Les bons profits font les bonnes pilules

 

Le prix des médicaments est une préoccupation grandissante aux quatre coins de la planète, où s’élèvent des récriminations liées à cette question nous confirme Prescription Games de Jeffrey Robinson. Même le gouvernement québécois tente timidement d’en arriver à une entente avec les entreprises pharmaceutiques. Il est peu probable qu’il y réussisse, car celles-ci n’accepteront jamais de réduire leurs profits et recourront toujours aux pires moyens pour y échapper.

Quand l’Afrique du Sud a voulu légiférer pour limiter la portée des brevets et importer des médicaments génériques, ces dernières ne l’ont évidemment pas vu de cet œil. Après avoir épuisé leurs recours locaux, elles se sont tournées vers leurs amis étatsuniens.

Ce qui est bon pour les États-Unis est bon pour tout le monde

Un sénateur a donc réussi à impliquer les États-Unis dans le système de renforcement des brevets en Afrique du Sud. Ainsi, aucune aide ne put y être envoyée de la part des États-Unis tant que les compagnies pharmaceutiques n’eurent pas repris le contrôle. Ce qui fut fait grâce à la magouille étatsunienne, au détriment des citoyens d’un autre pays.

Même stratégie, il y a quelques années, alors que le gouvernement étatsunien a menacé la Thaïlande de lui imposer des droits sur ses exportations si elle permettait à deux compagnies de fabriquer un médicament contre le sida vendu à un tiers du prix. Les deux compagnies ont dû fermer leurs portes. Visiblement, les politiciens étatsuniens jouent les gendarmes internationaux au profit des grandes entreprises pharmaceutiques.

Le Viagra ne guérit pas le sida

Dans l’état actuel de la situation, il vaut beaucoup mieux souffrir d’une dysfonction érectile dans les sociétés occidentales industrielles où on peut avoir du Viagra, que de malaria ou de toute autre maladie de ce genre dans un pays d’Afrique.

L’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et le Japon représentent 80 % du marché des médicaments, en fonction duquel les entreprises pharmaceutiques ciblent leurs produits. Près de 80 % des recherches effectuées par les grandes compagnies pharmaceutiques sont donc dévolues à la recherche de traitements bénéficiant à seulement 20% de la population mondiale.

De plus, les maladies qui retiennent l’attention des chercheurs de ces firmes sont les maladies chroniques, celles qui, à l’inverse des maladies dites aiguës, financièrement moins intéressantes, nécessitent une médication prolongée. Les maux des riches étant également différents de ceux des pauvres, les pays en voie de développement n’ont souvent aucun médicament adéquat pour leurs maladies ou n’ont à leur disposition que des traitements rudimentaires.

Le profit fixe les prix

Mais n’allons surtout pas croire que l’argent dépensé pour la recherche est uniquement investi au bénéfice des plus nantis. 80 % des sommes officiellement allouées à la recherche et au développement sont plutôt destinées à l’élaboration de produits qui servent à étirer les brevets (un produit très proche qu’on brevète vers la fin du brevet du produit original) ou à produire des « me-toos » qui servent à s’accaparer une part des marchés les plus florissants ! Rien ici de destiné à l’avancement de la science.

Enfin, il faut se rendre compte que le prix des médicaments n’a rien à voir avec un quelconque coût de production. En fait, les prix augmentent tant que la demande ne cesse de croître. Et les médecins qui les commandent généreusement refilent bien sûr la facture à leurs patients, qui font confiance au pronostic médical. En conséquence, le coût des médicaments peut longtemps grimper avant que le ralentissement de la demande ne se fasse sentir, surtout si un produit destiné à un traitement précis est le seul disponible.

Il faut donc convenir que le temps est grandement venu pour les gouvernements de protéger enfin les populations contre la voracité d’une industrie qui ne recule devant rien pour s’assurer les profits les plus extravagants.

Mulroney prend le Bush

Après que les hasards de la politique eurent conduit George Bush (le père) à la perte de son poste à la tête de la CIA, celui-ci offrit ses services à divers conseils d’administration. Flairant l’opportunité, la compagnie Eli Lilly l’invita à se joindre à son propre conseil. Deux ans plus tard, Bush se lançait dans la course à la vice-présidence et la remportait. Évidemment, il dut alors placer ses actions en fiducie. Quelques temps plus tard, le vice-président Bush (qui ne savait plus quelles actions étaient dans son portefeuille) s’impliqua personnellement, ce qui ne s’était jamais vu, pour faire changer les règles du Treasury Department et ainsi octroyer de substantielles réductions d’impôts à certaines compagnies pharmaceutiques dont Eli Lilly. Le hasard fait tellement bien les choses.

Rien n’est moins certain. Par exemple, Brian Mulroney avait promis d’édifier une loi permettant à des compagnies de produire un médicament sous licence alors que le brevet appartient à une autre compagnie. Habituellement, cette pratique fait baisser le coût des médicaments. Mais le gouvernement Mulroney a négocié le libre échange. Le gouvernement Reagan, dont les relations de son vice-président (Bush père) ne constituaient qu’une infime partie des liens qu’il entretenait avec le secteur pharmaceutique, en a profité pour faire pression sur le gouvernement Mulroney qui a reculé. Il a d’ailleurs si bien reculé devant les pressions qui se sont accentuées quand Bush a remplacé Reagan, qu’il a fini par renforcer le système des brevets.

Jeffrey Robinson, Prescription Games, McClelland et Stewart, 2001.