Le budget fédéral accentue tous les déséquilibres

L’ambassadeur américain et le nouvel ambassadeur du Canada à Washington nous ont présenté un numéro digne de figurer dans les meilleures anthologies de tromperie politique

Les médias ont parlé d’un « budget sucré » (La Presse) et d’un « saupoudrage » de dépenses susceptibles de « contenter tout le monde » (Radio-Canada) et assurer la survie du gouvernement minoritaire de Paul Martin. Mais nous avons plutôt un budget taillé sur mesure pour plaire aux États-Unis, aux entreprises, aux riches et anti-Québec.

Avec la plus forte hausse des dépenses militaires des vingt dernières années, soit 12,8 milliards $ sur cinq ans, le gouvernement Martin cède devant les pressions exercées par l’administration Bush qui veut voir le Canada jouer un rôle plus actif dans ses campagnes militaires pour imposer la « liberté » au Moyen-Orient, en Eurasie et ailleurs dans le monde.

Le Canada va augmenter ses forces armées de 5 000 soldats et 3 000 réservistes, renouveler ses équipements et participer de facto au complexe militaro-industriel chargé de la mise en œuvre du bouclier anti-missile.

Forcés, dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, de tenir compte de l’opposition de la population canadienne au bouclier anti-missile, le premier ministre, l’ambassadeur américain et le nouvel ambassadeur du Canada à Washington nous ont présenté un numéro digne de figurer dans les meilleures anthologies de tromperie politique. Pour la galerie, Monsieur Tergiversation a dit Non à Bush et l’ambassadeur Cellucci a feint de s’en offusquer. Mais Frank McKenna avait prévenu les milieux intéressés que le Canada était déjà partie prenante au projet de bouclier anti-missile.

Le budget Goodale accentue le déséquilibre entre les entreprises et les particuliers au chapitre de l’impôt. Dans cinq ans, les entreprises paieront en chiffres absolus moins d’impôts que c’est le cas actuellement (26,9 milliards plutôt que 28,5), alors qu’à l’inverse la facture des particuliers augmentera de façon substantielle, passant de 89,5 à 120 milliards. Nous sommes loin de l’époque – au lendemain de la Seconde Guerre mondiale – où le fardeau fiscal était réparti à parts égales entre les entreprises et les particuliers.

Le budget va également creuser l’écart entre les riches et les pauvres. La baisse d’impôts résultant de la hausse des exemptions de base représentera un montant de 16 $ par contribuable en 2006, soit exactement le montant de la hausse moyenne des tarifs d’électricité de 1,2 % qu’annonçait Hydro-Québec au lendemain du dépôt du budget. Par contre, les contribuables gagnant plus de 100 000 $ pourront profiter de la hausse du plafond des cotisations au REER qui passera de 18 000 $ à 22 000 $, ce qui représente un retour d’impôt supplémentaire de 2 500 $.

Déjà, ces cadeaux aux entreprises et aux plus fortunés pénalisent le Québec dont la population est en moyenne plus pauvre que celle du Canada. Mais l’affront principal réside dans l’absence de toute référence au déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces. Pour ajouter l’insulte à l’injure, le gouvernement fédéral va utiliser sa marge de manœuvre de plus de 100 milliards au cours des cinq prochaines années pour intervenir directement dans les champs de compétence du Québec avec des programmes sociaux (garderies) et l’aide aux municipalités.

En obligeant les provinces et les municipalités à partager les dépenses des programmes d’infrastructures définis unilatéralement par Ottawa – selon la formule 40 % (fédéral), 40 % (provinces), 20 % (municipalités) – le gouvernement fédéral dicte sa vision du pays et une bonne partie des décisions budgétaires du Québec.

Lors de son entrée en fonction, le gouvernement Martin avait dû apporter in extremis des modifications aux Discours du Trône et inclure une référence au déséquilibre fiscal pour se gagner l’appui du Bloc québécois et éviter d’être renversé par les forces combinées de l’opposition. Cette fois, le gouvernement nargue le Bloc et le Québec en ne mentionnant ni le déséquilibre fiscal, ni les modifications promises à l’assurance-emploi.

Ceux qui prédisaient que le gouvernement Martin devrait gouverner à gauche pour s’assurer du soutien du NPD et du Bloc peuvent aller se rhabiller. Le gouvernement a concocté son budget avec le Parti conservateur et Stephen Harper s’est précipité à l’extérieur de la Chambre des Communes avant même la fin de la lecture du discours du budget par Ralph Goodale pour annoncer aux journalistes que son parti voterait avec le gouvernement.

En fait, avec cette alliance entre libéraux et conservateurs, le budget démontre que le Canada anglais maintient la ligne de conduite définie au lendemain du référendum de 1995 : pas de concessions au Québec, fin de la politique de l’apaisement. La présence d’un gouvernement fédéraliste à Québec n’y change rien.

Il faut dire que le gouvernement Charest avait donné son aval au camouflet fédéral en congédiant son ministre des Finances, Yves « Monsieur Déséquilibre fiscal » Séguin, quelques jours avant la divulgation du budget Goodale.

Plutôt que de faire alliance avec le Bloc pour défendre les intérêts du Québec, le gouvernement Charest marche main dans la main avec les libéraux de Paul Martin et les conservateurs de Stephen Harper. Un comportement qui ne devrait pas nous étonner d’un ancien conservateur dont le programme politique est favorable aux riches, aux entreprises et à la fédération canadienne.

Pour faire contrepoids à la centralisation d’Ottawa, le premier ministre Charest mise sur le Conseil de la fédération censé représenter les intérêts des provinces. Mais le gouvernement fédéral a semé la pagaille entre les provinces par de généreuses ententes avec Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse sur les redevances pétrolières.

Le premier ministre de Terre-Neuve a fait plier le gouvernement fédéral en faisant enlever tous les drapeaux canadiens sur le territoire de sa province et en affirmant, par ce geste, le caractère national distinct de Terre-Neuve. Un geste symbolique qui n’est même plus à la portée d’un gouvernement Charest totalement inféodé au gouvernement fédéral.

En démontrant qu’il était déterminé à renverser le gouvernement Martin, Gilles Duceppe a forcé Stephen Harper et la soi-disant « opposition officielle » à capituler en appuyant le budget Goodale et à se discréditer complètement. Le Bloc québécois apparaît de facto comme la seule véritable opposition à Ottawa et met en lumière, encore une fois, la ligne de fracture fondamentale de la politique canadienne.