant la fin de l’automne. La possibilité de mettre sur pied un parti fédéré avant les prochaines élections générales devrait être le principal sujet débattu lors de ces états généraux des forces progressistes.