Le risque d’une guerre mondiale est bien présent

Entrevue avec Michel Chossudovsky

J’ai rencontré Michel Chossudovsky le jour des premiers bombardements massifs sur Bagdad. Que penser de cette agression « Choc et stupeur », des contradictions entre les grandes puissances, des enjeux économiques, de l’impact de la guerre sur nos systèmes démocratiques et de la direction que doit prendre le mouvement pour la paix ? Il nous livre ses réflexions.

Michel Chossudovsky m’apprend que l’expression « Shock and awe » ou « Choc et stupeur » en français est la traduction de l’expression allemande « Sturm and Drang », empruntée à la musique de Wagner et utilisée par les Nazis pour caractériser leur blitzkrieg lors de la Deuxième Guerre mondiale. « L’expression a été employée pour la première fois, souligne-t-il, lors du bombardement de la ville basque de Guernica le 26 avril 1937 par les avions allemands de la légion Condor. » Guernica est devenue le symbole d’une volonté de destruction massive et a été immortalisée dans le célèbre tableau de Picasso.

Des mini-bombes nucléaires

« Nous assistons à la première Guerre des étoiles, alors que près de 60 % des opérations militaires sont coordonnées de l’espace », explique Michel qui dit craindre l’utilisation des mini-nukes, des armes nucléaires tactiques de faible intensité.

Les États-Unis ont développé des bombes conventionnelles dont la puissance s’approche de celle des armes nucléaires. La MOAB, dont on vient de faire l’essai produit un champignon qui ressemble à celui des bombes nucléaires.

Des armes bio-chimiques contre Bagdad ?

« On veut, dit-il, éliminer la démarcation entre l’armement conventionnel et l’armement nucléaire. Je ne serais pas surpris que les Américains utilisent, sans le dire, des mini-nukes sous le camouflage d’armes maxi-conventionnelles ».

Fort possible également, selon lui, que les forces anglo-américaines utilisent des armes bio-chimiques dans l’assaut contre Bagdad. Ce sont leurs troupes qui ont les masques et les vêtements pour se protéger de ces armes. « Je pense, déclare Michel, qu’ils pourraient utiliser des substances comme celles dont on s’est servi contre les terroristes tchétchènes dans le théâtre à Moscou et, bien entendu, en attribuer la responsabilité à Saddam Hussein ».

Ironie suprême, l’utilisation des armes de destruction massive, qui est le motif officiel de la guerre, sera le fait de l’armée américaine et non des Irakiens !

Un désastre d’une ampleur inégalée

Michel Chossudovsky note que l’expression « dommages collatéraux » n’est plus utilisée par l’État-major américain. « Cela signifie, dit-il, qu’on s’attend à plusieurs morts chez les civils. Il faut craindre que les infrastructures en électricité et en eau soient éventuellement touchées. L’impact sur les chances de survie sera considérable. Nous sommes placés devant un désastre humanitaire d’une ampleur inégalée ».

Code orange sur la démocratie

Michel Chossudovsky craint un dérapage démocratique grave aux États-Unis. L’administration Bush est discréditée et va s’accrocher par tous les moyens. Il pense que seront utilisées contre les opposants à la guerre les mesures en place pour soi-disant lutter contre le terrorisme, comme les niveaux d’alerte et les législations restreignant ou niant les droits civiques comme le Patriot Act.

Si la qualité de l’information, en provenance de la Maison Blanche, est de même nature que celle des derniers mois, nous pouvons nous attendre à une campagne de désinformation inégalée.

« Le rapport présenté par Colin Powell pour justifier la guerre, rappelle M. Chossudovsky, a été taillé en pièces. Il a été prouvé qu’il était constitué de plagiats d`un étudiant au doctorat, de pièces préfabriquées et il a été réfuté par M. Blix et les inspecteurs sur le terrain. On a parlé d’une alliance entre Ben Laden et Saddam Hussein, mais toutes les sources la démentent », ajoute l’auteur de Guerre et Mondialisation, un ouvrage dans lequel il démontre qu’il y a beaucoup plus de liens entre la famille Ben Laden et la famille Bush qu’entre Ben Laden et Saddam Hussein.

Vers un État policier

Il a aussi été révélé par le FBI que les niveaux d’alerte de code orange ont été proclamés sur la base d’informations fabriquées par la CIA. La dernière soi-disant cassette de Ben Laden était dans la poche de Colin Powell avant d’être diffusée. « On crée un état de paranoïa comme en témoigne l’achat par les Américains de masques à gaz et de matériel pour calfeutrer leurs maisons, souligne le professeur Chossudovsky. On va fabriquer de fausses menaces et les utiliser pour arrêter les opposants. On se dirige vers un État policier et je ne serais pas surpris qu’on impose éventuellement la Loi martiale lorsque le mouvement d’opposition prendra de l’ampleur ».

La situation risque de devenir explosive, car l’administration Bush est discréditée et l’opposition à la guerre est importante. « Même des journaux comme le New York Times se sont prononcés contre la guerre », rappelle-t-il.

Le mouvement pour la paix doit poser la question du pouvoir

Michel Chossudovsky ne croit pas que le mouvement pour la paix, malgré son ampleur et sa capacité de mobilisation, soit aujourd’hui à la hauteur des enjeux.

« On a misé jusqu’ici sur des manifestation ponctuelles. C’est bien. Mais il faut aller plus loin. Il faut mettre en place des structures permanentes, un réseau qui pourra organiser la résistance aux gouvernements ».

Aux États-Unis, dit-il, « nous assistons à une criminalisation du pouvoir. L’administration Bush viole clairement la Charte de Nuremberg. Nous avons affaire à un crime contre l’humanité. Il faudra plus que des pétitions pour changer la situation. Il est essentiel que le mouvement pour la paix remette en question le pouvoir », conclut-il.