Le dossier du transport en commun

La privatisation de la Société de transport de Montréal

La mise en solde d’une société publique bien gérée

Depuis sa sortie en faveur de l'entrée du secteur privé dans les transports en communs, en janvier dernier, le ministre des transport, Yvon Marcoux, n'a toujours pas expliqué par quels moyens exactement le privé sortirait les sociétés de transport de leur gouffre financier. Or, selon un ancien responsable du transport public à Montréal, à moins de jeter à terre toutes les conventions collectives ou de diminuer radicalement le service, la privatisation n'amènerait pas d'économies significatives.

Robert Perrault a présidé aux destinées de la STCUM, aujourd'hui Société de transport de Montréal (STM), dans les années 90. C'était au tout début de la crise financière de la Société. Son équipe avait envisagé une privatisation partielle, mais le scénario a vite été rejeté : les maigres économies réalisables n'aurait jamais valu qu'on déclare la guerre aux syndiqués en jetant à terre leurs conventions collectives.

« Sur un budget annuel de 800 millions $, le privé pourrait réussir à nous faire sauver 8 millions $, donc 1 % », explique Claude Benoît, président du local 1983 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), qui regroupe les chauffeurs d'autobus, changeurs et conducteurs de métro de Montréal.

Dans les faits, si de maigres économies seraient possible dans des secteurs minimes comme l'entretien ménager, dans le cas des gens de métier comme les employés d'entretien, « ça reviendrait à changer quatre trente sous pour une piastre », dit M. Perrault.

À moins bien sûr de vouloir détruire complètement les conditions de travail, tâche qui serait d'ailleurs compliquée par la pénurie de main-d'œuvre qualifiée qui sévit dans ce secteur au Québec.

Pour engranger des profits, les entreprises privées pourraient aussi choisir de réduire le service sur des lignes de transport moins rentables, en se concentrant sur les secteurs qui rapportent plus. Les tarifs pourraient par ailleurs être augmentés, si les autorités publiques en laissent la liberté aux entreprises.

D'un service public appartenant à la collectivité qu'il dessert, le transport en commun pourrait ainsi devenir un autre secteur économique régi par les lois du marchés, où les secteurs moins payants sont négligés.

M. Perrault juge cette façon de considérer les transports collectifs inacceptable. Selon lui, pour les Montréalais sans voiture, le service doit être disponible 24 heures sur 24, sept jours sur sept, sur l'ensemble du territoire, et non seulement aux périodes et endroits les plus payants.

Bien que certaines entreprises privées fassent miroiter des « économies de gestion » en cas de privatisation, tout le monde semble s'entendre sur le fait que les sociétés publiques de transport sont bien gérées. S'il y a d'ailleurs un secteur où le public est économique, c'est du côté des gestionnaires : le salaire du président actuel de la STM, Claude Dauphin, est de 180 000 $, alors que l'équivalent dans le privé avoisinerait les 300 000 $.

Inquiets pour l'avenir de leurs emplois, les syndiqués du transport en commun le sont aussi pour la sécurité des usagers en cas de privatisation, même partielle. À l'automne dernier, lors d'une pénurie d'autobus à Montréal, aucune entreprise privée n'a été en mesure d'offrir des véhicules répondant aux normes de sécurité fixées par la STM, qui sont aussi celles du ministère.

Les expériences passées ne manquent pas pour justifier cette méfiance. « Qu'on pense seulement aux Éboulements », souligne M. Benoît. Un autobus de la compagnie Autobus Mercier avait eu un accident dans cette municipalité de la région de Charlevoix, entraînant la mort de 44 personnes. L'enquête du coroner avait démontré que le véhicule du transporteur privé n'avait que 30 % de capacité de freinage.

L'exemple le plus effrayant reste toutefois celui du métro de Londres. Depuis sa privatisation, réalisée dans la controverse, on y dénombre pas moins de 35 morts et 400 blessés, du jamais vu! Les entreprises privées ont négligé d'y apporter les investissements nécessaire, si bien que le gouvernement envisage de racheter certains morceaux d'un système complètement délabré.

Comme le privé recherche généralement le profit immédiat, plusieurs craignent qu'il n'injecte pas les sommes nécessaires pour assurer le développement et la viabilité à long terme du réseau de transport collectif. À lui seul, le métro de Montréal aurait besoin d'un milliard $ d'investissements dans les dix prochaines années.

