Mais son parti envisage le démantèlement du réseau

L'abolition des cégeps n'est pas négociable, promet le ministre

*Encore une fois, les cégeps sont remis en question. On les avait un peu laissés tranquilles depuis quelques années et voilà qu’ils sont de nouveau attaqués. En effet, il y a quelque temps, on pouvait lire à la une du Devoir « Pour l’abolition des cégeps ». Les commissions scolaires remettaient en question leur existence parce qu’ils coûtent cher et ne diplôment pas assez. Elles proposaient un ajout d’une année au secondaire et la création d’un bac à l’université de quatre ans.

En réaction à cette proposition, le ministre de l’Éducation, Pierre Reid, déclarait qu’il n’était pas question d’abolir les cégeps. « Pour nous, l’abolition des cégeps, ce n’est pas négociable. Ce n’est pas dans notre programme. Ce n’est pas une option. » Par contre, il annonçait un vaste forum de réflexion prévu pour le printemps 2004 sur l’avenir des cégeps. Le réseau collégial serait appelé à connaître des changements importants au cours des prochains mois. En fait, tout est sur la table y compris le statu quo.

La Fédération des cégeps qui regroupe l’ensemble des directions de collèges déploiera beaucoup d’énergie pour se préparer au forum. Elle s’appuiera sur son Plan de développement qu’elle a publié en grand renfort de publicité en février 2003. Ce Plan de développement propose 66 pistes d’action pour, dit-elle, sauver les cégeps. S’il n’est pas question de les abolir, elle pense qu’ils doivent absolument changer.

La Fédération des cégeps pose d’emblée le postulat suivant : dans le cadre de la mondialisation, les collèges n’auraient pas le choix de s’adapter aux nouvelles réalités du monde et devraient prendre le virage de la société du savoir et des nouvelles technologies. Il faut former des diplômé-es qui soient compétitifs et mobiles sur le marché du travail. Pour cela, il faudrait revoir de fond en comble l’organisation et le fonctionnement des collèges. La Fédération des cégeps exige plus d’autonomie et de pouvoir sur les programmes dispensés dans les cégeps, sur l’organisation du travail par la décentralisation de la négociation des conventions collectives et sur le financement que les collèges reçoivent du ministère de l’Éducation. Elle réclame plus de souplesse et de flexibilité pour répondre particulièrement aux exigences du marché du travail et à la pénurie de la main-d’œuvre.

En fait, le Plan de développement se situe dans le contexte de l’idéologie dominante néolibérale en étroite filiation avec l’évolution des attentes et des discours économiques. On parle de concurrence et de compétition, d’efficience et de performance, de rendement et d’efficacité, d’imputabilité et d’obligation de résultats. Nulle part, dans le Plan de développement, il n’est question du développement de la personne et de la formation de la citoyenne et du citoyen encore moins de la transmission d’un fonds culturel commun. On veut d’abord former des travailleuses et des travailleurs.

Ce qui est inquiétant, c’est que ces valeurs s’accordent parfaitement avec les orientations du nouveau gouvernement au pouvoir. « Ne vous demandez pas ce que l’État peut faire pour vous mais ce que vous pouvez faire sans l’État » disait le nouveau ministre des Finances, M. Séguin. Le Plan de développement offre les conditions idéales pour une « réingénierie » de l’État qui mise sur des partenariats public–privé. Effectivement, depuis l’arrivée au pouvoir du Parti libéral, nous assistons à un bouleversement sans précédent de nos institutions. C’est une remise en question radicale de notre héritage politico-institutionnel de la Révolution tranquille.

Le nouveau ministre de l’Éducation, Pierre Reid, en profitera pour prendre dans le Plan de développement ce qui fait son affaire. Il pourra ainsi faire des économies. En effet, si nous regardons de plus près le programme du Parti libéral en éducation, nous pouvons constater qu’il veut donner une plus grande autonomie aux collèges et maintenir des établissements viables capables de contribuer au développement économique de leur région. De l’ensemble de ce Plan de développement, le Parti libéral n’a retenu que ces deux aspects. Il donnera plus de pouvoir aux établissements tout en les conviant à chercher des partenaires avec la communauté et les différents ordres d’enseignement. Faire plus avec moins, voilà la devise du nouveau gouvernement.

En fait, ce qui est en jeu c’est le réseau collégial. Dans une conjoncture de « réingénierie » de l’État et de réduction d’impôts, alors que la santé est prioritaire, le démantèlement du réseau en vue de réaliser des économies semble clair. La priorité des collèges sera liée au développement de la formation technique en partenariat avec l’entreprise pour développer des créneaux d’expertise. Tous les autres changements proposés seront à la remorque du développement de cette formation.

Par exemple, on demandera à la formation générale de s’adapter davantage à la formation technique en fonction des qualifications recherchées par le marché du travail. On ne jugera peut-être plus nécessaire de suivre trois cours de philosophie et quatre cours de littérature pour devenir un futur technicien. Il suffira de maîtriser un minimum de connaissances en langues française et anglaise pour atteindre des compétences en réponse à des besoins particuliers du marché du travail. Lorsque Gaëtan Boucher, le PDG de la Fédération des cégeps, se demande si les futurs techniciens doivent connaître Socrate ou Miron, on peut constater à quel point la culture générale est malmenée au profit d’une approche utilitariste qui s’insinue partout.

Le problème, c’est que la Fédération des cégeps prétend représenter l’ensemble de l’ordre collégial alors que l’opinion d’aucune et aucun professeur, aucune étudiante et aucun étudiant et aucun membre du personnel des collèges n’a été sollicitée. Les organisations syndicales ont été complètement exclues de la consultation. Le Plan de développement n’est que le résultat d’un groupe de gestionnaires qui a mis sur pied une vaste campagne de marketing pour la promotion des collèges qui pourrait avoir pour effet d’abolir le réseau collégial au nom de l’idéologie dominante.

Il est primordial de se porter à la défense du réseau collégial. Il a permis à des milliers de jeunes l’accessibilité aux études supérieures. La création des cégeps avait permis une hausse remarquable du taux de fréquentation de l’enseignement supérieur. À maintes reprises, il a été démontré que les employeurs ainsi que les élèves sont entièrement satisfaits de la formation qu’ils ont reçue. Alors pourquoi changer ?

*Comité École et société, Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (CSN)