Les désirs des États-Unis deviennent des rumeurs

 


Coup d'état à la chilienne au Venezuela ?



Le 7 février, un colonel des Forces aériennes vénézuéliennes s'empare brièvement des ondes pour demander la démission du président Chavez. Avec les grèves et manifestations orchestrées par le secteur privé au cours des deux derniers mois et les récentes déclarations américaines, la situation là-bas rappelle étrangement le Chili de Salvador Allende … quelque temps avant un autre 11 septembre. Pourtant le modèle « bolivarien » qui se construit au Venezuela depuis 1998 est porteur d'espoirs pour la grande majorité des Vénézuéliens et des Latino-Américains.

Dans son attaque télévisée, le colonel Pedro Soto qualifiait Hugo Chavez de «totalitaire » et de « fasciste » ajoutant que les trois quarts des militaires pensaient comme lui. Mais, comme d'habitude, le gouvernement (qui n'a pas tué un seul opposant depuis le début de sa révolution) a répondu par une contre-manifestation pacifique de ses nombreux supporteurs devant le palais présidentiel. Soto n'a même pas été arrêté.

L'initiative de Soto (aide de camp de l'ex-président Carlos Andres Perez entre 1989 et 1993) arrive quelques jours après que la Cour de justice eut statué en faveur d'une demande d'extradition de Perez et de sa femme auprès de la République Dominicaine et des États-Unis afin qu'ils soient jugés pour corruption.

La ligue des prophètes du chaos

Le lendemain, 8 février, le capitaine Pedro Jose Flores se joignait à Soto lors d'une nouvelle manifestation anti-Chavez tandis que, à la télévision dominicaine, l'ex-président Perez (répudié par plus de 70 % de la population vénézuélienne) se déclarait « prêt à coopérer » pour diriger le Venezuela si les militaires renversaient Chavez.

« La chute de Chavez peut se produire d'une minute à l'autre, ajoutait l'ancien président, mais c'est à l'armée de décider ».

Syndicats corrompus

Depuis quelque temps, les ennemis du régime démocratiquement élu de Hugo Chavez, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, semblent se liguer pour semer le chaos dans le pays.

Le secteur privé a réduit considérablement ses investissements intérieurs et transféré vers Miami plus de 10 milliards de dollars en capitaux pour la seule année 2001. Ce secteur justifie ses actes par une « instabilité politique» qu'il provoque lui-même notamment en ayant organisé les grèves et marches « nationales » de décembre et janvier derniers.

Il a pour allié la vieille garde syndicale dont l'establishment se sent menacé par la lutte à la corruption menée par le gouvernement et surtout par un référendum de décembre 2000 au cours duquel 67 % des votants se sont prononcés pour l'élection directe des dirigeants syndicaux par les membres de la base.

La chirurgie plastique, c’est pas fait pour les jaunes

Des grèves ont lieu dans tous les secteurs économiques (avec l'accord tacite du patronat) tandis que certains secteurs professionnels du pays (ingénieurs, comptables, agronomes et certains médecins qui préfèrent pratiquer des chirurgies plastiques sur les célèbres Miss Univers vénézuéliennes plutôt que de soigner les pauvres) refusent de participer aux mesures sociales du président Chavez.

De plus, fidèles à leurs maîtres qui ne sont pas les 80 % de pauvres du pays, journaux, télévisions et radios inventent un scoop anti-gouvernemental toutes les semaines0 loi martiale imminente, effondrement économique prochain ou nouvelle preuve médicale que Hugo Chavez est psychotique !

En plus d'être catalogué communiste (et d'avoir toutes les tares que cela implique), le président y est décrit comme « vulgaire » et «inculte », références à peine voilées à ses origines africaines et indigènes.

Mais le projet de société du Mouvement pour la Ve république (parti politique fondé par Hugo Chavez en 1994) rapporte déjà suffisamment à la population pour que celle-ci appuie largement celui qu'elle a élu en 1998.

6 000 hommes invisibles sur une liste de paye

Inspiré de la vision du libérateur de l'Amérique du Sud, Simon Bolivar, ce projet tourne autour d'un objectif colossal 0 employer les quelques 20 milliards $ de revenus annuels du pétrole qui, auparavant, étaient accaparés par une classe de parasites corrompus (une aciérie de Ciudad Guyana aurait 6000 personnes inexistantes sur sa liste de paye !), pour redistribuer la richesse et les services vers le bas de la hiérarchie sociale.

Pour cela, le gouvernement Chavez veut diversifier une économie centrée sur le pétrole dans laquelle 80 % des biens de consommation sont importés et redistribuer population et investissement plus également sur le territoire national.

L'un des projets majeurs de la révolution Chavez est le Cordiplan. Il consiste à implanter dans les campagnes désertées des communautés agricoles et écologiques administrées en coopératives et habitées par des familles volontaires.

