Bon clone, mauvais clone ?

La période entre Noël et le Nouvel An est un temps mort pour les médias. Cela explique peut-être l’attention excessive accordée à l’annonce par Clonaid de la naissance d’ « Ève », le « premier clone humain ». Les journalistes et les diffuseurs en ont oublié l’abc de l’école de journalisme, soit de vérifier ses sources. Mais, après tout, c’était les Raéliens, les disciples des extraterrestres, qui avaient annoncé cet événement et qui revendiquaient l’expertise scientifique nécessaire !

Ces alchimistes du 21ème siècle, et leur prétendue découverte d’un traitement universel contre la mort, ont réussi à attirer l’attention. On a eu droit à des réactions dénonçant ce battage médiatique qui « ferait peur » au gouvernement canadien et le pousserait à adopter une « loi inopportune sur le clonage ». On faisait particulièrement allusion au projet de loi C-13. Il contient des clauses qui interdisent la création d’embryons pour la recherche et, de ce fait, interdisent (en partie) ce qu’on appelle le clonage « thérapeutique ».

Le clonage soi-disant « thérapeutique »

Fondamentalement, le clonage « thérapeutique » implique les mêmes procédures que celles qu’on utilise pour le clonage à des fins reproductives (« faire un bébé »). On prend une cellule sur un adulte, on enlève son noyau et on le place ensuite dans la cellule d’un ovule énucléé. Cette technique s’appelle, en jargon scientifique, « transfert de noyau somatique ». En utilisant plusieurs procédés chimiques et/ou électriques, cette cellule ovulaire avec son nouveau noyau est stimulée pour se diviser et donner lieu soit à un organisme complet (i.e. la brebis Dolly) ou être utilisée pour produire une lignée spécifique de cellules (le prétendu clonage thérapeutique pour faire de nouveaux cœurs, reins, etc.).

La plupart des gens (sauf les Raéliens et quelques autres) qualifient le fait de « faire des bébés », de « mauvais » clonage. Par contre, le clonage « thérapeutique » est décrit comme la « bonne » sorte de clonage. Un clonage qui risquerait fort d’être criminalisée, prétendent ses défenseurs, si le Projet de loi C-13 est adopté tel quel.

Plusieurs chercheurEs et bioéthiciennEs traditionnellEs adeptes de cette dichotomie « bon clone/mauvais clone » ont des prétentions aussi controversées que celles des Raéliens. Peut-être même pires. Ils ont camouflé leurs objectifs de façon à détourner notre attention, inconsciemment ou non, des raisons pour lesquelles nous devrions être critiques face à TOUT clonage. Ils font de vagues promesses – et ce ne sont que des promesses – à l’effet qu’il s’agit de recherches en vue de « sauver des vies », pleines d’« espoir pour les malades » et en disant qu’il faut protéger le droit des scientifiques à travailler pour des « fins légitimes ». Les partisans du « clonage thérapeutique » font de ceux qui émettent des critiques des réactionnaires insensibles au sort des malades. Et quand ils déclarent par surcroît que, sans leur travail, le Canada perdra son avantage compétitif en chassant la recherche vers d’autres pays où il n’y a pas de restrictions, ils rendent les critiques potentiellement responsables de l’affaiblissement de l’économie et de la « fuite des cerveaux ».

Fondamentalement, il n’y a pas de « bon et mauvais » clonage. Il y a le clonage tout court. On a ajouté dans le Projet de loi C-13 des clauses interdisant la création d’embryons pour la recherche, pour le clonage reproductif ET pour le clonage thérapeutique bien avant que les manigances raéliennes fassent la une des journaux. Il faut conserver ces clauses, parce qu’on n’a pas encore prouvé (et on ne le prouvera peut-être jamais) qu’il est nécessaire de créer des embryons clonés afin d’obtenir leurs cellules souches embryonnaires pour la guérison des malades. Les arguments donnés pour justifier l’utilisation de cette technologie sont basés sur des rêves plus que sur la réalité, sur des promesses de « guérison » et des prédictions de profits économiques, plutôt que sur des tentatives de trouver une solution aux problèmes de santé les plus urgents. Par surcroît, l’eugénisme, qui en fait partie intégrante, rend cette technologie moralement inacceptable.

Des raisons éthiques et non religieuses

Ceux et celles qui s’opposent au clonage thérapeutique sous des prétextes religieux notent que faire ces lignées de cellules (comme on le fait pour remplacer un organe défaillant) implique de tuer l’embryon, puisque ce dernier est nécessairement détruit durant la procédure. Mais, ce ne sont pas seulement les groupes « anti-choix/pro-vie » qui s’inquiètent du clonage « thérapeutique ». D’autres s’y opposent pour des raisons éthiques n’ayant rien à voir avec la religion.

D’abord, cette technologie (elle-même, une procédure risquée) qui repose sur l’utilisation de puissants chocs chimiques pour induire la formation d’ovules précédant leur extraction du corps des femmes soulève des inquiétudes très sérieuses pour la santé de ces dernières. De plus, le clonage peut aussi impliquer la commercialisation de femmes payées pour fournir les ovules sans lesquels rien ne peut être réalisé. Nous ne devons jamais oublier que TOUS les clonages, toute création d’embryon in vitro, a besoin d’un ovule. Et ces ovules ont une seule source: le corps manipulé d’une femme vivante.

