Washington finance une «société civile » sans le peuple

 


Coup d’État au Venezuela



Les coups d’État trop franchement militaires ne sont plus à la mode. Mais, pour les États-Unis, il reste bien d’autres façons de renverser un gouvernement indésirable. En finançant, par exemple, comme ils l’ont fait depuis un an au Venezuela, un grand syndicat corrompu et des organismes bidons de défense des droits démocratiques pour minorités privilégiées, soi-disant réprimées par un État qui « marche dans la mauvaise direction ». Bref, en aidant les ennemis du peuple à s’abriter derrière les notions difficilement attaquables de « syndicalisme », «société civile » et de « droits humains ».

Au cours de la dernière année, une agence créée et financée par le Congrès étatsunien, la « National Endowment for Democracy » (Fondation nationale pour la démocratie ou Ned), a quadruplé son aide financière aux groupes (pourtant pas sans le sou) opposés au président du Venezuela, Hugo Chavez, en leur versant au total près de 900000 $.

L’un des principaux récipiendaires de cette aide est le American Center for International Labor Solidarity, bras international de l’AFL-CIO, principale fédération étatsunienne de syndicats. La Ned a donné 155000$ à l’organisme de « solidarité syndicale » spécifiquement pour aider la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV) de Carlos Ortega.

Avec l’organisation patronale Fedecamaras, dirigée par Pedro Carmona et une vingtaine d’officiers militaires, ce syndicat, le plus important du Venezuela, était le principal responsable du putsch ayant échoué contre Hugo Chavez, le 12 avril dernier.

Pendant des décennies, en échange de généreux cadeaux versés à ses dirigeants, la CTV s’est spécialisée dans l’art de faire accepter par les travailleurs des contrats collectifs « négociés d’avance » avec les patrons.

Société civile autoproclamée

Quand, en décembre 2000, le président Chavez a fait adopter une loi obligeant les directions syndicales à se faire élire par leurs membres, il a semé la panique dans les rangs de cette clique d’autant plus vendue qu’elle était nommée par les gouvernements vénézuéliens traditionnels.

Le 25 octobre 2001, les travailleurs syndiqués élisaient donc pour la première fois leurs dirigeants. Plusieurs vieilles têtes sont tombées, mais d’autres ont su se maintenir. C’est le cas de Carlos Ortega, président de la CTV, qui s’est autoproclamé vainqueur après un vote ponctué d’irrégularités et de violence.

Selon le Monde diplomatique (mai 2002), c’est le 5 mars que ce dirigeant « ouvrier » s’allie pour de bon avec la Chambre de commerce et Fedecamaras. Il signe alors avec Carmona « un pacte national de gouvernabilité ayant pour objectif la sortie démocratique et constitutionnelle du président. »

L’article du mensuel ajoute 0 «Sans programme, sans projet, autoproclamé “ société civile ” en gommant cyniquement la majorité qui continue à soutenir le chef de l’état, les quatre protagonistes, Fedecamaras, CTV, églises et classes moyennes, auxquels se joignent les médias reconvertis en parti politique, cherchent à créer artificiellement une “ situation d’ingouvernabilité ”. »

La démocratie des hypocrites

La Fondation nationale pour la démocratie a aussi subventionné deux agences liées aux deux principaux partis politiques des États-Unis afin que celles-ci agissent au Venezuela.

Elle a octroyé 210 000 $ à l’Institut démocratique national pour les affaires internationales, organisme lié au Parti démocrate et cherchant à promouvoir l’idée que, là où les États-Unis le veulent, les gouvernements doivent rendre des comptes sur leur façon de gouverner, ainsi que 340000 $ à l’Institut républicain international spécialisé dans l’aide à la création de partis politiques dans les pays choisis par les États-Unis.

En plus de l’aide financière «pour la démocratie », un constant va-et-vient a également eu lieu entre les principaux responsables du putsch raté et un membre clef de l’administration Bush, soit Otto Reich, sous-secrétaire d’État pour les affaires interaméricaines.

Reich a ainsi été mêlé de très près aux guerres sales d’Amérique centrale dans les années 1980 en plus d’être un ex-ambassadeur étatsunien au Venezuela (1986-1989). Il a été promu aux affaires interaméricaines le 11 janvier dernier, trois mois avant le coup d’État du 12 avril.