L’école bolivarienne nourrit les enfants

L'an dernier, l'État a aussi créé mille écoles « bolivariennes » qui dispensent davantage d'heures d'enseignement en plus d'offrir gratuitement deux repas chauds par jour aux enfants. Les salaires des enseignants ont été doublés et les écoles ne peuvent charger aux parents aucun « frais supplémentaire ».

Résultat0 un million d'inscriptions de plus à l'école primaire en l'an 2000 et environ 3000 nouvelles écoles « converties » au modèle bolivarien en 2001.

Le gouvernement a quadruplé les dépenses de soin de santé, construit des cliniques rurales et instauré la gratuité des soins d'urgence dans les hôpitaux publics. Il subventionne aussi une chaîne nationale de pharmacies appelée SUMED où les médicaments coûtent de 30 % à 40 % moins cher que sur le marché.

L'armée opère aussi des marchés populaires par lesquels les soldats achètent légumes et viandes frais dans les campagnes et les transportent dans les bidonvilles où ils sont revendus dans des marchés publics subventionnés (30% moins chers que sur les marchés « libres »).

Les soldats qui plantent des arbres

Les soldats sont aussi impliqués dans les « unités de production civiles et militaires », là où ils travaillent en compagnie de civils à construire des routes, reboiser des forêts ou mettre sur pieds les coopératives du Cordiplan.

En plus des revenus du pétrole, le régime compte financer ses projets sociaux en forçant les grandes entreprises à payer leurs impôts. Un plan de lutte à l'évasion fiscale a été annoncé en juin dernier et il inclut des enquêtes sur plus de mille entreprises.

Bien entendu, ce modèle de «nationalisation » et d'indépendance économique d'un pays déplaît beaucoup aux États-Unis désireux d'implanter la Zone de libre-échange des Amériques au plus vite.

Les Américains cherchent à isoler le président Chavez

De plus, l'audace du gouvernement Chavez sur le plan international n'arrange pas les choses0 rapprochement avec Cuba (échange de pétrole contre médecins, agronomes et instructeurs sportifs); espace aérien interdit aux avions américains en mission «anti-drogue » vers la Colombie; contournement du blocus aérien contre l'Irak; leadership dans l'augmentation des prix du pétrole (passés de 8 à 27 dollars le baril pendant les deux ans où le Venezuela a assumé la présidence de l'OPEP); retrait du pays des exercices navals régionaux dans les Caraïbes, etc.

Peter Romero, spécialiste du Département d'État pour l'Amérique latine, a accusé Hugo Chavez d'appuyer « les violents mouvements d'indigènes en Bolivie» et les auteurs « du coups d'État militaire » de 1999 en Équateur.

À la fin de l'été dernier, Washington a réduit sa coopération en matière de renseignement avec le Venezuela et tergiverse maintenant à l'admettre dans l'Acte andin de préférence commerciale (Andean Trade Preferences Act), permettant aux pays membres un meilleur accès aux marchés américains.

Les grands médias américains commentent maintenant l'agitation sociale du secteur privé en annonçant que « Chavez a perdu l'appui des millions de pauvres qui l'ont élu » et en lançant des rumeurs de coup d'État. Comme s'ils voulaient tester les forces en présence… !

L'Oncle Sam prépare l'instabilité en Amérique latine

Le 6 février, le directeur de la CIA, George Tenet, prévenait le Congrès américain que les crises économiques successives et la récession mondiale provoquaient une « volatilité croissante » en Amérique latine et un « potentiel d'instabilité ».

« Je suis spécialement inquiet pour le Venezuela, disait Tenet, notre troisième fournisseur de pétrole. Le mécontentement domestique contre la révolution bolivarienne du président Chavez s'accroît, les conditions économiques se détériorent suite à la chute des prix du pétrole et le climat de crise va probablement empirer ».

L'Argentine inquiète aussi la CIA (là où le président par intérim Eduardo Duhalde « essaie de maintenir l'ordre public », mais dispose d'une « base d'appui ténue ») de même que .la Colombie qui connaît une situation « hautement volatile ».

Les remarques de Tenet accompagnaient une demande de 98 millions de dollars pour affecter des hélicoptères et des instructeurs militaires à la protection d'un pipeline colombien appartenant à l'américaine Occidental Petroleum contre les attaques des guérilleros de gauche.

Le New York Times (6 février) qualifiait cette nouvelle demande de financement de « rupture radicale » par rapport à une politique jusque là focalisée sur l'éradication des cultures de coca.

Le New York Times révèle également que le Pentagone se préparerait à recommander à l'administration Bush la création d'un nouveau commandement militaire (le « Northern Command ») pour l'Amérique du Nord auquel, selon le quotidien mexicain La Jornada, participeraient les forces armées canadiennes et mexicaines.