De plus, nous devons reconnaître que si on légitime le clonage comme thérapie, on fait ainsi de l’altération de l’espèce humaine une forme de consommation comme une autre. Dans un tel contexte, l’amélioration et la régénération deviennent une sorte de service du genre payez-en-sortant comme dans un centre commercial. Ce ne seront pas des effets « secondaires » qui en résulteront, mais des effets durables incorporés dans la procédure même. La technologie n’est pas neutre, avec des « utilisations » (bonnes dans le clonage « thérapeutique ») que nous devrions promouvoir et des « abus » (mauvais dans le clonage reproductif) que nous pourrions encadrer. Il est important de réaliser que les moyens (dans le clonage « thérapeutique ») incluent nécessairement différentes finalités.

Nous ne devrions pas nous illusionner et penser que le clonage « thérapeutique » concerne (seulement ou essentiellement) l’obtention de cellules souches qui vont permettre de sauver des bébés fragiles, de guérir des enfants condamnés, de restaurer toutes les fonctions physiques des malades chroniques, ou toute autre raison que les partisans du clonage mettent de l’avant. Tout d’abord, il n’existe actuellement aucune recherche permettant d’appuyer ces affirmations. La plupart des travaux ont été réalisés seulement à l’échelle animale et celle-ci n’a souvent rien à voir avec l’expérience humaine. De plus, d’autres sources de cellules souches et d’autres traitements potentiels innovateurs sont déjà en cours de recherche pour les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, sans mettre en jeu la création d’embryons ou le clonage.

Faisons en sorte que le projet de loi soit adopté

En France, un projet de loi sera discuté au Sénat, dans lequel le ministre de la Santé Jean-Francois Mattei inscrira, dans le code pénal, le clonage reproductif comme un « crime contre l’espèce humaine ». Il dit souhaiter que « le clonage thérapeutique – porte ouverte au clonage reproductif – reste interdit. L’utilisation du terme “ thérapeutique ” est une escroquerie intellectuelle au point où nous en sommes. » (Le Devoir, 22.01.03)

Le Projet de loi C-13 est loin d’être une législation parfaite. Il a des faiblesses: par exemple, il n’interdit pas complètement de payer les mères porteuses; il ne prévoit pas un système ouvert pour permettre aux enfants nés de fécondations in vitro d’apprendre l’identité de ceux et celles dont ils viennent, etc. Mais on ne l’améliorera pas en le scindant en deux , comme le Bloc québécois et d’autres l’ont suggéré. Au contraire, scinder ainsi le projet de loi – afin de criminaliser le clonage humain et les pratiques qui y sont reliées, tout en entérinant les mères porteuses et en reportant à plus tard la réglementation, le contrôle, etc. – va seulement jeter du lest pour la continuation du clonage « thérapeutique » et, probablement, nous garder dans ces limbes sans règlements où nous croupissons depuis plus de dix ans.

Déjà, la législation a trop tardé. Nous avons vu plusieurs approches expérimentales, comportant toutes des risques pour la santé des femmes, devenir des pratiques acceptées, toutes sans surveillance et sans contrôle.

Faisons pression pour que le Projet C-13 soit adopté MAINTENANT et assurons-nous de faire tout ce que nous pouvons pour interdire TOUT clonage, toute création d’embryons pour la recherche. Assez, c’est assez.

L’homme rapiécé

Quand nous pensons au clonage « thérapeutique », nous ne devrions pas voir le souriant bébé guéri que ses partisans s’empressent d’exhiber mais, plutôt, ce qui serait plus proche de la réalité &/48; un homme blanc âgé, morphologiquement modifié en pièces détachées, d’abord par un « nouveau » rein, puis par un « nouveau » cœur, peut-être par un « nouveau » foie et quelques « nouvelles » cellules cérébrales, etc.

Pour vous l’imaginer, pensez à une vieille auto: d’abord les freins, ensuite le carburateur, puis quelques travaux sur la carrosserie, et un nouveau système d’allumage, etc. Après quelques visites chez le mécanicien, le vieux tacot serait une « nouvelle » voiture fringante. Autrement dit, à mesure que chaque organe s’use, des cellules clonées tirées de cellules souches embryonnaires sont injectées lui donnant un corps re-fabriqué (on pourrait se demander: qui est ce « lui » que nous rénovons ?) Et quels corps seraient « admissibles » à ce traitement ? Qui aurait les moyens de se payer cela, et quel en serait le coût pour les autres ?

Nous sommes déjà sur la voie de la reproduction commercialisée complète d’enfants marchandisés. On peut trouver sur Internet du sperme à vendre, des mères porteuses annonçant leur disponibilité pour ceux et celles qui cherchent de tels services. Voulons-nous ajouter à ce menu des fournisseuses d’ovules pour clonage ? Des cellules souches embryonnaires obtenues via le clonage « thérapeutique » compatibles avec celles du donneur pourraient en utilisant les ovules d’une troisième partenaire devenir une vache à lait commerciale pour les compagnies privées sans la moindre contribution à la santé publique.