Perchés sur les gratte-ciel

Le 25 mars, le sous-secrétaire aurait rencontré à Washington le maire de Caracas, Alfredo Pena, un opposant farouche au président Chavez soupçonné d’avoir facilité la tâche aux mystérieux tireurs d’élite qui, perchés sur les gratte-ciel de la capitale le 11 avril, avaient tiré sur la foule au cours d’une manifestation de l’opposition et ainsi précipité les événements du lendemain.

Quelques jours plus tard, Reich recevait Pedro Carmona, futur président autoproclamé du pays, suivi de Manuel Cova, secrétaire général adjoint de la CTV. Cova a aussi visité l’Institut républicain international lors du même voyage.

Commentant ce défilé d’opposants au président Chavez dans le bureau d’Otto Reich, le New York Times, quelques heures avant l’échec du coup, qualifie de « plume au chapeau d’Otto Reich » la chute du président vénézuélien.

Autre révélation intéressante0 l’amiral Carlos Molina Tamayo, l’un des militaires vénézuéliens les plus impliqués dans le coup du 12 avril, affirme que, en compagnie de deux autres membres importants du gouvernement provisoire de Pedro Carmona, il avait rencontré un officiel étatsunien au cours des six derniers mois et que ce dernier ne travaillait pas à l’ambassade étatsuniene.

100 000 $ pour dénoncer Chavez

Pour sa part, l’hebdomadaire Newsweek rapporte que les chefs militaires dissidents avaient informé les États-Unis qu’un coup se préparait contre Hugo Chavez dès le mois de février.

L’hebdo cite un diplomate étatsunien allant encore plus loin, car, selon celui-ci, l’attaché militaire de l’ambassade étatsunienne rencontrait régulièrement depuis l’automne un groupe d’officiers dissidents parmi lesquels se trouvaient Molina et Pedro Soto. Ce dernier, en février, avait d’ailleurs été le premier à demander publiquement la démission du président Chavez. En novembre, l’ambassadrice étatsunienne de l’époque, Donna Hrinak, aurait interdit ces contacts.

Le diplomate affirme aussi que Soto et Molina avaient reçu chacun 100 000 $ à partir d’un compte bancaire de Miami pour dénoncer Chavez. Pedro Carmona converge également dans la même direction. Il affirme s’être rendu à Washington en novembre en compagnie d’une délégation de sept dirigeants du monde des affaires de son pays. Il se serait alors entretenu avec John Maisto, aide en matière de sécurité nationale pour l’Amérique latine, Spencer Abraham, secrétaire à l’énergie, et… Otto Reich !

Enfin, une porte-parole du Pentagone, Victoria Clarke, a déclaré au New York Times le 16 avril que le chef des armées vénézuéliennes, Lucas Romero Rincon, avait récemment rencontré Rogelio Pardo-Maurer, haut placé au Secrétariat à la défense étatsunienne et ex-représentant de Washington auprès des Contras nicaraguayens, pendant les années 1980.

Tremper dans la mort jusqu’aux oreilles

Tous ces contacts font dire à l’hebdomadaire britannique The Observer, dès le 21 avril, que le coup était « étroitement lié à la vieille garde dans le gouvernement étatsunien, ceux qui ont une longue histoire avec les guerres sales des années 1980 et les escadrons de la mort œuvrant en Amérique centrale à cette époque ».

Selon The Observer 0 «L’administration étatsunienne n’était pas seulement au courant des préparatifs en vue de renverser le président Chavez ; elle l’avait sanctionné en présumant qu’il était destiné à réussir. » L’hebdomadaire cite ensuite des sources diplomatiques désignant Elliott Abrams comme chef des opérations.

Abrams a ainsi trempé jusqu’aux oreilles dans l’aide aux escadrons de la mort au Guatemala et au Salvador. Il a aussi été condamné à la prison dans l’affaire des ventes d’armes à l’Iran pour financer la Contra, au Nicaragua, alors qu’il était assistant au Secrétaire d’État étatsunien.

Abrams dirige maintenant le Bureau pour la démocratie, les droits humains et les opérations internationales, nouvel organisme relevant du Conseil national de sécurité des États-Unis.

La conseillère en matière de sécurité nationale étatsunienne, Condoleezza Rice et le président George Bush refusent toujours de condamner les auteurs du coup d’État. Rice maintient que c’est la faute du président Chavez qui «marche dans la mauvaise direction » (Financial Times, 15 avril) tandis que le président étatsunien espère que Hugo Chavez « a appris sa leçon » et que, dorénavant, il «protégera les institutions démocratiques » (New York Times, 19avril).