Le déficit liguistique s’étend aux hôpitaux

Anglicisation galopante du grand Montréal

Le deuxième colloque organisé par le SPQ Libre, qui s’est tenu le mercredi 19 janvier, a réuni plus d’une centaine de participants autour du thème « le déficit linguistique ». Cette rencontre, dans le contexte de l’actuelle saga entourant la construction à Montréal de deux « super hôpitaux », l’un francophone, l’autre anglophone, a été l’occasion d’un vif débat, qui atteste de l’importance toujours réelle de cette question dans le champ politique au Québec.

On a d’abord pu entendre Fernand Daoust, ancien secrétaire général (1969-1991) et président de la FTQ (1991-1993). Mais c’est surtout à titre de passionné de la langue et de membre de l’Office de la langue française du Québec depuis plus de 25 ans, qu’il a pris la parole sur le sujet de « la question linguistique et le monde du travail ». Il a d’abord rappelé que la loi 101 votée en 1977 a « été un immense succès » et que sans elle « la situation du français dans le monde du travail au Québec ne serait sans doute pas la même ».

Tout en reconnaissant le chemin parcouru depuis 1977, force est aussi de reconnaître selon lui « qu’un immense travail reste malheureusement encore à faire ». Bien que le taux de francisation des entreprises québécoises assujetties aux dispositions de la loi 101 – celles qui emploient 50 personnes et plus – oscille aujourd’hui autour de 70 %, l’objectif à atteindre a toujours été, et demeure, 90 %. Mais l’atteinte de cet objectif n’est pas chose aisée, tant sont nombreuses les réticences de certaines grandes entreprises, notamment celles qui évoluent dans le milieu de l’aérospatiale et de l’aéronautique.

Pour le syndicaliste, il ne fait pas de doute que « la francisation en milieu de travail doit être le pivot de la politique de la langue au Québec », car « c’est là que la bataille se joue ». Aussi, est-il aujourd’hui impératif que l’on renforce les organismes œuvrant à cette tâche et que l’on « dote de moyens suffisants les comités de francisation dans les entreprises », moyens dont précisément ils ont été privés ces dernières années au nom de la « paix sociale linguistique » ou du diktat du « déficit zéro ».

Si la question de la francisation en entreprises en est une de première importance, pour Frédéric Lacroix, tout aussi importante est celle du financement des universités québécoises. Dans un exposé sur le « financement des universités anglophones et francophones au Québec », soutenu par des statistiques fort éclairantes, Frédéric Lacroix s’est efforcé de montrer « l’inégalité flagrante dans le financement » à laquelle doivent faire face les universités francophones au Québec. Ainsi, bien que les francophones représentent 82 % de la population québécoise, les universités de la langue de Miron n’ont reçu en 2001 que 77 % du financement de la part du gouvernement du Québec et que 67 % du financement en provenance du gouvernement fédéral par le biais du Canadian Foundation Initiative (CFI).

A contrario, les anglophones du Québec, bien qu’ils ne constituent que 8 % de la population québécoise, s’accaparaient 23 % du financement octroyé par Québec et 33 % du financement versé par Ottawa. Cette disparité a pour effet de renforcer le système universitaire anglophone au Québec au détriment de celui de langue françcaise.

Cette inégalité se traduit par une consolidation, voire une progression de l’anglais dans le milieu de travail : les finissants des universités McGill, Concordia et Bishop’s choisissant de demeurer au Québec, ayant plutôt tendance à imposer l’anglais dans les milieux de travail qui les accueilleront. Ce qui a amené Lacroix à conclure, « quand cesserons-nous de financer notre propre assimilation ? ».

Dans une intervention bien reçue, Lorraine Pagé, ancienne présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ, anciennement CEQ, de 1988 à 1999), a discuté de l’état du français dans le monde de l’éducation au Québec. Pour l’ancienne enseignante, « on assiste partout au Québec à une érosion du français comme langue d’enseignement au primaire et au secondaire ». Ainsi, par exemple, de 90,2 % des écoliers qui avaient pour langue d’apprentissage le français au primaire durant l’année scolaire 1993-1994, nous sommes passés à 88,9 % durant l’année 2001-2002.

De même, de 90,5 % des élèves qui apprenaient en français au secondaire en 1993-1994, ils ne sont plus que 89,2 %. Cette légère tendance à la baisse, si elle peut apparaître bénigne, n’en est pas moins préoccupante, lorsque reportée à long terme.

Face à ce constat, quelles solutions apporter ? Plusieurs ont proposé de soumettre les cégeps aux dispositions relatives à la langue d’enseignement de la loi de 1977. À l’opposé, Lorraine Pagé s’est plutôt efforcée de montrer dans son exposé qu’« il ne servirait pas à grand-chose que d’appliquer la loi 101 aux cégeps », puisque, rejoignant Fernand Daoust, le véritable pivot de la politique du français au Québec ne se situe pas à l’école, mais dans le milieu de travail.

Seule une véritable politique de la langue française dans le milieu de travail peut avoir « un effet structurant » pour l’avenir de cette langue au Québec : « l’enjeu central, c’est la langue de travail ! » Or sur ce terrain, « si cela continue, nous risquons de perdre la bataille », en premier lieu à Montréal et dans sa grande région, où nous assistons à « une anglicisation galopante ».

Si la question de la langue représente toujours une question aussi cruciale, cela résulte de son importance pour l’enjeu plus large dans lequel elle s’inscrit, qui est celui du projet national québécois. Pour reprendre les mots de Denis Lazure, ancien ministre du Gouvernement péquiste, de 1976 à 1984, qui est brièvement intervenu durant la période de questions qui suivit ces exposés, « la langue et l’indépendance du Québec sont indissociables : aussi longtemps que l’on ne parviendra pas à favoriser le français dans tous les domaines au Québec, on ne parviendra pas à convaincre les Québécois de l’indépendance du Québec ! »