Claude Benoît affirme que le privé risque de se retirer après avoir fait son profit, laissant l'administration publique dans l'obligation de racheter à prix d'or un réseau mal en point, ce qui finirait par coûter plus cher aux fonds publics que le maintient du statut actuel. « Si le privé se retire, on fait quoi ? On ne peut pas laisser la population sans services, il va falloir payer le gros prix… », laisse-t-il entendre.

Depuis la réforme Ryan de 1992, l'histoire du transport en commun au Québec n'est qu'une longue suite de diminution du financement public. Nos politiciens ont laissé s'accumuler les manques à gagner (750 millions $ pour Montréal seulement), démontrant peu d'intérêt face à l'importance vitale d'un réseau de transport collectif public.

« J'ai jamais vu Charest prendre le métro et parquer sa limousine dans un stationnement incitatif quand il vient à ses bureaux de Montréal », ironise Claude Benoît.

C'est Robert Perrault qui était aux commandes de la STCUM, il y a 14 ans, lorsque le gouvernement provincial s'est retiré du financement du transport collectif en refilant la facture aux municipalités. À l'époque, la Société avait réussi à réduire les dommages grâce à une contribution accrue des villes et à d'importantes concessions des syndicats sur l'amplitude des horaires et les fonds de pension.

Toutefois, entre 1994 et 2000, sous l'administration de Pierre Bourque, le pouvoir municipal a réduit progressivement sa contribution pour un total de 70 millions $. C'est de ce retrait massif du financement public qu'il faudrait parler, et non de privatisation, stipule l'ancien responsable du transport collectif de Montréal. Pour lui, le ministre Yvon Marcoux a lancé le débat sur les partenariats public-privé afin d'éviter d'aborder la question du sous-financement.

M. Perrault, qui a siégé à l'Assemblée nationale sous la bannière du Parti québécois de 1994 à 2000, ajoute que les enjeux du transport en commun sont souvent très mal compris par les politiciens en poste à Québec. « Quand on parle de transport en commun au Québec, c'est vraiment de Montréal qu'on parle », explique-t-il.

85 % des déplacements en transport en commun de la province se font à Montréal. « On parle ici de la mobilité quotidienne de près d'un demi-million de personnes. Un ménage sur deux ne possède pas de voiture à Montréal. » Selon M. Perrault, vue de Québec, cette situation est oubliée, car la part des transports collectifs y est beaucoup moindre.

Différentes propositions ont fait surface récemment pour amener de l'argent neuf vers le transport en commun. La FTQ a lancé l'idée d'un retour de la TVQ vers les municipalités, pour aider au financement des sociétés de transport. Du côté des groupes écologistes, on parle de taxes et tarifs additionnels pour les automobilistes, qui sont prêts à dépenser beaucoup d'argent pour se déplacer : les ventes de véhicules neufs ont littéralement explosé ces dernières années au Québec, pour atteindre 700 millions $ en dépenses additionnelles depuis 1995.

Le privé réinvente la roue

Tout ce qu'il propose a déjà été essayé

Engagés pour superviser la gestion de l'entretien, ces employés de la firme Slivia ont accès à tous les documents et dossiers et oeuvrent au cœur même du secteur public, que ce soit à Montréal, sur sa Rive-sud ou à Québec.

Spécialisée dans les systèmes de transports, Slivia est détenue à 60 % par la québécoise SNC-Lavalin et à 40 % par la multinationale française Kéolis. En plus de l'entretien, elle est actionnaire majoritaire des autobus Orléans Express, qui assure entre autres la liaison entre Québec et Montréal.

Étrangement, Slivia est la seule entreprise privée à avoir remporté ce type de contrats d'entretien pour les sociétés de transport québécoises. « Ils ont eu le contrat à Montréal, à Québec et sur la Rive-sud », explique Pierre St-Georges, président du Syndicat du transport de Montréal (FEESP-CSN), qui regroupe les employés d'entretien de la Société de transport de Montréal. « Ce n'est pas seulement parce qu'ils sont allés en appel d'offre, il y a eu de la politique là dedans. »

Coïncidence ? Lors d'un colloque organisé par l'Agence métropolitaine de transport le 31 octobre dernier, la ministre des transports de l'époque, Julie Boulet, a fait l'éloge de six grandes villes européennes ayant choisi de confier l'entretien de la gestion et de l'exploitation au privé. En y regardant de plus près, on remarque que cinq de ces villes font affaire avec Kéolis, maison-mère de Slivia.

