Le Regroupement des femmes québécoises

Des années de luttes passionnées et d'affirmation de soi

Plus ça change, plus c’est pareil, diront celles qui liront l’histoire du Regroupement des femmes québécoises (1976-81) que nous livre Andrée Yanacopoulo de ces « années de luttes passionnées, d’appropriation de notre territoire et d’affirmation de soi ». Durant ce périple de cinq ans, hier comme aujourd’hui, des femmes veulent agir sur le plan politique et infléchir le processus de l’indépendance afin qu’il se fasse dans le sens de leurs revendications et des intérêts collectifs de plus de la moitié de la population.

C’est à partir d’un noyau de trois femmes, « le triumulierat » composé d’Andrée Lavigne, Denise Lavigne et Andrée Yancopoulo, que s’élabore, au fil des réunions, ce qui deviendra le RFQ, défini comme « un mouvement politique de pression, féministe et autonome, c’est à dire libre de toute attache politique autre que celles qu’il se donnera ».

Il s’agit donc de veiller à la qualité de l’indépendance, car cette dernière risque fort de se faire sans les femmes et de perpétuer la société patriarcale dans laquelle elles vivent. Pour le RFQ, le féminisme doit transcender toutes les autres idéologies ou lignes de parti et c’est l’affirmation radicale de cette priorité dans le choix des actions qui fera son originalité.

Parce qu’elles sont indépendantistes, les membres du regroupement envisagent dans un premier temps de s’allier « avec celles qui militent au sein du parti et de les regrouper afin de faire pression sur ce dernier lors de son prochain congrès ». Leurs espoirs sont vite déçus parce que les femmes du Comité national de la condition féminine du PQ croient plus efficace de lutter à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti.

En juin 1978, environ 250 militantes enthousiastes assistent au congrès d’orientation du RFQ et affirment leur volonté de « travailler à instaurer une société sans exploitation ni oppression, à laquelle les femmes participent à titre de citoyennes à part entière, et en pleine coopération avec les hommes ». Mettant en application leur décision de lutter en priorité contre la violence faite aux femmes, elles participent à la lutte pour le rapatriement de Dalila Maschino, enlevée par son frère algérien, et prennent la tête du mouvement contre la censure de la pièce Les fées ont soif de Denise Boucher, frappée d’une injonction pour sa dénonciation virulente de l’aliénation des femmes par le patriarcat qui les réduit au statut de vierges ou putains.

Leur action la plus spectaculaire reste toutefois l’organisation, le 5 juin 1979, d’un tribunal populaire contre le viol auquel participent quelque 750 femmes. Les témoignages bouleversants, tant des membres du tribunal que de femmes violées, illustrent combien les victimes de viol sont réduites à l’impuissance lorsqu’il leur faut affronter ces trois systèmes essentiellement masculins que sont les appareils policier, médical et judiciaire.

En dépit de la volonté du RFQ de mener la lutte des femmes sur le terrain politique, ce n’est que lors du référendum de 1980, après avoir perdu beaucoup de ses membres, qu’il y consacre toutes ses énergies. Il forme un comité qui a pour tâche de déterminer les priorités du regroupement et d’élaborer une stratégie et des moyens concrets afin de s’inscrire efficacement dans le débat référendaire

Les membres du comité référendaire arrivent à la conclusion que les femmes doivent se prendre en main, prendre leurs pouvoirs et désormais penser et agir en femmes. C’est cette priorité qu’elles recommandent d’inscrire au débat référendaire en écrivant «femme» sur leur bulletin de vote. Cette proposition est rejetée par la cinquantaine de militantes présentes sous prétexte qu’un tel mot d’ordre ne sera pas suivi, qu’elles veulent l’indépendance en dépit des blocages du PQ sur la question des femmes, qu’annuler leur vote serait contradictoire avec leur volonté d’être des citoyennes à part entière et qu’un tel geste favorisera le NON.

Le débat sur la position référendaire du RFQ ne fera que cristalliser les divergences qui le minent depuis sa création. Aujourd’hui, A. Yanacopoulo pense que : « féminisme et nationalisme, loin d’être antagonistes, sont à vrai dire indissociables. (…) On ne saurait être féministe au Québec sans être indépendantiste ». C’est sur ce terrain que la rejoint Louise Harel, qui signe la préface.

Il faut savoir gré à Andrée Yanacopoulo d’avoir pu, dans une langue claire, précise, dénuée de toute lourdeur, tirer de l’oubli ce moment important de l’histoire des femmes en le situant de manière très vivante dans les débats de l’époque. L’auteure a puisé dans ses archives personnelles de nombreux documents qui viennent illustrer et renforcer la narration. Une réflexion qui s’impose au moment où le mouvement féministe est à nouveau confronté à diverses options politiques qui engagent son avenir.

Le regroupement des Femmes Québécoises 1976-1981, Andrée Yanacopoulo, Montréal, Point de fuite et Remue-ménage, 2003