Des syndicalistes sous la bannière du PQ

Il faut se donner les moyens de faire reculer Jean Charest

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les éditoriaux de l’aut’journal, parus depuis l’automne, sur la nécessité de l’action politique pour la gauche syndicale et progressiste dans le contexte de la nouvelle conjoncture conditionnée par l’arrivée au pouvoir de Paul Martin et de Jean Charest.

Ce qui m’amène à écrire ces lignes, c’est la polémique entre Jacques B. Gélinas et Pierre Dubuc publiée dans le dernier numéro de l’aut’journal (février 2004). Dans sa réplique, Jacques B. Gélinas affirme que « le but ultime du pouvoir se trouve au ras du sol, dans la proximité des mouvements populaires, communautaires, syndicaux, écologiste, féministes, pacifistes, paysans, étudiants, altermondistes, dans le fond des régions, des villages, des quartiers, des arrondissements et même des municipalités… quand elles ne sont pas trop grosses. »

Depuis plus de 30 ans, je mène ces combats de proximité comme syndicaliste, pacifiste et écologiste. Et je ne suis pas le seul, nous sommes des milliers à le faire. La question n’est pas là !

Ces luttes, qui se mènent d’ailleurs depuis que le capitalisme existe, sont utiles et nécessaires certes, mais se butent aux limites de ce qu’est un « groupe de pression ». Se limiter à la rue, c’est laisser à d’autres le soin de décider en dernière instance. Dans nos démocraties, les luttes de proximité doivent se prolonger dans l’action politique partisane.

Nous nous devons de répondre à la question qui nous est souvent posée par les travailleurs que nous représentons ou par des syndicalistes d’autres pays : pourquoi n’y a-t-il pas de représentants syndicalistes progressistes à l’Assemblée nationale pour défendre nos intérêts ? Depuis plus de trente ans, la gauche n’a pu donner de réponse efficace à cette question. Il est temps que ça change.

Dans son livre Le virage à droite des élites politiques québécoises, M. Gélinas apporte une précieuse contribution à l’analyse de la montée des idées de droite au Québec. Selon lui, « c’est le virage libre-échangiste de 1988 qui a insidieusement aiguillé le PQ sur la voie de droite ».

Son livre trace de façon magistrale les différentes étapes de ce cheminement de Bourassa (1985) à Landry (2003). Rappelons-nous que Jacques Parizeau et Bernard Landry défendaient l’astuce de « jouer les États-Unis contre le Canada ». Le commerce nord-sud renforcé rendrait le Québec moins vulnérable aux pressions économiques du Canada (commerce est-ouest) lors de l’accession du Québec à sa pleine souveraineté.

Selon l’auteur, la logique de ces accords de libre échange, c’est-à-dire l’ouverture de tous les marchés, la déréglementation et la réduction des dépenses publiques, enferme les dirigeants politiques dans des politiques de droite.

Heureusement, les manifestations syndicales et altermondistes contre la Zone de libre-échange des Amériques ont suscité la volte-face de Jacques Parizeau sur la question de l’ALÉNA et son chapitre 11 qui permet aux investisseurs de poursuivre l’État.

Dans Le Devoir du 5 mai 2001, Parizeau affirme que « la ZLÉA serait plus néfaste que l’AMI ». Il se rend compte que « le libre-échange déborde sur une démission de l’État ». Il dénonce le projet de la ZLÉA comme « une nouvelle tentative d’écrire pour les Trois Amériques une grande charte des multinationales ».

Cette déclaration a eu pour effet d’entraîner des débats internes au sein du Parti québécois, alors présidé par Bernard Landry, sur la question du libre-échange et du rôle de l’État – moi-même, comme président de la CSN, j’ai eu avec M. Landry des débats serrés sur cette question en 2002 – si bien qu’en 2003, le congrès d’orientation du PQ adopta une résolution visant à encadrer tout accord éventuel.

Les effets de la mise en application des accords, les pressions de la rue et de la société civile avaient fait leur œuvre…

Je suis tout à fait d’accord avec Pierre Dubuc lorsqu’il affirme, dans son éditorial de décembre 2003 – janvier 2004, que « la résistance étonnante du Québec au néo-libéralisme s’explique par la forte présence syndicale et les valeurs sociales associées au projet souverainiste ».

L’automne dernier, nous avons vu cette résistance se déployer à des niveaux inégalés depuis les années 70. Cet hiver, les débats sur la grève générale de 24 heures contre les lois anti-sociales et anti-syndicales du gouvernement Charest vont bon train dans toutes les organisations syndicales au Québec. Du jamais vu depuis la grève générale contre les mesures Trudeau de gel des salaires en 1976. Socialement, nous sommes passés d’une ère de concertation à une ère de confrontation. Quelle sera l’issue de ces luttes ? Nul ne le sait, mais le mouvement syndical et populaire se donne les moyens pour faire reculer le gouvernement Charest.

En même temps, d’autres questions se posent. Sur la question nationale, par exemple. Maintenant que les souverainistes ne sont plus au pouvoir, Charest et Martin vont pouvoir considérer le Québec comme une province comme une autre. Le déséquilibre fiscal forcera Charest a réduire l’État québécois et ses programmes sociaux et Martin s’ingèrera davantage dans les compétences des provinces. De plus, Martin se « rapprochera » des Américains pour participer à leur projet de bouclier anti-missile. Dans ce contexte, la souveraineté deviendra de plus en plus une question urgente à régler.

Charest est élu pour quatre ans. Les forces progressistes vont se coaliser autour de quel parti aux prochaines élections pour se débarrasser des libéraux ? Il n’y aura pas de scrutin proportionnel lors des prochaines élections du Québec. Le vote utile risque donc de jouer encore une fois en faveur des partis déjà présents à l’Assemblée nationale. Quelle est la meilleure façon de faire élire des syndicalistes et progressistes à l’Assemblée nationale ?

Présentement, le débat tourne autour de deux pôles. Nous pouvons soit construire une alternative politique avec l’U.F.P. et présenter des candidats aux prochaines élections. Ou bien, nous devons nous organiser au sein d’un club politique et participer à la « saison des idées » lancée par le Parti québécois afin d’en faire modifier les statuts pour permettre l’existence de courants à l’intérieur du parti, selon le modèle du Parti Socialiste français. Puis, nous pourrons présenter des candidats du club politique sous la bannière du PQ.

Le débat posé par l’aut’journal a le mérite de l’être au bon moment – quatre ans avant les élections – et dans une conjoncture où le Parti québécois est à la croisée des chemins. En effet, Bernard Landry reconnaissait dans Le Devoir (18 octobre) « qu’un grand coup de barre s’impose » pour que le PQ retrouve sa capacité mobilisatrice. Il y parle de « recréer la vaste coalition » à l’origine du PQ et le Chantier de modernisation de la « saison des idées » introduit l’idée de la proportionnelle de différents courants politiques souverainistes au sein du PQ.

J’espère que le débat dans les pages de l’aut’journal autour de la politique partisane se poursuivra et contribuera à sortir la gauche québécoise de sa marginalité politique qui dure depuis 30 ans. Pour ma part, j’ai décidé de contribuer au pari des syndicalistes et progressistes pour un Québec libre afin que nous ayons, enfin, des femmes et des hommes à l’Assemblée nationale pour défendre un point de vue ouvrier et progressiste pour la souveraineté.