Engagés à l'origine dans l'espoir qu'ils amélioreraient la productivité, les habiletés de gestion des cadres et les relations de travail, les cadres de Slivia en ont déçu plus d'un à la STM. Pour Pierre St-Georges, c'est simple, « le livrable est pas là…ils pensaient peut-être faire mieux que nous autres ? »

Selon le Syndicat du transport de Montréal, la majeure partie des mesures proposées par Slivia avaient déjà été instaurées par les syndiqués dans le passé, pour ensuite être coupées par la direction, faute de financement adéquat. « À chaque fois qu'ils nous arrivent avec une nouvelle patente, on leur dit d'aller voir, qu'on avait ça avant », déclare M. St-Georges. La STM étudierait d'ailleurs sérieusement la possibilité de ne pas renouveler la présente entente, qui se termine cette année.

De son côté, dans ses pistes de progrès pour le développement du partenariat, Slivia souhaite augmenter l'engagement du privé, prétextant qu'elle aurait besoin de plus de ressources et d'autonomie dans la gestion.

Le principal autre joueur à vouloir s'accaparer une part des transports publics est Bombardier. La multinationale québécoise, qui gère déjà une partie du métro de Londres, aurait l'œil sur le métro de Montréal. Au Canada, Bombardier s'occupe aussi de l'entretien du système de train « Go Transit », à Toronto. Lors de la dernière grève des employés, la direction a fait pression sur le gouvernement de l'Ontario pour que le système de train soit déclaré service essentiel, afin de forcer le retour au travail des employés.

Les syndicats se préparent à la guerre

Il n'y aura pas de négociation sur la privatisation de nos jobs, assure Pierre St-Georges, président du Syndicat du transport de Montréal (FEESP-CSN). On ne s'en va pas en négociation, on s'en va en guerre ! »

Les affirmations du président de la Société de transport de Montréal (STM), M. Claude Dauphin, à savoir que la privatisation et la sous-traitance étaient peu envisageables pour l'instant, n'ont pas rassuré les employés. Ces derniers soulignent que M. Dauphin a laissé entendre qu'on pourrait y parvenir « en collaboration avec nos employés, dont plusieurs prendront leur retraite bientôt ». Sur les 7000 employés de la STM, 3 % prendront leur retraite dans un avenir rapproché.

Pour M. Claude Benoît, du Syndicat des chauffeurs d'autobus et conducteurs de métro de Montréal, on parle ni plus ni moins que d'abandonner les nouveaux et les jeunes. « La privatisation par attrition ? Il n'en est pas question, pas question d'avoir des conditions différentes d'emploi, avec du cheap labor pour les jeunes », s'indigne-t-il.

Les paroles rassurantes du président de la STM, qui dit vouloir éviter l'affrontement avec les syndiqués, contrastent aussi avec l'attitude du ministre des transports, Yvon Marcoux. La FTQ aurait obtenu des informations selon lesquelles M. Marcoux multiplie les rencontres avec différentes chambres de commerce pour leur demander de faire des sorties publiques en faveur de la privatisation.

D'ailleurs, l'Association des propriétaires d'autobus du Québec (APAQ), a déjà déclaré publiquement que l'ouverture des transports collectifs au secteur privé représentait pour elle l'aboutissement de nombreuses années de revendications, et ouvrait des horizons prometteurs.

Pour M. St-Georges, il n'est pas étonnant que les propriétaires jubilent : « Si on veut enlever des jobs respectables dans le public et aller chercher des jobs de tiers monde à la place, c'est seulement le patronat qui va gagner. »

Les syndicats ont déjà commencé à manifester leur mécontentement, et ils se disent prêts à aller jusqu'à la grève générale illégale, dans le cadre d'un front unitaire le plus large possible à travers la province contre les politiques du gouvernement Charest. Selon eux, il faut que le mouvement s'étende à tout le Québec.

« Avec la privatisation, le gouvernement veut un transport à deux vitesses, comme la santé à deux vitesses et l'éducation à deux vitesses. Charest veut baisser les impôts pour les gens plus aisés, donc il a besoin de baisser les services », de dire Claude Benoît.

De son côté, M. St-Georges insiste aussi sur l'unité nécessaire au sein du mouvement syndical : « C'est la classe ouvrière qui est menacée, c'est pas seulement la FTQ, la CSN ou la CSD, alors on va faire toutes les alliances nécessaires ! »