Les ententes avec le Chili et le Costa Rica sont inacceptables

Un accord qui permet aux investisseurs de poursuivre les États

Le 7 avril dernier, la vice-première ministre et ministre des Relations internationales, Mme Gagnon-Tremblay, déposait pour approbation par l’Assemblée nationale, les accords de libre-échange entre le Canada et le Chili, d’une part, et avec le Costa Rica, d’autre part. Ces deux accords bilatéraux sont entrés en vigueur le 5 juillet 1997 pour ce qui est du Chili et le 1er novembre 2002 pour le Costa Rica. Les accords comprennent aussi des ententes complémentaires sur le travail et l’environnement et ont une clause de recours « investisseur versus l’État », du même type que le chapitre 11 de l’Aléna.

L’article 22.2 de la loi sur le ministère des Relations internationales du Québec précise que tout engagement international important doit faire l’objet d’un dépôt à l’Assemblée nationale et être suivi d’un débat de deux heures. Donc, pour que le Québec se déclare lié par les accords Canada-Chili et Canada-Costa Rica, l’Assemblée nationale doit les approuver. Le gouvernement peut ensuite par décret assurer leur mise en œuvre.

Cette procédure d’approbation n’existe nulle part ailleurs dans le système parlementaire britannique et a pour effet de lever le voile sur les accords de libre-échange négociés derrière des portes clauses, amenant ainsi plus de transparence et permettant aux parlementaires de s’approprier les contenus et d’en débattre en assemblée.

Cette procédure de débat et d’approbation des accords de libre-échange a été introduite par l’ex-ministre des Relations internationale Louise Beaudoin, alors que le Parti Québécois était au pouvoir. Cette réforme était le résultat de l’action de la société civile contre le chapitre 11 de l’accord de libre-échange de l’Amérique de Nord dont un des temps forts fut la tenue du Sommet des peuples à Québec en 2001 pendant que les dirigeants des 34 pays de l’hémisphère faisaient le point sur l’état d’avancement de la négociation de la zone de libre-échange des Amériques (Zléa).

Pour les altermondialistes, les syndicalistes et la société civile québécoise, il sera intéressant d’observer la nature des arguments qu’utiliseront les libéraux pour justifier l’approbation de ces accords et, par le fait même, la possibilité pour les investisseurs de poursuivre les États signataires pour expropriation, si leurs profits sont lésés par des lois ou règlements gouvernementaux.

Rappelons qu’en 2003, en vertu du chapitre 11 de l’Aléna, 26 plaintes ont été formulées contre les États signataires; 17 à l’initiative d’investisseurs américains et neuf par les investisseurs canadiens.

Les États-Unis ont porté six plaintes contre le Canada et ce dernier huit plaintes contre les États-Unis. En 2003, les investisseurs américains ont eu gain de cause dans le cas de quatre plaintes. Deux plaintes furent accueillies par les tribunaux et deux autres firent l’objet de règlements hors cours. Aucune plainte contre les États-Unis n’a été accueillie à ce jour. Les États-Unis sortent comme les grands gagnants de ces procédures.

Dans ce débat, il sera aussi intéressant d’observer la position du Parti Québécois en tant qu’opposition officielle. L’aut’journal a donc rencontré Daniel Turp, député de Mercier et porte-parole en matière de Relations internationales et d’Affaires canadiennes pour l’Opposition officielle. M. Turp a d’abord rappelé que le Congrès d’orientation du Parti Québécois de 2003 a voté une motion exigeant que tout accord de libre-échange, de même que tout accord négocié dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, devra « s’assurer que les règles relatives à la protection des investissements étrangers ne mettent pas en péril la capacité d’agir des institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires, notamment en faveur des droits humains, sociaux et environnementaux et ne contiennent pas de recours investisseurs-État ».

De plus, lorsque le Parti Québécois était au pouvoir, la ministre d’État aux Relations internationales, Louise Beaudoin, a rendu publique, le 10 juin 2002, la position de son gouvernement signifiant aux parties intéressées que « le gouvernement du Québec ne donnera son assentiment à aucun nouveau traité comprenant des dispositions relatives aux investissements si celui-ci met en péril la capacité de légiférer du gouvernement du Québec dans l’intérêt public ».

Lors de l’étude des crédits en commission parlementaire, le critique de l’Opposition, Daniel Turp, a demandé à la ministre Temblay de tenir une commission parlementaire sur ces deux accords bilatéraux. Une commission parlementaire permettrait d’entendre la société civile et de débattre à fond le contenu des accords. Il a essuyé un refus de la part de la ministre. Monsieur Turp ne lance pas la serviette pour autant. « Je déposerai, nous dit-il, une motion à l’Assemblée nationale faisant à nouveau la demande de tenue d’une commission parlementaire sur la question ».

Chose certaine, Daniel Turp recommandera au caucus du Parti Québécois de voter contre l’approbation de ces deux accords lors du débat de deux heures qui devra se tenir à l’Assemblée nationale. « Les accords avec le Chili et le Costa Rica contiennent des recours investisseurs – État qui sont l’équivalent du chapitre 11 de l’Aléna. C’est inacceptable pour le Québec et le Parti Québécois », explique-t-il.

Même si la conjoncture s’y prête moins à cause des élections fédérales, les forces progressistes se doivent d’avoir l’œil ouvert sur ce débat et de dénoncer le cas échéant la position du gouvernement Charest qui s’apprête à mettre la capacité de légiférer du Québec à la merci des attaques des investisseurs, livrant une fois de plus nos droits aux forces du marché.